« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Le développement du domaine complexe par Rebecca Mendelssohn

5 novembre 2018

L’idée d’une séparation entre arts et sciences est très répandue. Toutefois, là où elle est contestée, le lien entre les deux est le plus souvent considéré d’un point de vue mécaniste, qui non seulement passe à côté de l’essentiel, mais réduit à un objet mort ce qui est pourtant au cœur de la créativité humaine : les liens indissolubles entre le sentiment, les émotions et la raison.
Cette étude de David Shavin est une exploration, à partir d’un exemple historique, de cette subtile harmonie.


Par David Shavin

Le philosophe américain Yogi Berra, qui a aussi été autrefois « receveur » dans l’équipe des New York Yankees [1], a décrit un jour la complexité de la frappe d’une balle de base-ball : « c’est à 90% mental ». Cela peut surprendre, mais c’est un domaine complexe qui combine la cartographie visuelle de la balle qui arrive, avec la courbe qu’il faut faire parcourir à la batte dans l’autre sens. Qu’il ait eu ou non à l’esprit les conséquences qui découlent du Théorème fondamental de l’algèbre de 1799 de Carl Gauss, la remarque de Yogi est adéquate. Gauss avait réorganisé son propre esprit selon les lignes de la géométrie invisible du domaine complexe au cœur de la causalité qui s’exprime dans le monde matériel. C’était, pour dire le moins, « à 90% mental » !

L’un des plus éminents héritiers de Gauss, Lejeune Dirichlet, et son étudiant, Bernard Riemann, ont poussé plus loin le développement de cette puissance de l’esprit, pour représenter les caractéristiques causales du domaine complexe non-visible [2]. Leurs analyses furent rigoureuses et fructueuses sans pour autant être dictées par les nombres. La réalité des processus subjectifs de l’esprit (et pas les particules dures sensées constituer la réalité) conduisant à une causalité rigoureuse, fut première : on apprit aux mathématiques à chanter.

Au début des années 1950, un autre philosophe américain renommé, Lyndon LaRouche (qui, lui, n’a jamais été « receveur » chez les New York Yankees) a travaillé en profondeur sur les contributions de Bernard Riemann au principe de causalité, en développant ce qu’on appelle aujourd’hui le « modèle économique LaRouche-Riemann » [3]. Par la suite, il rapporta que la seule récréation qu’il avait trouvée appropriée pendant ce travail de concentration intense, fut de se plonger dans certaines œuvres classiques, en particulier les quatuors à cordes tardifs de Beethoven [4].

Nous dirons simplement que ce travail pour organiser correctement son esprit dans le domaine complexe était si exigeant, qu’il n’aurait pas pu se ressourcer ailleurs que dans un domaine complexe organisé d’une manière similaire. Dans ce qui suit, nous allons explorer l’aspect indéniablement subjectif de la science, mais cette subjectivité est de la même forme communicable socialement que les œuvres de Bach, Mozart et Beethoven.

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Les Dirichlet, les Mendelssohn et Platon

L’histoire qui suit racontera le rôle de Rebecca Henriette Lejeune Dirichlet (née Rebecca Mendelssohn, 1811-1858) et de ses Musikabend à Göttingen, par rapport à ces pouvoirs spécifiques de l’esprit. Rebecca était la petite-fille de Moïse Mendelssohn et la jeune sœur de Félix et Fanny Mendelssohn.

Dans un autre écrit, j’avais présenté l’arrivée de Peter Gustav Lejeune Dirichlet en 1828 dans l’environnement culturel de la famille Mendelssohn. Le jeune mathématicien effectuait alors des mesures magnétiques de précision dans le jardin des Mendelssohn à Berlin, pendant que Félix et Fanny Mendelssohn organisaient avec leurs amis une répétition pour faire renaître la Passion selon Saint-Matthieu de J.-S. Bach au cours d’un concert historique, décrit ainsi :

Âgé de 23 ans, Lejeune Dirichlet travaillait avec Alexandre Humboldt à réaliser des mesures de mouvements microscopiques d’une barre aimantée suspendue, dans l’abri spécialement conçu du jardin d’Abraham Mendelssohn. Il pouvait entendre, non loin de là dans le pavillon du jardin, le mouvement de jeunes Mendelssohn travaillant les pupitres de la Passion selon Saint-Matthieu. Félix et Fanny Mendelssohn, de 19 et 23 ans, dirigeaient un groupe de seize amis qui se retrouvaient tous les samedis soirs en 1828, afin d’étudier cette œuvre « oubliée », pas jouée depuis sa première avec Bach, un siècle plus tôt.

Les deux projets simultanés qui se déroulaient dans le jardin des Mendelssohn au 3, Leipziger Strasse (à Berlin) sont un très bel exemple du [concept] d’éducation classique de Platon nécessaire aux dirigeants d’une république : l’œil de l’astronome et l’oreille du musicien travaillent en contrepoint pour élever l’esprit humain au niveau supérieur qui consiste à s’interroger sur comment l’esprit lui-même fonctionne. Comme cela est décrit dans le livre 7 de La République de Platon, les paradoxes de chaque « domaine » – paradoxes (comme « l’intervalle du diable ») qui, considérés séparément, sont des nœuds pour les « experts » – considérés ensemble, triangulent pour les futurs dirigeants le seul type de problèmes permettant d’exercer l’esprit humain de manière adéquate. Ainsi, il ne s’agit pas pour ces esprits de savoir simplement maîtriser l’astronomie et la musique comme des choses en soi, mais d’être confrontés à une série de paradoxes, afin de se rendre capables de s’occuper des affaires bien plus complexes de la société humaine.

L’esprit ne venant pas au monde équipé d’un manuel de leçons, le compositeur de l’univers a créé les harmonies des cieux et de la musique comme, par exemple, un mobile suspendu au-dessus du berceau d’un bébé.

C’est dans cet abri de jardin que Dirichlet aurait fait ces mesures microscopiques faisant partie d’un projet destiné à établir une cartographie du champ magnétique terrestre. L’audace nécessaire pour penser que ces mouvements minuscules de la barre aimantée puissent révéler de telles propriétés invisibles, conduisit Dirichlet à se poser un certain nombre de questions. Les études géodésiques de Gauss, une décennie plus tôt, étaient paradigmatiques du genre de projet qui produisit tant de richesses scientifiques à partir de problématiques en apparence si simples, comme par exemple déterminer où l’on se trouve ! (Cela s’applique également à la question de savoir où l’on se trouve dans le processus politique pour lequel on effectue un travail de renseignement quotidien.)

De même, le travail de ces seize jeunes pour résoudre ensemble les interrelations compliquées des arrangements musicaux de Bach dans la Passion selon Saint-Matthieu, les a certainement contraints à se confronter au problème scientifique de déterminer ce que le Créateur garde en réserve pour nous, dans leur tentative de cartographier leurs propres âmes. A titre d’exemple pour les débutants : comment Jésus devrait-il entonner ce qu’il dit ? Comment le chœur/public devrait-il lui répondre, etc. ? L’épisode historique qui va suivre se présente comme un petit ensemble de mesures, mais au lieu d’un aimant suspendu à un fil, nous nous aiderons de quelques années de la vie de Lejeune Dirichlet, et nous tenterons de trianguler certaines des caractéristiques importantes pour une cartographie de la culture qui a créé le monde qu’aujourd’hui nous sommes mis au défi de maîtriser. [5].

La clef ici est la méthode classique du contrepoint des paradoxes entre l’astronomie et la musique, pour préparer comme il faut l’esprit au gouvernement d’une république.

Rebecca ouvre la danse à Göttingen

Felix Mendelssohn

Dirichlet finit par tomber amoureux et épouser l’une des membres de la chorale, Rebecca, la plus jeune sœur de Félix et de Fanny. Cette alliance de la science et de la musique fut partie intégrante de la vie culturelle excitante qui régnait dans l’entourage des Mendelssohn à Berlin au cours des vingt-trois premières années de leur mariage.

En 1855, Dirichlet fut ensuite choisi pour prendre la succession de Gauss à Göttingen. On en sait beaucoup moins concernant le rôle de Rebecca là-bas pour organiser la culture musicale appropriée pour les étudiants de Dirichlet, dont Riemann faisait partie.

Entre 1855 et 1858, les Musikabend organisés par Rebecca à Göttingen attirèrent Clara Schumann, Joseph Joachim et Johannes Brahms. Rebecca espérait pouvoir recréer à Göttingen la vie culturelle exceptionnelle des Musikabend de sa famille à Berlin qui avait pris fin après les décès prématurés de Félix et de Fanny.

Clara Schumann se rendit immédiatement à Göttingen pour jouer devant Dirichlet, ses collaborateurs et ses étudiants. Peu après, Brahms et Joachim firent le voyage jusqu’à Göttingen et participèrent eux aussi aux Musikabend de Rebecca. Comment cela a-t-il pu se produire ? Et que pouvaient bien avoir à se raconter des mathématiciens et des musiciens ?

Nous avons une assez bonne connaissance des débuts des Musikabend de Rebecca à Göttingen, avant que même Clara n’y arrive. Rebecca raconta ceci à son neveu Sébastien :

Avant-hier, nous avons chanté Le fils de l’étrangère devant une soixantaine de nos proches amis [6]. C’est la voix de basse puissante de Bodemeier qui m’en avait donné l’idée et ça a été une réussite. Les parties de concerto étaient si belles et il y avait tant d’esprit et d’énergie dans l’exécution que, pour ma part, je les ai profondément appréciées. Le Kauz [7] joué par Bodemeier était vraiment splendide, il a fait preuve de beaucoup d’humour, plein d’audace mais naturellement bon, et d’une grande intelligence musicale, en plus de sa belle voix ! Le chant du gardien m’a fait verser plus d’une larme, mais personne d’autre que toi ne peut savoir pourquoi [8]. Les courts solos ont été chantés par les deux filles Siebold, vraiment très jolies dans la deuxième partie et charmantes dans la première [9].

Ensuite, nous avons dîné […] Nos hôtes nous ont exprimé leur gratitude en mangeant et buvant beaucoup, et les professeurs en trinquant à la santé des hôtes, des invités, des chanteurs, et même de la musique. La meilleure partie était celle des répétitions. Il était vraiment intéressant de les voir se laisser prendre par la musique, ce qui fit de nous les meilleurs des amis (...) C’était très beau et avec toute cette belle musique autour de moi, je me sentais presque comme à la maison. Oui, c’est vrai, nous nourrissons ces gens avec les miettes de nos festins passés. [10])

Les miettes de nos festins passés

Rebecca arriva à Göttingen dans la famille Dirichlet avec des partitions de la Hausmusik des Mendelssohn de Berlin.

Le fils de l’étrangère était une production typique des frères et sœurs Mendelssohn pour célébrer à la fois le retour de Félix à Berlin et le vingt-cinquième anniversaire de mariage de leurs parents.

C’est à cette époque que Lejeune Dirichlet avait courtisé Rebecca, alors âgée de 18 ans. Elle avait rencontré son futur mari l’année précédente alors qu’un groupe de jeunes gens devenaient « les meilleurs des amis » en travaillant la Passion selon Saint-Matthieu de Bach.

Dirichlet écoutait probablement Rebecca et ses amis répétant dans le jardin pendant qu’il mesurait le magnétisme terrestre.

C’était une seconde nature chez Rebecca d’établir des relations entre êtres humains autour de la beauté et du travail pour la beauté. C’est là toute l’histoire de sa vie, aussi bien chez les Mendelssohn que dans son mariage avec Dirichlet.

Dirichlet avant Rebecca

wikipedia

Le précoce et génial Lejeune Dirichlet, avait été ramené à Berlin depuis Paris et introduit dans la société cultivée de la famille Mendelssohn par Alexandre Humboldt qui, avec son frère Guillaume, avait étudié auprès de Moïse Mendelssohn dans les années 1780. Dirichlet avait attiré l’attention des Humboldt au plus tard lors de sa brillante soutenance de thèse sur le dernier théorème de Fermat [11] à l’Académie des Sciences de Paris. Par la suite, Humboldt convainquit Dirichlet de le suivre pour Berlin plutôt que de rester à Paris avec Fourier.

Dirichlet était arrivé à Paris en 1822 avec une lettre de recommandation rédigée par François Larchet de Charmont à l’attention du Général Foy, chef de file de la faction républicaine à la Chambre des députés, opposée à la fois à Napoléon et à la restauration royaliste de 1815. Foy était connu pour son éloquence et son patriotisme à la tête des républicains. Il avait montré, en particulier, que le gouvernement royaliste avait le même caractère despotique que le bonapartisme qu’il prétendait combattre, réduisant les libertés et suscitant des mouvements anarchistes. Larchet avait servi sous le commandement de Foy, et il vivait, ainsi que la famille Dirichlet, à proximité d’Aix-la-Chapelle. Larchet avait été le commandant français de la ville de Juliers lorsque le père de Dirichlet était maître de poste et conseiller de la ville de Düren. Ils partageaient tous deux l’espoir que la Révolution américaine parviendrait jusqu’en Europe, et semblent avoir suivi la meilleure part du parcours de Lafayette : favorables à la Révolution en France mais opposés aux Jacobins, puis en conflit avec la réaction Napoléonienne et la contre-réaction du Congrès de Vienne. Sébastien Hensel commente cela de manière énigmatique en disant que les parents Dirichlet « qui avaient quelques bonnes connaissances à Paris, datant de cette ‘période française’... » avaient pu le faire venir étudier à Paris [12].

En 1815, le Congrès de Vienne fit transférer le contrôle de la ville de Dirichlet de la France à l’Allemagne. Agé de dix ans, Lejeune entreprit une étude approfondie de la Révolution Française, développant ses capacités d’analyse dans un domaine historique qui lui tenait particulièrement à cœur. Ce qui avait peut-être commencé avec son étonnement de voir que sa ville n’était plus la même que la veille, se transforma chez lui en une recherche sur l’ensemble de l’univers. Comment, en seulement trois décennies, l’Europe avait-elle pu trahir les espoirs nés de la Révolution américaine ? Le jeune Dirichlet engagea une réflexion sur la débâcle de la Révolution française, en passant des espoirs républicains du printemps 1789 aux insanités de la Terreur en 1794, puis aux horreurs de la réaction semi-nationaliste de 1795 virant au bonapartisme dès 1799. Plus tard, quand il arriva à Paris à dix-sept ans, c’est avec le même élan, sans relâche, qu’il se frotta aux Disquisitiones Arithmeticae de Gauss pour parvenir aux principes sous-jacents et connaître le fin mot de l’histoire [13].

A Paris, Dirichlet se vit refuser l’entrée à l’Ecole Polytechnique et, à la place, étudia au Collège de France et à la Faculté des Sciences. Le chargé d’affaires prussien n’aurait pas satisfait en ce sens à la requête du ministre français « sans une autorisation spéciale du ministre de Prusse Von Altenstein ». Et Altenstein ne l’accorda pas (le même Altenstein qui, par ailleurs, n’eut aucun scrupule à promouvoir la carrière de Hegel.) De toute évidence, Sébastien Hensel connut cette affaire de nombreuses années plus tard par Dirichlet qui n’a jamais oublié cette injustice. On comprendra ici que le chargé d’affaires prussien n’avait pas procédé de la manière habituelle, du fait qu’il y avait chez Dirichlet, et/ou dans sa famille, un passé républicain qui nécessitait une autorisation spéciale de la part de ses supérieurs pour pouvoir fermer les yeux là-dessus. Voilà qui est typique de l’Europe post-Congrès de Vienne, et particulièrement de la Prusse à la suite des décrets de Karlsbad.

Larchet fit en sorte que Dirichlet rencontre le général Foy qui le prit sous sa protection. À peu près à la même époque, Foy fit de même avec le jeune Alexandre Dumas qui devint plus tard le fameux écrivain qu’on sait [14]. Foy était apparemment un personnage central pour les patriotes français qui avaient combattu sous Napoléon mais qui s’étaient par la suite opposés au tournant impérial de 1798-1801. De 1792 à 1803, Foy a lui-même été un spécialiste de l’artillerie avec de nombreux succès militaires. Mais il refusa son affectation en tant qu’aide de camp de Napoléon au motif que celui-ci se faisait appeler « Empereur ». (C’est au même moment, à la même occasion et pour les même raisons que Beethoven lui retira la dédicace de sa troisième symphonie, qu’on appelle aujourd’hui « Héroïque »). De 1823 à 1825, Dirichlet fut le précepteur des enfants de Foy et fut soutenu par le général durant ses études à Paris.

Comme Dirichlet le confia à Sébastien, ce sont les discussions politiques qu’il entendit chez les Foy qui ont forgé en grande partie son caractère et sa vision du monde.

Il fut très important pour toute la suite de sa vie que ses visites chez les Foy – fréquentés alors par les plus hautes personnalités de l’art et de la science et par les membres les plus réputés de la Chambre – lui donnent à ce moment-là l’opportunité d’envisager la vie d’un point de vue plus large. Les discussions qu’il entendait sur les grandes questions politiques qui allaient mener à la Révolution de Juillet en 1830, suscitaient en lui un vif intérêt. [15])

L’initiative déterminante de cette période, certainement très commentée au sein de la famille, fut la mission de 1824 à 1825 d’un ami de Foy, le Général Lafayette, qui parcourut les États-Unis en ranimant l’esprit de la Révolution américaine…

Le premier mémoire publié par Dirichlet est une solution partielle du théorème des nombres premiers de Fermat, présenté à L’Académie Française des Sciences au début de l’année 1825. Plus élégant que le travail réalisé par Legendre, il est vraisemblablement le reflet d’une collaboration avec Sophie Germain [16]. Pas aussi connue que Dirichlet, Abel ou Galois, celle-ci fut la première championne des Disquisitiones Arithmeticae de Gauss. Ce quatuor « d’activistes des DA » a secoué les mathématiques entre 1825 et 1832.

En 1832, Dirichlet était le seul survivant des quatre.

Après la mort de Foy en novembre 1825, Alexandre Humboldt fit venir Dirichlet à Berlin, avec un poste d’une durée d’un an à Breslau. Fourier l’avait invité à rester à Paris et se disant « être sûr que c’était sa vocation d’occuper une haute position à l’Académie Française » [17].

Mais il aurait fallu pour ça que Dirichlet ferme délibérément les yeux sur les agissements de Laplace et Cauchy et il était stratégiquement et moralement trop ferme pour céder à de telles prières. Dirichlet a donc échappé au traitement infligé à Abel et Galois, les deux autres célèbres partisans des Disquisitiones Arithmeticae de Gauss.

Au lieu de cela, Lazare Carnot et lui furent les deux plus importantes recrues de Humboldt qui importa ainsi en Allemagne le meilleur des méthodes de l’Ecole Polytechnique.

Lejeune et Rebecca

Après un an passé à Breslau, Humboldt fit venir Dirichlet à Berlin pour qu’il enseigne les mathématiques à l’Académie militaire. Dirichlet arriva à temps pour la conférence scientifique de Humboldt de septembre 1828 à laquelle vinrent également Gauss de Göttingen et Charles Babbage d’Angleterre. (Humboldt obtint de Félix Mendelssohn qu’il compose une œuvre pour l’ouverture de la conférence, connue aujourd’hui sous le nom de Cantate Humboldt). Gauss séjourna au domicile de Humboldt d’où ils décidèrent de réaliser la cartographie magnétique de la géosphère depuis la base que Humboldt avait établie dans le jardin des Mendelssohn.

Humboldt intégra Dirichlet dans ce projet du jardin et le présenta aux Mendelssohn. Fanny, la grande sœur de Rebecca, décrit la scène après une année de travail en commun sur la Passion selon Saint-Matthieu de J.-S. Bach [18] : « Le réveillon de Noël a été très animé et plaisant. Tu sais qu’il doit constamment y avoir dans notre maison une sorte de ‘jeune garde’. La présence de mes frères et le va-et-vient constant de jeunes gens a un pouvoir d’attraction toujours aussi fort. » L’un des invités était le Professeur Eduard Gans qui « commande et protège les plus jeunes. C’est un homme d’intelligence et de savoir… »

Ailleurs, Fanny ajoute :

Nous le voyons très souvent et il y a une grande amitié entre lui et Rebecca à qui il a réussi à imposer un cours de grec pendant lequel les deux érudits lisent Platon... une relation platonique que les potins vont vraisemblablement transformer en union véritable…

Un deuxième admirateur de Rebecca, Johann Gustav Droysen, était également présent :

Un philologue de dix-neuf ans, avec toute la fraîcheur et la vivacité entreprenante et active de son âge mais jointes à un savoir et une connaissance bien au-delà de son âge, doté d’un pur esprit poétique et d’une pensée en pleine santé que tous les âges devraient revêtir...

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Dans les cinq années qui suivirent, Droysen produisit et publia une traduction d’Eschyle ainsi que son fameux essai sur Alexandre le Grand. Droysen était un proche ami d’un troisième admirateur de Rebecca, le poète Heinrich Heine. Toujours selon Fanny :

Heine est ici… et bien que vous soyez enclin à le mépriser les dix premières fois, à la onzième vous êtes bien obligé de reconnaître qu’il est un poète, un grand poète.

Une autre fois, Droysen transmit à Rebecca ces compliments typiques de Heine : « Quant à la grosse Rebecca, oui, saluez aussi pour moi cette grosse personne, la chère enfant, si charmante, si jolie, si bonne, dont chaque livre est un ange. » [19] (Bien qu’il soit vraisemblable que ces mots soient de Heine, il est aussi possible que Droysen ait lui-même rédigé le message pour se mettre en avant.) Mais Gans, Droysen et Heine céderont finalement tous les trois le pas à un quatrième admirateur, Lejeune Dirichlet. Fanny poursuit : « A côté de Gans, il faut que je mentionne Dirichlet, professeur de mathématiques. C’est un homme très beau et aimable, aussi amusant et plein d’esprit qu’un jeune étudiant, et très instruit. (...) On a offert à Dirichlet un grand ‘Baumkuchen’ [Note de l’auteur : un gâteau dont l’intérieur évoque les cernes d’un tronc d’arbre], il aime ça à l’excès.

Le gâteau était en forme de dame et lui faisait une déclaration d’amour, ce qui a donné lieu à des centaines de plaisanteries. »

Il assumait de tout évidence son statut de célibataire. Dirichlet et Rebecca se fiancèrent en 1831 et se marièrent en 1832. Leur fils, Walter, naquit en 1833.

Colère de Klein au sujet des Kaffeehaus de Dirichlet

Dès les premiers moments de la relation de Dirichlet avec les Mendelssohn, une riche vie culturelle imprégna sa vie intellectuelle, ses recherches et ses méthodes d’enseignement. Ce simple fait mettait hors de lui le mathématicien Félix Klein qui décrivait Dirichlet comme quelqu’un supportant difficilement des relations sociales basées sur la musique. Des années après la mort de Lejeune et de Rebecca, il réagit contre les Musikabend de Rebecca à Göttingen :

A l’époque de Göttingen, Frau Dirichlet a su rassembler autour d’elle tous les gens les plus intéressés par l’art et la science. Cela a créé une grande effervescence sociale et culturelle. On dit que Dirichlet ne prenait part à ces réunions chez lui qu’avec beaucoup de réticence et de distance. En rien cette agitation incessante d’intellectuels brillants autour de lui n’aurait pu correspondre au courant profond de son esprit. [20])

Pour Klein, cette « effervescence sociale et culturelle » n’est que futilité qui ne peut que distraire de la voie des véritables mathématiques. Cela en dit long sur la manière dont Klein envisage la vie sociale et les abstractions des mathématiques pures, totalement aveugle qu’il est au sujet de l’approche historique et morale passionnée de Dirichlet [21].

Rebecca illustre ce « courant profond de son esprit » dans le récit d’un voyage qu’elle fit en Italie en 1843 avec plusieurs membres du groupe :

Ensuite, nous sommes allés admirer ce que l’on peut encore voir du ‘Cenacolo’ de Leonardo [note de l’auteur : ‘La Cène’] où j’ai vu une gravure du Christ, en profil, que j’ai immédiatement reconnue d’un croquis du cahier de Hensel [son beau frère] (...) La tête du Christ de Leonardo a eu un tel effet sur ces esprits mathématiques [Note de l’auteur : y compris celui de Dirichlet, Jacobi et possiblement Jakob Steiner] (...) Nous avons décidé d’adresser nos remerciements à Hensel. [22]

Il s’agit d’un exemple parmi d’autres, mais Klein s’imagine que « cette agitation incessante d’intellectuels brillants ne peut en rien correspondre » aux pensées mathématiques de Dirichlet. « Ne peut en rien » : ceci devrait probablement être appelé le « cinquième postulat de Klein » !

Nous avons évoqué la méthode de pensée passionnée de Dirichlet. Mais a-t-on une preuve quelconque indiquant qu’il laisserait cette méthode de côté en mathématiques, et qu’il concevrait, par exemple, la théorie des nombres comme un domaine fermé sur lui-même ? Cela irait certainement à l’encontre de sa méthode d’enseignement. L’enseignement de Dirichlet était très personnel et s’organisait autour de sa vie sociale à la maison, aussi bien avant son mariage, qu’ensuite avec Rebecca. Citons d’abord Wilhelm Weber, un étudiant de Dirichlet pendant son premier automne passé à Berlin en 1828 :

Après les cours qui se tenaient trois fois par semaine de midi à 13h, il y avait une promenade à laquelle Dirichlet prenait souvent part, et il était devenu fréquent de se rendre l’après-midi au Kaffeehaus chez lui : à chaque fois, après les cours, l’un de nous invitait les autres sans plus de cérémonie à aller prendre le café chez Dirichlet où nous nous présentions vers 14h ou 15h pour rester allègrement jusque 18h. [23]

La stratégie consistait donc à s’assurer de pouvoir passer, trois fois par semaine, quelques heures dans l’environnement social de Dirichlet, chose que ce dernier permettait, bien évidemment, et appréciait sans aucun doute. (Il se trouve que la lettre de Weber datant du 21 novembre 1828 décrit la situation juste un mois avant la fête de Noël chez les Mendelssohn relatée plus haut par Fanny).

A partir de 1834, Dirichlet organisa chez lui un grand séminaire de mathématiques et c’est Rebecca qui accueillait les invités. Même à l’Académie militaire de Berlin aux mœurs pourtant plus formelles, il prit l’habitude dans les années 1830 et 1840 d’inviter ses étudiants, des officiers militaires, aux « soirées stimulantes » organisées par Rebecca [24]. Que n’aurait pas fait Dirichlet pour éveiller ses étudiants ?

Un proche ami de Riemann, Richard Dedekind a décrit la méthode de Dirichlet pour faire d’un étudiant tel que lui un « nouvel homme ». Dans les quelques mois qui suivirent sa participation aux Musikabend de Rebecca des années 1855-1856, il écrivit :

Ce qui est le plus utile pour moi, ce sont les réunions quasi-quotidiennes avec Dirichlet avec qui je commence pour la première fois à apprendre correctement. Il est toujours parfaitement affable avec moi. Il n’y va pas par quatre chemins pour me parler des lacunes que j’ai besoin de combler tout en me donnant les instructions et les moyens d’y parvenir. Je peux le remercier dès à présent pour mille choses, sans douter qu’il y en aura encore beaucoup plus. [25]

Dedekind et Riemann allaient passer par « beaucoup plus » qu’une infinité de dimensions dans les années 1855-1856, mais nous verrons cela à une autre occasion. Avant d’en arriver aux Musikabend de Rebecca à Göttingen, il devait se passer vingt-trois ans de vie commune à Berlin.

Au 3, Leipziger Strasse

En 1834 les Kaffeehaus de Dirichlet de 1828 se transforment en sessions d’enseignement privées au domicile du professeur. Comme Dedekind le décrivait, la méthode de Dirichlet comprenait l’identification chez les étudiants des lacunes épistémologiques ainsi que des moyens de les combler. Dirichlet estimait que l’enseignement des mathématiques inclut le développement des capacités esthétiques de l’esprit des étudiants. Il a donc évidemment considéré que son foyer avec Rebecca était le lieu le plus fécond pour mener cela à bien. Ils habitaient au 3, Leipziger Strasse, dans une partie de la grande maison des Mendelssohn, dont les activités culturelles gravitaient autour des Musikabend de Fanny où Rebecca tenait le rôle de soprano.

La première série de Musikabend fut conduite par Fanny et Félix de 1822 à 1829. (Aujourd’hui, on peut toujours écouter l’octuor à cordes op.20 de Félix et s’imaginer à la place de la petite souris privilégiée qui assisterait à l’événement.) En 1825, Fanny proposa :

La constitution d’une association d’amateurs pour la musique instrumentale. L’état actuel de la musique instrumentale à Berlin exige les efforts d’hommes habiles et experts ; l’art déclinant doit être relevé d’une main forte, autrement il disparaîtra dans le mauvais goût de l’époque, l’égoïsme de l’organisateur et la frivolité du public. [26]

Elle n’avait pas vingt ans... Au moment où Dirichlet arriva, Félix travaillait sur les quatuors tardifs de Beethoven dans le cadre de ce projet [27].

La vie au 3 Leipziger Strasse de Schubring donne un aperçu du rôle de Humboldt qui était un habitué. « Quel que soit le moment où il venait, toutes les personnes présentes formaient progressivement un cercle autour de lui, au fur et à mesure que les autres occupations et amusements cédaient le pas à l’intérêt pour la conversation. Il pouvait continuer ainsi des heures durant, sans une seule pause, à raconter les histoires les plus captivantes tirées de la richesse de son expérience. Hegel faisait lui aussi partie des visiteurs, bien qu’il contribuât peu à l’animation générale », préférant rester dans un coin à jouer aux cartes ou simplement suivre les événements.

Il y eut une rupture dans les Musikabend en 1829, lorsque Félix, âgé de 20 ans, quitta le foyer familial et que Fanny épousa le peintre Wilhelm Hensel. Elles reprirent en 1831, redevenant ainsi le cœur de la vie culturelle à Berlin. Fanny composa à de nombreuses occasions pour ces événements et Félix continua à envoyer, même de loin, ses contributions occasionnelles. Rebecca chantait la voix de soprano pour les lieder de Fanny pendant que Hensel, le mari de cette dernière, peignait des tableaux représentant des invités parmi lesquels figuraient Vincent Novello, Edouard et Thérèse Devrient, Théodore Körner, Heinrich Heine, Jacob Grimm, Karl August Böckh, Robert et Clara Schumann, Leopold von Ranke, et le proche collègue de Dirichlet, Carl Jacobi.

En 1832, les Musikabend furent institués le dimanche sous le nom de Sonntagmusik. Un dimanche d’octobre 1833, on entendit jouer un quatuor à cordes de Mozart, le concerto en sol majeur de Beethoven ainsi qu’un duo tiré de son Fidelio, le concerto en ré mineur de Bach, un trio de Ignaz Moscheles et une sélection tirée de La flûte enchantée de Mozart. Voici comment Johanna Kinkel décrivit le jeu de Fanny :

La capacité d’interprétation de Fanny Hensel m’a impressionnée plus encore que les très belles voix que j’ai entendues chez elle. L’esprit de l’œuvre était saisi dans sa texture la plus intime et jaillissait dans l’âme des auditeurs aussi bien que dans celle des chanteurs. Un Sforzando de son petit doigt transperçait nos âmes comme une décharge électrique. [28]

Pendant des années, beaucoup de musiciens et de solistes donnèrent de leur temps et de leurs efforts pour ces soirées musicales des Mendelssohn, pour tout ce qu’elles avaient d’aussi singulier. Fanny avait ses expressions incisives concernant chaque détail et faisait grincer des dents : « Il y a tant de vaches dont la queue a besoin d’être dénouée. »

En février 1835, Fanny fit jouer le motet de Bach, Le temps de Dieu est le meilleur des temps. Elle répondait ainsi avec force à l’esprit moral sans compromission de Bach et écrivit à Félix :

Mon motet préféré, Le temps de Dieu [Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit]… Ah ! Comme l’on se sent mieux à nouveau. Je ne connais aucun prêcheur plus insistant que ce vieux Bach, particulièrement quand il monte en chaire dans un aria pour ne plus changer de thème avant que toute sa congrégation soit bouleversée ou édifiée et convaincue. [29]

Leur père Abraham fut lui aussi bouleversé par cette représentation, l’une des dernières qu’il lui fut donné d’entendre. Il mourut à l’automne de cette année-là, après quoi les Musikabend cessèrent pour un temps [30]. Fanny rappela à Moscheles que lorsqu’il avait joué l’adagio en fa dièse tiré d’un quatuor de Haydn, Abraham qui ne l’avait encore jamais entendu en avait été ému aux larmes. Deux mois plus tard, Fanny écrivit à propos de son père :

Il regrettait souvent, ces derniers temps, de n’avoir eu aucun talent. Mais le trait le plus remarquable de son caractère était à mon avis le développement harmonieux de toutes ses facultés, y compris intellectuelles, qui produisait une unité de pensée, de sentiment et d’action telle qu’on en rencontre rarement. [31]

Les Schumann et les Mendelssohn

C’est à peu près à cette époque que Schumann commença sa collaboration avec les Mendelssohn. Agé de vingt-trois ans, il avait étudié le piano à Leipzig avec Friedrich Wieck et il pensait qu’après la mort de Beethoven et de Schubert, l’Allemagne risquait de sombrer dans la médiocrité musicale :

A la fin de l’année 1833, de nombreux musiciens, jeunes pour la plupart, se retrouvaient à Leipzig tous les soirs, apparemment par hasard au début, pour élargir leur réseau mais pas moins pour échanger leurs idées sur cet art qui était toute leur nourriture : la musique. On ne peut pas dire que la musique était alors en Allemagne dans un état très réjouissant. Rossini régnait sur toute l’Allemagne, Herz et Huenten étaient seuls maîtres à bord parmi les pianistes et plusieurs années s’étaient déjà écoulées depuis que Beethoven, C.M. von Weber et Franz Schubert nous avaient quittés. Il y avait bien sûr Mendelssohn, l’étoile montante ; on entendait des choses merveilleuses à propos d’un polonais dénommé Chopin, mais cela n’allait avoir véritablement d’influence que bien plus tard. Un jour, le jeune Schumann irrité se mit à penser : ‘À quoi bon regarder tout ça paresseusement ? Établissons-nous et rendons les choses meilleures ! Rendons à la poésie de l’art ses anciens honneurs’. Et voici d’où jaillirent les premières pages d’un nouveau journal de musique. [32]

La Neue Zeitschrift für Musik sortit sa première édition en avril 1834. Selon Schumann :

Notre plan était établi d’avance. Il s’agissait tout simplement de rappeler avec beaucoup d’emphase les temps et les œuvres passés, d’attirer ainsi l’attention sur le fait qu’il n’y a que dans des sources pures comme celles-ci, que la beauté artistique peut tirer ses forces et enfin, d’attaquer comme non-artistiques les œuvres de la génération actuelle qui ne découlent que des louanges faites à des virtuoses superficiels. [33]

Le professeur de Schumann, Wieck, était l’un des quatre fondateurs de la revue, mais en privé Schumann menait une bataille sur un second front. C’était la conspiration d’un seul, comme celle de David contre les philistins :

Ici, une autre alliance mérite d’être mentionnée, une alliance qui devait rester plus que secrète, celle de l’alliance de David avec Dieu, n’existant que dans la pensée de son créateur. Elle servit de fil rouge à travers le journal, combinant la vérité et la poésie d’une manière toute pleine d’humour. [34]

Mendelssohn, d’un an l’aîné de Schumann, partit vivre à Leipzig en 1835, accédant au poste de chef d’orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Il démarra avec la quatrième symphonie de Beethoven et son propre arrangement de Mer calme et heureux voyage de Goethe.

Au cours des deux premières semaines qu’il passa à Leipzig, Félix entendit jouer Bach dans la célèbre Thomaskirche et il interpréta une fugue de Bach pour le seizième anniversaire de Clara Wieck. Suite à cela, il s’amusa à imiter les mimiques de Liszt et de Chopin au clavier. [35] L’alliance entre les Mendelssohn et les Schumann était née. Elle ne s’interrompit que douze ans plus tard, à la mort prématurée de Félix.

La présentation par Félix du lied de Fanny Die Schiffende fit grand effet et, dans sa revue, Schumann y trouva beaucoup de choses admirables. Félix écrivit à Fanny que « La nouvelle ‘Gazette musicale’ (je veux dire l’éditeur [Schumann] qui dîne dans le même hôtel que moi), est très enthousiaste à ton propos. » [36]. Peu de temps après, les Wieck firent jouer en réunion privée une représentation du triple concerto en Ré de Bach et Félix fit jouer en avant première par Clara son propre concerto en la mineur au Gewandhaus. Un peu plus tard, à Leipzig, durant ces mêmes quelques semaines, les Dirichlet leur rendirent visite de Berlin à tous sans exception ; et Schumann tomba amoureux de Clara. (Ils allaient subir les protestations de son père avant de se marier finalement en 1840.) Tout ce groupe, formé en quelques semaines durant l’automne 1835, les Mendelssohn, Schumann, Dirichlet et Hensel, allait collaborer jusqu’à la mort de Félix en 1847 et mener l’opposition à Liszt et Wagner. Il réapparut ensuite à Göttingen avec les séminaires de musique et science de Rebecca dans les années 1855-1856, les jeunes Brahms et Joachim prenant alors la succession des Mendelssohn et Schumann.

Mais avant d’aller à Göttingen, quelques anecdotes supplémentaires sur les Musikabend de Fanny à Berlin pourraient être le meilleur moyen de communiquer brièvement l’importance et la profondeur de ce que Klein appellerait des « futilités ».

« Futilités » ?

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August Böckh, le grand philologue et savant en lettres classiques, ami de longue date des Mendelssohn, était un habitué des Musikabend. Il élit même domicile chez eux de 1840 à 1846. Félix collabora avec lui pour l’écriture de la partie musicale dans la mise en scène d’Antigone d’Eschyle à Berlin en 1841 – une représentation sans doute facilitée par l’ouverture récente d’une nouvelle ligne ferroviaire reliant Leipzig et Berlin. Le nouveau roi, Friedrich Wilhelm IV, leur en avait passé la commande et avait un intérêt à faire revenir Mendelssohn à Berlin.

En 1843, à l’occasion de l’inauguration du nouveau palais du souverain, Mendelssohn interpréta son Songe d’une nuit d’été très approprié. Fanny écrivit à Rebecca :

La semaine dernière, les musiciens de Leipzig sont arrivés pour participer à la fête. Il y avait [le pianiste et compositeur, Ferdinand] Hiller, [le violoniste Ferdinand] David, [le compositeur Niels] Gade, et un petit hongrois merveilleux, [Joseph] Joachim, qui n’a que douze ans et qui est si doué que David n’a plus rien à lui apprendre, c’est un garçon si sensé qu’il a fait tout seul le trajet jusqu’ici… [37]

Max Müller, présent à cette même soirée à Berlin, raconte : « Mendelssohn avait reçu une si bonne éducation classique qu’il pouvait tenir la discussion sur les chœurs d’Antigone avec le vieux maître [Böckh]. » [38]. Le père de Max, Wilhelm Müller, avait été le camarade de classe de Böckh pendant sa première année à l’Université Humboldt. Il était aussi un ami proche de Wilhelm Hensel. Jeunes hommes, ils avaient tous deux combattu contre Napoléon pendant la campagne d’Allemagne de 1813-1814. Ce sont deux recueils de poèmes de Wilhelm Müller, Die Schöne Müllerin et Winterreise, qui furent mis en musique par Franz Schubert, dans ses célèbres cycles de Lieder.

Max Müller entra à l’Université de Leipzig en 1841 pour étudier la musique et la poésie. Félix a certainement contribué à en faire un grand connaisseur des Classiques. Quand on discutait du futur musical de Max, Félix lui conseillait de « rester sur le grec et le latin. » Néanmoins, étant jeune homme et avant de devenir un spécialiste du Sanskrit, Max s’était pris de passion pour la vie culturelle qu’il connaissait chez les Mendelssohn. Se souvenant de Félix, il raconte :

Il était dévoué à sa sœur Fanny, mariée à Hensel, le peintre qui était l’ami fidèle de mon père. Quand j’étais étudiant à Berlin, [1844-1845] je passais beaucoup de temps chez eux à la Leipziger Strasse et j’y ai entendu de nombreux concerts… Avec [Fanny], il pouvait parler et échanger à propos de tout ce qu’il y avait de plus élevé ou de plus profond dans son cœur. Il m’est arrivé de les entendre improviser ensemble sur le pianoforte, l’un tenant avec son petit doigt le doigt de l’autre. [39]

Finalement, Max évoque les plus grandes amours de Félix : « La dernière œuvre était la neuvième symphonie de Beethoven. J’ai chanté dans la chorale... » Après quoi, avec quelques uns de ses amis proches, « [ils l’ont] taquiné sur ses fiançailles qui approchaient. Son visage radieux l’a trahi, mais il n’a rien dit à personne jusqu’à ce qu’il aille finalement s’asseoir pour improviser sur le pianoforte. Et quel était le thème de la fantaisie ? C’était le passage de la chorale Wer ein holdes Weib errungen, mische seinen Jubel ein ! [Celui qui a conquis une charmante compagne, peut prendre part à la joie]. Ce fut sa confession à ses amis et ainsi nous étions tous au courant. Et c’était en effet une ‘charmante compagne’. » [40].

Mendelssohn improvisa, en ce moment sublime de la soirée, pour faire connaître à ses amis ses véritables sentiments pour Cécile, sa future épouse [41].

Nous terminerons cette partie sur la vie culturelle à Berlin avec quelques bribes des lettres échangées par les deux sœurs, Fanny et Rebecca, quand cette dernière partit en voyage en Italie avec Lejeune.

Fanny et Rebecca

Dirichlet avait convaincu Humboldt ainsi que le médecin du roi d’obtenir l’aide du roi pour son collègue Jacobi qui était atteint de diabète. Le roi se fit le mécène du voyage de Jacobi en Italie ; Lejeune et Rebecca l’accompagnèrent à leurs propres frais [42]. Le 11 décembre 1843, Fanny écrivit à Rebecca à propos du voyage de Félix à Berlin :

Félix est très aimable, il est aussi plein d’esprit et délicieux que tu sais qu’il peut l’être dans ses meilleurs moments. Je l’admire chaque jour à nouveau, parce que cette vie commune tranquille est nouvelle pour moi et que son esprit a tellement de facettes différentes, il est tellement unique et intéressant sous tout rapport, qu’il est impossible de s’y habituer. Je pense qu’il devient de plus en plus digne d’amour avec les années (...) [43]

Rebecca lui répondit, mentionnant que Dirichlet et Jacobi devaient rendre visite au Pape (Grégoire XVI). Fanny raconte :

Je t’assure qu’il est tout à fait amusant d’entendre Félix parler de ses transactions avec le clergé de la Cathédrale [sur sa mise en scène du Psaume 98], de son amitié intime avec le [ministre prussien], comte [William] Redem, de l’affection mutuelle entre lui et le [Général Ferdinand] Herr von Witzleben [44] et mille autres histoires du même genre. Nous avons souvent beaucoup de mal à nous arrêter de rire. Et il est impossible de le déconcerter. L’autre jour, à une soirée monstre donnée par un ambassadeur anglais [45], il a conduit la symphonie ridiculement enfantine écrite par ce dernier, avec sur ses lèvres un sourire de sarcasme presque imperceptible mais avec la plus parfaite politesse. Il n’a pas été rejeté le moins du monde mais seulement moqué, alors que moi qui était si vexée de le voir diriger quelque chose d’aussi stupide, j’avais envie de pleurer [46].

Evidemment, Rebecca a beaucoup charrié Félix avec cette histoire, à quoi il répondit plutôt aigrement : « Quand je joue pour Lord Westmorland quatre Motets, un Magnificat et quatre valses de sa composition, je suis vraiment incapable de me former un jugement… » [47].

Quelques jours plus tard, Rebecca raconte :

Je n’ai rien d’important à dire. Le seul événement marquant de la semaine dernière a été la visite du Pape qui a enchanté Dirichlet. Sa sainteté n’a parlé avec eux que de mathématiques et de mathématiciens, pendant plus d’une demi-heure. Et ce avec beaucoup plus de compétences que Lady Somerville [la fameuse mathématicienne Anglaise]. Ils pensent [Dirichlet et Jacobi] qu’il s’était préparé au préalable [48].

Fanny répond (9 janvier 1844) :

Le psaume de Félix pour le jour du nouvel an est magnifique et a été très bien interprété. Malheureusement, tout a été gâché par le sermon de Strauss qui était misérable au-delà de toute description. Profiter pleinement de la musique [de cathédrale] semble être hors de portée, car bien qu’une chorale puisse être formée, il semble sans espoir de trouver un prêtre un tant soit peu sensé. Félix aurait dû aussi entreprendre de faire le sermon lui-même, mais après tout, c’est plus qu’on ne peut en demander [49].

Fanny écrit (le 18 mars 1844) à propos d’un Sonntagsmusik particulièrement flamboyant : « Il y avait vingt-deux voitures dans la cour, Liszt ainsi que huit princesses étaient présents dans la salle… » Cela dit, je « t’épargnerai la description de toutes ces splendeurs… et je te donnerai juste mon programme : quintette de Hummel, duo tiré de Fidelio, variations de [Ferdinand] David jouées par le petit Joachim qui n’est pas un enfant prodige mais des plus dignes d’admiration […] » [50]. Par ailleurs, Félix est en train de composer un arrangement pour une représentation d’Israël en Egypte avec 450 musiciens, en même temps qu’il prépare son orchestre pour la neuvième de Beethoven. C’est à peu près à ce moment-là que Fanny dit à Rebecca : « Maintenant que je suis si proche des quarante ans, je pense combien je serai jeune et vivante à cinquante (...) [51] ».

Errance

Il n’en fut pas ainsi. Fanny mourut trois ans plus tard, à l’âge de quarante-deux ans. Elle était au piano répétant pour le Sonntagsmusik de cette semaine-là, quand elle fut prise d’une attaque d’apoplexie, elle décéda le même jour. Fanny atteignait alors le sommet de ses capacités de compositeur. Son œuvre la plus aboutie, le Trio avec piano en Ré mineur, composé pour l’anniversaire de Rebecca, le 11 Avril, en témoigne avec puissance. Au cours de sa dernière année, Robert von Keudell [52] l’exhortait à composer et publier des œuvres de cette envergure. Elle écrit dans son journal :

Il ne me laisse pas une minute et me maintient dans un état constant d’activité musicale, tout comme le faisait Gounod. Il étudie avec le plus grand intérêt tout ce que j’écris de nouveau, m’indique ce qu’il manque, et en général, il a raison. [53]

Fanny appréciait beaucoup ses analyses et ses encouragements.

Ce printemps-là, Robert et Clara Schumann visitaient Berlin, envisageant de s’y installer. Le 15 Mars 1847, Rebecca et Lejeune accueillirent les Schumann et les Hensel. Mis à part Félix qui se trouvait en Angleterre, c’était le même groupe qui s’était réuni à l’automne 1835 à Leipzig. Dirichlet porta un toast à la santé des Schumann « en des termes très beaux quoiqu’un peu difficile à comprendre », selon les dires de Clara. Lejeune faisait référence à la cantate de Schumann, Le Paradis et la Péri, qui se jouait à Berlin à cette époque-là. Cette cantate s’inspire du conte Lalla-Roukh du poète et compositeur irlandais Thomas Moore. [54] (Fanny avait 16 ans, lorsqu’elle remarqua Wilhelm Hensel pour la première fois alors qu’elle visitait une exposition présentant ses tableaux inspirés par ce même Lalla-Roukh.) Clara décrit cette soirée dans son journal :

Je me suis prise d’une grande affection pour Madame Hensel, je me sens particulièrement attirée par elle pour ce qui a trait à la musique. Nous nous accordons à merveille et sa conversation est des plus intéressantes. Le seul petit bémol c’est qu’un temps d’adaptation est nécessaire pour s’accoutumer à ses manières quelque peu bourrues. [55]

Clara rejoindra finalement Fanny pour présider un de ses Sonntagsmusik.

Lorsque Clara apprit la nouvelle du décès soudain de Fanny en mai, elle dit à un ami : « Cette nouvelle m’a vraiment bouleversée, j’avais un tel respect pour cette femme remarquable, j’aurais vraiment dû en profiter pour apprendre à mieux la connaître. » [56]. Les Schumann annulent finalement leur projet de déménagement à Berlin. Robert Schumann note dans son journal : « Madame Hensel… dont l’esprit et la profondeur de sentiments s’exprimaient à travers son regard. » Son époux, Wilhelm, dessine Fanny sur son lit de mort puis cesse définitivement de peindre. Leur fils, Sébastien, part vivre chez les Dirichlet.

On ne sait pas si durant ces dernières semaines le jeune Bernhard Riemann assista à l’un des événements musicaux organisés par Fanny (ou à l’un des récitals de Clara). En effet, le jeune homme de vingt ans arriva à Berlin pendant la période de Pâques afin d’étudier avec Dirichlet et Jacobi. Il jouait certainement du piano et assistait à des concerts. Cependant le Sonntagsmusik prévu le 9 mai chez Fanny n’eut pas lieu et Riemann n’était alors à Berlin que depuis quelques semaines. Nous en savons plus sur la présence de Riemann aux Musikabend de Mendelssohn (sic : Rebecca), huit ans plus tard à Göttingen.

Félix rentrait d’un voyage éreintant en Angleterre, lorsqu’il apprit le décès de sa sœur. Il s’effondra et ne s’en remit jamais vraiment. Cet été là, il composa un quatuor unique en son genre et profondément envoûtant en hommage à sa sœur (Opus 80), un don pour quiconque souhaiterait comprendre ce que ces deux âmes signifiaient l’une pour l’autre. Le 9 octobre, alors qu’il était au piano, Félix fut pris d’une attaque d’apoplexie tout comme sa sœur avant lui. Après une série d’attaques dans les semaines suivantes, Félix mourut ayant survécu moins de six mois à sa sœur. Il avait 38 ans. Aux funérailles, les amis du défunt lui chantèrent un dernier adieu, le dernier chœur de la Passion selon Saint Matthieu de Bach. Robert Schumann, l’un des porteurs du cercueil, dit :

[Nous] l’estimions non seulement en tant qu’artiste mais également en sa qualité d’homme, d’ami. Sa mort représente une perte incalculable pour tous ceux qui le connaissaient et l’aimaient. Des milliers de tendres souvenirs me viennent à l’esprit…, j’ai l’impression que le chagrin causé par son décès durera tant que nous vivrons. [57]

Le vagabond

Schumann-Portal

De l’âge de 12 à 16 ans, Joseph Joachim fut l’élève de Mendelssohn, partageant avec lui les meilleurs moments de sa jeunesse. Ne s’attendant pas à ce qu’une telle collaboration cesse si brutalement, Joachim fit sienne la devise « Frei aber einsam » (Libre mais seul), une situation qui perdurera pendant les six années suivantes. Entre 8 et 12 ans, Joachim avait appris le violon auprès de Joseph Böhm, directeur du Conservatoire de Vienne, violoniste préféré de Beethoven pour ses quatuor à cordes tardifs. Les soirées quatuor de Böhm fascinaient particulièrement le jeune violoniste. Alors qu’il avait 12 ans, sa cousine, Fanny Wittgenstein [58] l’emmena au tout nouveau conservatoire de Mendelssohn à Leipzig. Mendelssohn confia à son ami Ferdinand David, le professeur de violon au Conservatoire, qu’il n’y avait rien de plus à enseigner à Joachim sur la technique, mais seulement sur la musique. Mendelssohn dirigea l’orchestre du Gewandhaus où Joachim interpréta le concerto pour violon de Beethoven, à l’époque complètement laissé à l’abandon et ressuscité grâce à leur collaboration. Joachim joua également le concerto pour violon de Mendelssohn, écrit au départ pour David. Félix emmena Joachim avec lui dans plusieurs de ses tournées et lui permit de s’investir dans la meilleure des musiques pendant ces quatre ans. Mais la disparition soudaine de Fanny et de Félix brisa le mouvement qui visait à ressusciter la méthode classique de Bach, et les requins se lancèrent à l’attaque de Schumann.

La situation s’envenime

En 1845, Franz Brendel, un disciple de Hegel, lança une attaque contre l’alliance de Schumann et Mendelssohn. Il parvint à prendre le contrôle du Neue Zeitschrift für Musik de Schumann (Nouveau Journal de la Musique) et le transforma en un organe de propagande du concept de « Zukunftsmusik » ou « Musique du futur » de Wagner et Liszt. Ce que cela signifie en réalité : Bach c’est la musique du passé, un bon Bach est un Bach mort. La suite logique : Seul un juif étranger oserait essayer de toucher l’âme des Allemands par le biais de leur véritable patrimoine. Mais, pour cette première attaque, Brendel emploie une terminologie hégélienne bien plus élégante. Dans son essai publié en 1845, Robert Schumann eu égard à Mendelssohn-Bartholdy et au développement de l’art musical en général [59], il tente d’éloigner Schumann du brillant Mendelssohn, qui pourrait tout à fait être le « représentant contemporain du classicisme » mais qui, précisément pour cette raison, doit absolument être rejeté pour préserver notre avenir.

Brendel commence par opposer Mozart, le sérieux (vous savez qu’il est autrichien, n’est-ce pas ?) à Beethoven, le subjectif. Il poursuit : Mendelssohn, trop attaché à Bach, n’est jamais parvenu à digérer les dernières œuvres de Beethoven ; Schumann quant à lui a commencé par le subjectif, il éprouve de profonds sentiments intimes et une « personnalité très proche de la nouvelle époque littéraire ». Mendelssohn atteint les « objectifs d’un âge révolu, et déclenche en même temps la polémique, qui s’exprime tout particulièrement à travers ses créations elles-mêmes, contre la musique purement romantique[…] et contre les tendances artistiques elles-mêmes lorsqu’elles servent à exprimer le mouvement progressiste de l’histoire. » Plus loin, « notre critique de son manque de sensibilité moderne est également justifiée […] [Il] donne une forte impression du Classique et de la perfection, ce qui, d’un certain point de vue, est comparable à ce qu’on peut observer chez Goethe et Schiller (...) [Il] représente le Classique d’aujourd’hui, et ainsi, il n’exprime pas le caractère de toute la période, et encore moins de ses efforts à venir. »

A quoi Brendel réagissait-il ? Félix avait passé les vingt années précédentes à se battre pour la civilisation occidentale, principalement en réintégrant la culture allemande par le biais de la poésie et du contrepoint de J.S. Bach. Un petit résumé devrait suffire. Félix n’était pas Beethoven, mais entre 1825 et 1827, Fanny et lui se lancèrent un défi : maîtriser les dernières œuvres de Beethoven. En 1825, à l’occasion du vingtième anniversaire de Fanny, Félix lui offrit la Sonate Hammerklavier pour piano (Opus 106) ainsi qu’une lettre de « Beethoven » (c’est en fait Félix qui imite l’écriture de Beethoven) :

A mon âge et dans la solitude de ma chambre déserte, des choses me traversent la tête qui ne sont pas forcément agréables à tout un chacun. Quand je trouve des personnes qui viennent vers cette mienne musique et donc vers mon état d’âme le plus secret ; quand ces personnes traitent amicalement le vieil homme solitaire que je suis, alors elles me rendent un service dont je leur suis très reconnaissant […] A cause de cette amitié, je prends la liberté de vous envoyer ma Sonate […] Je ne l’ai pas conçue pour jeter de la poudre aux yeux : ne la jouez que lorsque vous en aurez le temps, car elle en a besoin, elle n’est pas des plus courtes. [60]

Et quand Beethoven mourut en 1827, Félix alors âgé de 18 ans composa son premier quatuor à cordes (op. 13), faisant ainsi à Beethoven le serment sacré et musical qu’il lui serait éternellement fidèle [61]. L’année suivante, Félix écrivit une cantate à l’occasion d’une conférence scientifique organisée par Humboldt à Berlin (Dirichlet y participait), il en écrivit une autre pour le 400ème anniversaire de la naissance d’Albrecht Dürer, il entreprit également de faire renaître la Passion selon Saint-Matthieu de Bach. Plus tard, Mendelssohn unit ses forces à celles de Robert Schumann et Clara Wieck à Leipzig en 1835. Cela conduisit à des collaborations nombreuses et fécondes, sortant notamment Franz Schubert de l’oubli. En effet, dix ans après la mort de Schubert, Schumann trouva le manuscrit de la 9ème symphonie de Schubert, dite Grande Symphonie ; elle fut exécutée pour la première fois en 1839 par Mendelssohn [62]. L’abondance des œuvres à la fois vocales et instrumentales de Schumann pendant sa première année de mariage (1840-41) fut un heureux présage pour la suite de son œuvre.

L’avertissement de Brendel à l’attention des Schumann était clair – il n’eut pourtant pour effet que de renforcer leur collaboration. En Décembre 1845, Clara écrivit à Félix :

Mon époux est très occupé ces derniers temps, et à Noël, il m’a surprise et ravie avec les ébauches d’une nouvelle symphonie. Il est complètement possédé par la musique, à tel point qu’il est impossible de faire quoique ce soit avec lui, c’est ainsi que je l’aime.

Elle voyagea ensuite de leur domicile à Dresde jusqu’à Leipzig pour jouer avec Félix à la Gewandhaus la fantaisie de son époux [63]. Ce fut la dernière fois que les Schumann firent de la musique avec Félix.

Liszt : de pire en pire

En Juin 1848, peu de temps après que Robert ait porté le cercueil de Félix en terre, l’étrange Liszt apparut à Dresde où les Schumann vivaient désormais. Après avoir discuté avec Wagner ce matin-là, il se rendit chez les Schumann. Il voulait que Clara organise pour le soir même un Musikabend. Clara et deux associés de Félix à Leipzig, David (violon) et Grabau (violoncelle) jouèrent le trio en ré majeur de Beethoven puis deux œuvres de Schumann : le trio en ré mineur et le quintette avec piano. Liszt arriva avec deux heures de retard, manqua le morceau de Beethoven, complimenta le trio de Schumann et critiqua le quintette, le jugeant un peu trop « leipzigien » – ce qui voulait dire un trop influencé par Mendelssohn. Clara raconte qu’après le repas Liszt s’est approché du piano, il « a commencé à jouer de façon si abominable que je me sentie gênée au plus haut point d’avoir à rester et écouter plutôt que de pouvoir quitter la pièce au plus vite comme le fit Bendemann. » [64]. Liszt se mit ensuite à attaquer Mendelssohn jugeant qu’il n’était pas à la hauteur de Meyerbeer. Il se peut que Liszt se soit agacé en se souvenant de l’habitude qu’avait Mendelssohn de parodier ses propres interprétations. Il se peut également que tout cela ait été prémédité afin de forcer la main de Schumann. Toujours est-il que la comparaison avec Meyerbeer ne constituait pas en soit une insulte. Liszt savait bien que cette affirmation ne pouvait être prise au sérieux. Ceci dit, Meyerbeer et Mendelssohn étaient des cousins éloignés, tous deux descendants du célèbre Rabbin Isserles de Samocz. En les désignant ensemble, Liszt insinuait à Schumann que les juifs ne peuvent être comparés qu’à d’autres juifs et que les non-juifs n’étaient pas concernés. Schumann, habituellement taciturne, se leva du fond de la pièce :

Meyerbeer est un pygmée comparé à Mendelssohn… un artiste qui a fait beaucoup non seulement pour Leipzig mais pour le monde entier, vous feriez mieux de tenir votre langue !

Schumann partit fou de rage [65]. Liszt fit d’abord mine de ne pas prêter attention à la réaction de Schumann, mais voyant les visages des personnes présentes, il comprit qu’il avait mal évalué la situation. Il se tourna alors vers Cosima, lui dit que son mari (Wagner) était la seule personne au monde à qui il permettrait de lui parler de la sorte et prit congé.

l’histoire par l’image

Encore pire : le pitbull de Liszt

L’année suivante, Liszt et sa maîtresse, la Comtesse de Sayn-Wittgenstein, se firent les protecteurs et bienfaiteurs de Wagner. Celui-ci publia alors, sous un pseudonyme, son attaque contre Mendelssohn et Schumann : Das Judenthum in der Musik (Le Judaïsme dans la musique) [66]. Comment faire pour qu’un rédacteur en chef accepte de publier un article au caractère si polémique et sans auteur ? Ce ne fut finalement pas si difficile. L’article fut publié dans le Neue Zeitschrift für Musik dont le rédacteur en chef n’était autre que Franz Brendel qui s’attaquait déjà à Mendelssohn et Schumann en 1845 – mais cette fois-ci, Mendelssohn étant mort, ils pouvaient le faire sans le verbiage hégélien.

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A cette époque, Wagner était en exil à cause de ses activités anarchistes dans la « Révolution de 1848 » à Dresde – qui en réalité n’y eut lieu qu’en 1849. Il chercha refuge dans un premier temps dans le château d’Altenbourg de la comtesse, où elle et Liszt cohabitaient. C’est dans ce repaire, où il fut parrainé et aiguillé, que commencèrent les années « de cavale » de Wagner... Son essai fut envoyé à Brendel en 1850, depuis Paris, sous le pseudonyme « K. Freigedank » (K. Libre-penseur [67]. Ses attaques contre Mendelssohn visent surtout sa musique qu’il qualifie de douceâtre, qui tinte sans profondeur. A propos de Heine et de l’Allemagne, il explique que les vers ne s’attaquent qu’aux cadavres :

Aussi longtemps que la musique possédait en soi une vie organique intense, (...) nous ne trouvions pas trace de juifs dans la musique. Ce n’est que lorsque la vie organique de celle-ci périclita, que les éléments extérieurs prirent suffisamment d’empire pour s’en rendre maîtres et la décomposer. La chair d’un tel cadavre, grouillant de vers, peut se dissoudre, mais il n’est personne qui puisse pour autant le considérer comme une chose vivante.

Libre-penseur conclut que si les artistes juifs souhaitent aider l’Allemagne, la solution juive est l’auto-annihilation.

Prenez part, en toute loyauté, à cette œuvre rédemptrice et nous serons alors unis et tous pareils. Mais songez bien qu’une seule chose peut vous conjurer de la malédiction qui pèse sur vous : la rédemption d’Ahasvérus, l’anéantissement.

Ne vous méprenez pas, Wagner ne parle pas ici de conversion. Mendelssohn et Heine s’étaient déjà tous deux convertis au Christianisme précédemment et une telle démarche ne répondait pas à son objection. Il entendait exactement ce que Nietzsche adorait chez lui – les juifs sont de partisans entêtés du monothéisme, également la grande force du Christianisme, qui doit être extirpé.

Mais son essai, aussi répugnant soit-il vis à vis des juifs et des chrétiens, l’est encore plus vis à vis de « nous les Allemands ». Wagner affirme que son article est destiné à « expliquer à nous-mêmes l’involontaire répugnance que nous avons à l’encontre de la nature et de la personnalité des juifs, afin de justifier ce dégoût instinctif que nous reconnaissons pleinement comme plus fort et plus irrésistible que notre zèle conscient de nous en délivrer. » Combien d’injures peut-on lire en une seule phrase ? Tout d’abord, la nature juive nous serait étrangère et nous éprouverions pour elle une « involontaire répugnance ». Cette répugnance serait un fait légitime de la vie, que nous aurions tenté de nier par « notre zèle conscient ». Autrement dit, la culture de Bach, Mozart, Moses Mendelssohn, Beethoven, Goethe et Schiller aurait artificiellement nourri cette dénégation. Libre-penseur donne le conseil suivant : Ne combattez pas la plus profonde de vos inclinations innées. Lâchez la bête ! C’est le Docteur Folamour ne retenant plus son bras droit.

Sophisme par excellence – et la « plus parfaite malhonnêteté »

Autant Wagner était enragé, autant Liszt était un dissimulateur jésuitique, froid et calculateur. Voici un échantillon de leurs échanges de l’époque où Wagner était en exil. Wagner écrit à Liszt : « Quoi que mes passions exigent que je sois, je le deviens pour un temps – musicien, poète, chef d’orchestre, auteur, maître de conférences ou autre. » Le 29 juillet 1849, Liszt lui envoie de l’argent et le conseille sur les polémiques à éviter [68] :

PS. Abstiens-toi religieusement dans tes articles de journaux de toute allusion politique à l’Allemagne, et laisse en paix les princes royaux. Dans le cas où l’occasion se présenterait de faire en passant un compliment discret à Weimar, donne libre carrière à tes souvenirs, mais en prenant des gants, comme il se doit.

Le 4 août 1849, Wagner joignit son article Die Kunst und die Revolution à sa lettre à Liszt :

Goûteras-tu ce travail ? je l’ignore ; mais ce dont je suis sûr, c’est qu’au fond tu es d’accord avec moi. J’espère que tu n’y trouveras pas trace des lieux communs politiques, du galimatias socialiste ni des attaques personnelles contre lesquelles tu m’as mis en garde ; mais si je vois au fond des choses ce que j’y vois, il faut l’attribuer uniquement à ce fait qu’étant donné ma nature d’artiste et les souffrances qu’il lui faut endurer, mes yeux se sont ouverts de telle sorte que la mort seule pourra les refermer. J’entrevois pour moi ou bien une existence absolument inutile, ou bien une activité telle qu’elle répondra aux besoins les plus intimes de mon être, même si elle doit s’exercer dans l’ombre. Dans le premier cas, je tâcherai d’abréger. (...) Je ne sais pas trop si tu dois lui [Sayn-Wittgenstein] montrer mon manuscrit : j’y suis grec [c’est à dire pour Wagner ‘non chrétien’ ou ‘païen’ et non pas ‘classiciste’] à tel point que je n’ai pas pu bien me convertir au christianisme. Mais je radote, comme si vous n’étiez pas gens à me comprendre. Pardon. Adieu, cher et unique ami.

Ici Wagner met dans le mille. Bien que la comtesse soit apparemment une catholique fervente, elle est foncièrement médiéviste et Liszt, avec et sans elle, deviendra adepte au fil du temps du sensualisme, de l’ascétisme et du médiévisme du sang et du sol.

Wagner encense Liszt : « L’ami Uhlig, que je considère comme un juge d’une compétence remarquable, me fait dire que cette seule ouverture [celle de son Prométhée] vaut plus à ses yeux, que tout Mendelssohn. » Malgré cela (ou peut-être à cause de cela), Liszt tire les ficelles de la marionnette. Il prétend ignorer les activités auxquelles s’adonne Wagner, conduisant celui-ci au désespoir :

Tu me poses une question à propos du Judenthum (Judaïsme). Tu sais certainement que l’article est de moi ; pourquoi me le demander ? (...) J’avais une vieille dent contre cette juiverie, et cette rancœur est aussi nécessaire à ma nature que la bile l’est au sang. Un jour vint où ce maudit griffonnage juif porta ma colère à son comble, et alors je finis par éclater ; le coup a porté ; il semble avoir été terrible, et j’en suis bien aise, parce que je voulais faire trembler ces gens-là...

On n’en attendait pas moins de la part de Wagner – mais il en rajoute :

Car ils [la communauté juive] resteront les maîtres, cela est certain, de même qu’il est positif qu’aujourd’hui ce ne sont pas nos princes, mais les banquiers et les épiciers qui règnent.

Wagner ne voulait qu’effrayer les Mendelssohn et les Heine parce que, de son point de vue, les banquiers juifs contrôlent le monde. Les véritables pratiques usurières peuvent détruire le pays, quels qu’en soient les auteurs, mais rien ne pourrait changer ce simple fait ! (Et si vous croyez que Wagner ne peut pas aller plus loin dans l’ordure, attachez vos ceintures...)

L’âme torturée de Wagner conclut en faisant référence à l’aide musicale et financière que Meyerbeer lui a fournie à Paris dans les années 1830 :

Mes rapports avec Meyerbeer ont un caractère tout particulier : je ne le déteste pas, mais il m’est antipathique au delà de toute expression. Cet homme éternellement aimable et complaisant me rappelle, à l’époque où il se donnait encore l’air de me protéger, la période la plus obscure, je dirais presque la plus immorale de ma vie (...)

Gardez en mémoire le fait qu’il écrit ici à son protecteur du moment, Liszt, qui a demandé à Wagner s’il était l’auteur de Judenthum. Il poursuit : « (...) c’était la période des hautes relations et des escaliers dérobés, celle où nous sommes bernés par des protecteurs pour lesquels nous n’avons pas le moindre attachement. Ce sont là des rapports absolument déloyaux : nulle sincérité ni d’un côté, ni de l’autre ; l’un comme l’autre se couvre du masque de l’affection, et tous deux ne s’exploitent qu’aussi longtemps qu’ils y trouvent leur avantage. » Liszt torture Wagner, et Wagner écharpe Liszt. Wagner et Liszt se comprennent l’un l’autre. Mais bien que Wagner puisse se conduire de manière malveillante de diverses manières, il est tout de même assez transparent. Que le lecteur garde cela en mémoire s’il vient à se demander quelle place Liszt aurait en enfer. Clara Schumann, Brahms et plus particulièrement Joachim permettront de clarifier les choses.

« L’obsession Mendelssohn » de Richard Wagner

En 1869, Wagner publiait son Judenthum [Das Judenthum in der Musik, « Le Judaïsme dans la musique », Ndt], cette fois-ci sous son vrai nom. C’est à cette époque que la fille de Liszt, Cosima, a commencé à rédiger son journal intime, alors qu’elle venait tout juste d’emménager dans la résidence de Wagner (elle avait quitté son mari, le chef d’orchestre Hans von Bülow, en novembre 1868, alors qu’elle était enceinte de deux mois du futur fils de Wagner, Siegfried). Son journal nous éclaire sur la teneur de leurs discussions, au moment même de la sortie de la seconde édition du Judenthum.

19 janvier : « Il continue d’affirmer que l’émancipation des juifs a bridé toutes les impulsions allemandes. Nous avons remarqué combien les musiciens allemands étaient robustes et rugueux dans le passé, comparé aux musiciens juifs d’aujourd’hui, généralement élégants et éduqués. »

27 janvier : « R. [Richard] a lu le livre de Devrient sur Mendelssohn – il ressort clairement, ce qui est comique, que Devrient est un acteur de théâtre inculte et que Mendelssohn est un juif. » Eduard Devrient était issu d’une famille d’acteurs spécialisés dans le théâtre de Shakespeare et de Schiller. Il avait travaillé aux côtés de Mendelssohn afin de sortir de l’oubli la Passion selon St Matthieu de Bach, dans laquelle il avait chanté le rôle du Christ.

28 janvier : « … Le livre de Devrient... Quel ennui ; mais comme il est éclairant et confirme ce que R. a écrit dans son essai. » Voici qui prouve, contrairement à ce que prétendait Wagner lui-même, que son essai portait bien sur Mendelssohn.

Wagner était hanté par la mort de Mendelssohn, et Cosima l’aida à se construire un raisonnement rationnel. Dans son journal, elle rapporte que le 14 février, « au dîner, R. m’a demandé de développer une pensée que j’avais exprimée à propos de Weber et de Mendelossohn. Il avait remarqué que les cendres de Weber avaient été ramenées à Dresden 18 ans après sa mort, tandis que Mendelssohn était déjà mort depuis 22 ans ; au moment du transfert des cendres de Weber, il lui semblait s’être écoulé une éternité depuis sa mort, tandis que l’annonce de la mort de Mendelssohn lui semblait d’hier. »

Wagner est contrarié que la mort de Mendelssohn lui semble si réelle et si proche, et Cosima tente de dédramatiser :

Je lui ai dit que... il me semblait qu’un génie tel que Weber sera très bientôt imprégné d’une aura et d’un halo du passé, tandis que le souvenir d’une personnalité comme Mendelssohn n’est préservé que parce de nombreuses personnes l’ayant connu sont toujours vivantes aujourd’hui, et qu’elles en maintiennent la mémoire. Une telle ombre ne peut grandir, elle ne peut que disparaître ; le génie, au contraire, est destiné à devenir une légende immédiatement après sa mort ; comme si on avait du mal à croire qu’on le connaissait...

Elle continue dans la même veine.

La théorie de Cosima l’intrigue, mais Wagner a besoin qu’on lui répète plusieurs fois pour s’en convaincre. Ainsi la discussion continue ; Cosima y revient par la suite en apportant un argumentation supplémentaire, que l’on retrouve dans son journal : La tristesse que ressent l’humanité à la perte d’un génie participe également à créer l’illusion. Chaque fois que le souvenir revient à l’esprit, cela produit de la souffrance, souffrance qui double et triple avec le temps. Le sentiment honteux qu’une perte comme celle de Mendelssohn nous évoque, empêche que se grave dans nos esprits le sens qu’il est réellement mort.

Un nouvel argument irrésistible de Cosima pour démontrer que c’est en raison de l’insignifiance de Mendelssohn que sa mort reste fraîche dans les esprits.

Wagner était un personnage pervers ; mais sa perversité le faisait souffrir. Son principal péché était sans doute sa propension à se soumettre à des esprits sophistiqués tels que Liszt et Cosima, dont la casuistique a nourri et accru ses dispositions bestiales.

L’aveu : la cible était Schumann

En 1869, à l’occasion d’une nouvelle attaque contre les juifs, Wagner publia de nouveau son article, mais cette fois sous son vrai nom. A cette occasion il exprima clairement son ressentiment contre Mendelssohn lié à sa collaboration avec Schumann. Wagner commence par s’offusquer contre Edouard Hanslick et sa défense de Mendelssohn de 1854 :

Il [Hanslick] écrivit un libelle sur le Beau dans la musique, dans lequel il travailla avec une habilité extraordinaire en direction du but général qui est commun à l’ensemble de la judaïté musicale. (...) en incluant tout naturellement Mendelssohn dans la lignée de Haydn, Mozart et Beethoven (...). [69])

Wagner poursuit, déplorant l’influence de Mendelssohn sur Schumann :

(...) il n’est pas étonnant que, dans sa seconde période, Schumann ait considéré de façon si jalouse, renfrognée et maussade ceux à qui, au cours de sa première période, il avait tendu la main avec tant de chaleur et d’amabilité allemande en tant qu’éditeur de la Neue Zeitschrift für Musik. (...) C’est dans ce même confort que le génie de Robert Schumann s’est enfoncé lorsqu’il lui devint pénible de tenir tête à l’esprit juif industrieux et inquiet ; il était fatigant pour lui de devoir toujours, aux mille traits isolés qui se présentaient à lui, se figurer clairement ce qui se passait. C’est ainsi qu’il perdit sans s’en rendre compte sa noble liberté, et maintenant, ses vieux amis [i.e. Wagner et Liszt] qu’il a fini par renier, le voient mené en triomphe par les juifs musiciens [Hanslick] qui le considèrent comme l’un des leurs !

Et pour finir, à qui Wagner dédia-t-il ces réflexions ? « A Madame Marie Mouchanoff, née comtesse Nesselrode » qui était en visite chez les Wagner à cette époque (son arrière petit-fils, Richard Coudenhove-Kalergi [70], fondera le mouvement paneuropéen). Ils avaient un intérêt commun dans l’offensive politique ultramontaine qui s’attaquait à l’unification et la modernisation de l’Allemagne présentée comme un complot juif. Dans ce même pamphlet qui s’attaquait à Schumann et Hanslick, Wagner confia à Mouchanoff :

Nos libéraux et nos hommes de progrès ont à souffrir cruellement du fait que les anciens partis d’opposition conservateurs les mettent dans le même panier que les juifs et leurs intérêts spécifiques ; lorsque les ultramontains romains demandent comment une presse dirigée uniquement par des juifs peut être habilitée à participer à la discussion des affaires de l’Eglise chrétienne, ils posent une question fatalement pertinente, et qui s’appuie du moins sur l’exacte connaissance des rapports de dépendance des grands journaux en question.

Peu de temps après, le jeune Nietzsche entra en scène, informant les Wagner des accusations de leurs ennemis. Ces derniers, comme l’écrit Cosima dans son journal intime, affirmaient que les Wagner étaient en train de faire « une alliance avec le parti catholique ; la preuve : Mme Mouchanoff, dont la fille soutient les catholiques avec ferveur, etc. (...) »

L’art moral de vaincre le diable

Joseph Joachim, libre mais seul, se mit à errer. Pendant deux ans (1850-1852), il se joignit aux jeunes musiciens qui entouraient Liszt à Weimar, dans l’idée de tirer la musique vers le futur. Joachim et Liszt eurent une fois l’occasion d’entendre Bach joué à l’orgue. Joachim s’exclama : « Quelle musique divine », ce à quoi Liszt répondit : « Hmm. C’est sec... ». Joachim étonné rétorqua : « Hé bien, je dois dire que je préfère ça à de la gelée ». Comme le rapporte Clara : « après cela, Liszt a très vite disparu » [71]. Au moment de quitter Weimar, Joachim pensait encore que Liszt, bien que doué, était un talent gâché sans être pour autant malfaisant. Cela changea par la suite. A la fin de l’année 1851, Clara était plus catégorique à propos de Liszt :

Il jouait avec un brio démoniaque, comme à chaque fois, avec la maîtrise du diable en personne (Je ne trouve pas de moyen de le dire autrement). Oh, quelles compositions terrifiantes ! Si un débutant composait de telles choses, on pourrait mettre ça sur le compte de son âge, mais que peut-on dire quand un homme mature se trouve égaré à ce point. Nous nous sentîmes tous deux très mal, c’était tellement déprimant. Liszt lui-même sembla offensé que nous n’ayons rien à dire. Mais comment le pourrait-on quand on se sent si en colère ? [72]

Brahms et Joachim à Göttingen

L’errance de Joachim touchait à sa fin. Il rendit visite aux Schumann durant l’été 1853 et Clara l’accompagna sur la sonate pour violon en la mineur de Robert. A la fin du mois de mai, Joachim interrompit ses concerts pour participer à des conférences à Göttingen. Il y assista à des présentations sur Pythagore et les Ioniens, et aux cours d’histoire de Georg Waitz [73]. Clara lui écrivit à propos de sa visite : « Nous vivons encore dans la mémoire de ces heures glorieuses que vous nous avez accordées. En espérant que ces heures du passé puissent se renouveler très prochainement. »

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Le jeune inconnu, Johannes Brahms, était en tournée en tant que pianiste pour Eduard Remenyi [74], un violoniste hongrois. Remenyi et Joachim avaient tous les deux étudié le violon auprès de Joseph Böhm une décennie auparavant. Lors de leur concert à Göttingen, Joachim fut frappé par le jeu pianistique de Brahms. Il écrivit : « Que se passerait-il si nous nous rencontrions chez Wehner » pour jouer ensemble ? [75] Joachim décrit sa première rencontre avec Brahms :

Jamais dans le cours de ma vie d’artiste je n’ai été comblé d’une surprise aussi merveilleuse que lorsque le camarade de mon compatriote, blond et intimidé, me joua les mouvements de sa sonate que je trouvai d’une force et d’une originalité inimaginables, tout en même temps que noble et inspirée. Son lied, O, versenk dein Leid, fut pour moi une révélation (...) [76].

Cependant, Remenyi fut bientôt forcé de quitter Göttingen, poursuivi par la police de l’Empire Austro-Hongrois. Le duo poursuivit sa tournée jusqu’en juin, à Weimar où il fut donné à Remenyi et Brahms l’occasion de rencontrer et d’entendre Liszt – un événement heureux puisque Remenyi étant enchanté par Liszt, Brahms quitta Remenyi et Liszt pour retrouver Joachim et Göttingen.

Liszt avait évidemment joué quelques œuvres de Brahms, plutôt nonchalamment, et proposé quelques commentaires acerbes sur la façon dont il pourrait améliorer ses compositions, c’est-à-dire pour Liszt les rendre plus excitantes. Il joua alors ses propres œuvres dans une représentation qui laissa Brahms tout à fait indifférent. Le musicien américain, William Mason, qui étudiait avec Liszt, en a raconté l’histoire :

Comme il poursuivait, il en arriva à un passage très expressif qu’il exécutait toujours avec beaucoup de pathos, et dont il escomptait qu’il produirait grand effet sur les auditeurs. Lançant un coup d’œil à Brahms, il l’aperçut sommeillant dans son fauteuil. Liszt continua de jouer jusqu’à la fin de la sonate, puis se leva et quitta la pièce. [77]

Mason n’avait cependant pas lui-même aperçu Brahms endormi. Ce détail de l’histoire lui avait été raconté par Remenyi. (La seule autre version connue de cette histoire, celle de Klindworth, n’en fait pas mention.) De son côté, Remenyi pensait que Brahms ne savait pas comment s’y prendre pour attirer l’attention de Liszt, ce que l’ambitieux Remeny n’eut aucun mal à faire.

Par la suite, Brahms écrivit à Joachim à propos de cette « expérience amère » avec Liszt et lui demanda : « Puis-je vous rendre visite ? » Il passa le reste de l’été à Göttingen à faire de la musique avec lui. Il composa un trio comique à l’occasion des 22 ans de Joachim et tous les deux donnèrent un concert public qui fut un grand succès. Des années plus tard, son Ouverture pour une fête académique se basait et célébrait les souvenirs cet heureux été.

Joachim accéda à la demande de Clara de faire à nouveau davantage de musique et il fit l’éloge de Brahms aux Schumann. De nouveau sur le départ pour donner des concerts, il organisa la fameuse visite de Brahms chez les Schumann. Le 1er octobre, Brahms vint et leur joua quelques unes de ses œuvres. Clara raconte dans son journal :

Brahms nous a joué une fantaisie pour piano, violon et violoncelle, et son joli scherzo en mi bémol mineur. Ce scherzo est une pièce remarquable, un peu jeune peut-être, mais pleine d’imagination et d’idées splendides. Çà et là le son des instruments n’est pas toujours parfaitement adapté au caractère des idées, mais cela est un bien petit détail quand on pense à cette richesse d’imagination et de pensée.

Un commentaire assez différent des conclusions de Liszt trois mois plus tôt. Le journal de Robert mentionne simplement : « Visite de Brahms. Un génie. » Clara, qui avait appris le jour même qu’elle était enceinte de son huitième enfant, se souvient ainsi de l’arrivée de Brahms : « Voici encore un de ceux qui nous arrivent comme s’ils étaient directement envoyés par Dieu. »

Pendant plusieurs semaines, Brahms joua de la musique avec eux, y compris sa sonate en fa dièse mineur. Schumann venait juste de terminer son concerto pour violon qu’il avait envoyé à Joachim. Il passa une grande partie de l’année à réétudier Bach, notamment en travaillant à nouveau les suites pour violoncelle pour chacune desquelles il composa son propre accompagnement [78].

En trois semaines et sans que Brahms n’en ait connaissance, Schumann écrivit son premier article depuis des années dans le Neue Zeitschrift für Musik, les Nouveaux Chemins, annonçant que le monde venait de trouver un musicien de génie, « l’élu ». Brahms « m’a été présenté récemment par un maître estimé et bien connu. Il portait tous les signes extérieurs qui proclament : ‘Celui-là est un élu’. A peine assis au piano, il commença à nous découvrir de merveilleux pays. (...) Ce furent des sonates, ou plutôt des symphonies déguisées ; des chants dont on saisissait la poésie sans même connaître les paroles ; tout imprégnés d’un profond sens mélodique (...) Ses confrères le saluent à son premier voyage à travers le monde où, peut-être, l’attendent des blessures, mais aussi les lauriers et des palmes. Nous le proclamons bienvenu en vaillant combattant qu’il est. » [79].

La carrière du Brahms que nous connaissons aujourd’hui venait de commencer. Ses œuvres commencèrent à être publiées. Schumann qui pendant des années avait tant souffert physiquement et mentalement, réalisait que le projet avorté des Mendelssohn venait de trouver un nouvel espoir. Dans ce contexte, et bien que trois mois seulement avant sa dernière dépression, il prépara un très beau cadeau pour le « libre mais seul » Joachim : une nouvelle sonate pour violon, « Pour anticiper l’arrivée de notre ami révéré et tant aimé, Joseph Joachim... » Schumann écrivit l’intermezzo et le final, son étudiant Dietrich l’allegro d’ouverture, et Brahms le scherzo en ut mineur. Le thème principal est basé sur la devise de Joachim, les notes Fa, La et Mi [NDT notées F, A et E en Allemand] pour « Frei Aber Einsam ». Cette collaboration montrait clairement que Joachim n’était désormais plus seul. Schumann était fou de joie que Joachim lui ait envoyé Brahms et comprenait qu’il y aurait encore une génération de Classiques.

Die Schillerzeit

Pendant des semaines, Joachim se plongea dans les Lettres sur l’éducation esthétique de Schiller. Il écrivit le 25 oct 1853 à Wehner (qui les avait accueillis à Göttingen, Brahms et lui, pour leur premier concert) : « Je vous suis du fond du cœur dans ce que vous dites à propos du journalisme. J’en ai moi-même été tellement abruti, que je me soigne dans les eaux curatives de l’esthétique de Schiller. Ne suis-je pas un bon médecin ? » [80].

Brahms étudiait également Schiller. En décembre, il se trouva à Leipzig pour jouer au Gewandhaus avec Ferdinand David [81]. Selon Hedwige Salomon : « il m’a chaleureusement engagé à lire sans tarder Kabale und Liebe [de Schiller](...). » Elle poursuit dans son journal :

(...) ce jeune Messie de Schumann, (...) et qui, à vingt ans, possède un joli visage clair et libre de toute passion. Pureté, innocence, naturel, force et profondeur – tout cela montre qui il est. On a été tenté de le trouver ridicule et de le juger sans indulgence à cause de la prophétie de Schumann. Mais tout cela est oublié. Maintenant on l’aime et on l’admire. [82]

Il est important de mentionner que Joachim, bien que n’ayant pas rompu ses liens avec Liszt, était désormais capable de cerner la banalité chez la maîtresse de Liszt, Caroline. Il écrivit le 4 décembre 1853 :

Je n’ai rien en commun avec elle, et surtout pas son enthousiasme pour le favori de mon âme, Schiller. La seule chose à propos de Schiller qui pourrait convenir à la nature de la princesse, comme on l’apprend dans les moments les plus supportables de ses papotages sur l’immortel Liszt, serait la grandeur superficielle de ses aspirations. La hauteur de ses idées répond à sa soif de puissance comme le pathos du discours de Schiller répond à son sens polonais de l’orgueil familial et de la dignité royale... mais de la valeur intrinsèque du grand Schiller chez qui l’amour de la justice avait grandi jusqu’à devenir le guide dans l’accomplissement de la vie, de la majesté de cet esprit qui malgré tous les obstacles continuait à croire en la graine en épanouissement de la vérité, de la révérence de Schiller à l’individualité qui s’élève avec son amour pour l’universel, du Schiller dont je parle, la pointilleuse princesse n’a aucune notion.

Mais il lui fallut encore participer durant deux ans aux Musikabend de Rebecca avant de reconnaître la véritable perversité de Liszt.

L’éducation esthétique de Brahms, et Bach

En janvier 1854, Schumann se rendit à Leipzig pour assister à la représentation de son œuvre, Le paradis et la Péri, en partie organisée par Joachim et Brahms. Puis, dans sa dernière lettre à Joachim (le 6 février 1854), il décrivit son étude sur les grandes idées des Classiques en musique : « J’ai découvert en particulier des passages splendides de Platon. » Il est fort possible qu’il mentionne ici, entre autres, le passage du septième livre de La République dont il était question au début de cet article.

Ses dernières compositions sont les cinq variations pour piano, sur un thème qu’il croyait lui avoir été apporté par des « anges transmettant les salutations de Mendelssohn et de Schubert » [83]. Quelques semaines plus tard, le 26 février, il était repêché du Rhin après avoir, semble-t-il, sauté d’un pont. Schumann passa les deux dernières années de sa vie dans un sanatorium. (Les détails de sa maladie sont bien trop compliqués pour être mentionnés ici). Paul, le frère de Rebecca, aida Clara avec un don de 400 thalers. Brahms, qui n’avait que vingt ans, s’occupa des six enfants de Clara, permettant à celle-ci de gagner sa vie en donnant des concerts. Le 11 juin 1854, elle donna naissance à son dernier enfant, et Brahms qu’elle avait rencontré le jour où la grossesse avait été confirmée, en devint le parrain. Elle le prénomma Félix en l’honneur de Félix Mendelssohn.

Brahms passa ensuite une grande partie de la période 1854-1855 à s’occuper du foyer des Schumann. Il se chargea de mettre de l’ordre dans la bibliothèque de Schumann dans laquelle il trouva les annotations du compositeur sur son Album pour la jeunesse. Schumann y indiquait la date du décès de Félix sur une pièce composée dans le style des Romances sans paroles de Félix Mendelssohn. Brahms entreprit de composer son propre Erinnerung an Mendelssohn (Hommage à Mendelssohn), que Clara jugea « très ingénieux » dans son journal (21 avril 1854).

Dans la vaste bibliothèque de Schumann, Brahms se plongea dans une intense étude de Bach, Eschyle, Dante et Shakespeare. (A cette époque, il choisit d’écrire un arrangement pour deux pianos de l’ouverture d’Henri IV de Shakespeare composée par Joachim.) En repensant à cette période « d’éducation adulte », Brahms dira plus tard :

Mendelssohn a eu un grand avantage sur nous : une excellente éducation. Quel effort indescriptible ce fut pour moi de rattraper toutes ces bases à l’âge adulte. [84]

Ces études furent brièvement interrompues en novembre, quand Brahms et Joachim rejoignirent Clara pour une tournée de concerts à Dantzig, Hambourg, Altona, Kiel, Brême, Leipzig et Hanovre. A nouveau, en février 1855 après une visite à Schumann, Brahms raconta à Clara : « Nous avons bien parlé de ses livres et de sa musique, il était heureux comme un roi quand il a vu à quel point je les connaissais bien ainsi que leurs emplacements. » [85].

Le séminaire de Clara à Göttingen

Au printemps 1855, les Dirichlet arrivèrent à Göttingen. Gauss était mort en février et Dirichlet avait pris sa succession comme professeur d’astronomie. Riemann et Dedekind s’attachèrent très vite à lui. Riemann, après ses études avec Dirichlet à Berlin dans les années 1847-1849 était retourné à Göttingen et avait travaillé avec Gauss, Wilhelm Weber et Rudolph Kohlrausch [86]. Quand Dirichlet était venu à Göttingen en 1852, ses discussions avec Riemann s’étaient avérées précieuses pour sa thèse. Riemann avait écrit à sa famille, impressionné du fait que Dirichlet soit venu lire sa thèse pendant plusieurs heures et discuter avec lui des idées. Ils avaient ensuite poursuivi la discussion chez Weber. Cet été-là, Dirichlet parla à Riemann de quelques travaux peu connus d’Abel et de la supériorité de la méthode de ce dernier sur celle de Cauchy. Il est clair que Dirichlet essayait de mettre en avant certains travaux d’Abel en toute connaissance de cause – il avait bien compris le rôle joué par Cauchy dans la « disparition » des travaux d’Abel et il était en outre bien conscient de l’occasion qu’il avait avec Riemann de redresser le cours de l’histoire. En 1854, la dernière année de Gauss, la thèse de Riemann eut un étonnant succès et tout particulièrement son écrit, Sur les hypothèses qui servent de fondement à la géométrie.

En septembre 1855, il fut convenu que Clara viendrait jouer aux Musikabend de Rebecca en octobre, et Brahms prépara également son propre voyage. Il écrivit à son ami Grimm [87] : « Madame Schumann voudrait donner un récital vers la fin du mois d’octobre (entre le 25 et le 28) [dans la période qu’elle passa avec les Dirichlet]... Je souhaitais donc m’enquérir s’il me serait possible de jouer (avec ou sans commission) dans l’un des concerts de Hille (NDA : le directeur de musique de l’université) ? » [88]. Travaillant en profondeur sur Bach, Brahms composa une suite basée sur la première partita de Bach (BWV 825). Clara nota dans son journal le 12 septembre 1855 que Brahms était venu lui en jouer une partie. Grimm en avait également entendu parler et il écrivit à Brahms au début du mois d’octobre ayant déjà organisé sa venue à Göttingen : « Et prenez avec vous votre suite... » C’est finalement Clara à la fin du mois d’octobre, qui présenta chez Rebecca la gavotte tirée de cette suite, en guise de prélude à toute la pièce.

La représentation donnée par Clara chez les Dirichlet captiva son public. Elle commença par l’Appassionata, continua avec deux Lieder de Félix, puis la gavotte de la nouvelle étude de Brahms issue du travail sur Bach. Elle poursuivit avec un nocturne et un impromptu de Chopin, deux ballades de son mari ainsi que ses études symphoniques. (Les modes de variation très variés de cette pièce auront très certainement, à eux seuls, attiré l’attention des mathématiciens.) Elle joua ensuite deux pièces de Fanny, deux des romances sans paroles de Félix et termina avec un rondo de Weber.

Il n’y a pas de preuve écrite de la présence de Riemann à cet événement, mais quelle étrangeté pourrait expliquer qu’il n’y fût pas. Examinons cela de plus près : tout d’abord, Riemann était lui-même pianiste [89]. Il avait pris des leçons quand il était au Johanneum à Lunebourg. Nous savons aussi qu’il avait assisté à une représentation de La Création de Haydn en février 1841 quand il était à Hanovre [90]. De plus, c’est Clara Wieck Schumann qui vint donner une représentation au domicile du professeur de Riemann ! Clara était personnellement liée aux deux penseurs, Fechner et Herbart, que Riemann cite dans ses Fragments philosophiques. Gustav Theodor Fechner était le frère de la belle-mère de Clara ! (Clara n’a que quatre ans quand sa mère biologique quitte le foyer, son père épouse alors Clémentine, la sœur de Fechner.) On peut ajouter enfin que Clara était une grande adepte des travaux de Friedrich Conrad Griepenkerl sur Bach et que Griepenkerl était lui-même un grand admirateur de Johann Friedrich Herbart. Les Fagments de Riemann montrent combien il était fasciné par la formation des concepts et par les formes et/ou structures qui étaient en jeu. (Nous en dirons davantage plus bas à ce propos, quand Brahms jouera l’édition de Bach par Griepenkerl.) Riemann avait d’ailleurs pris très à cœur l’étude des écrits de Fechner et d’Herbart publiés au cours des quatre ou cinq années précédentes.

Il est à noter la présence de quelques scientifiques et mathématiciens à ces Musikabend :

  • Dedekind, l’ami de Riemann, qui jouait du piano pour les danses qui suivaient le travail plus intellectuel [91] ;
  • Wilhelm Weber, le collègue de longue date de Gauss, avec qui Riemann collaborait étroitement. L’intérêt et le travail de Weber pour la musique remontait à plus de trente ans ;
  • Wilhelm Baum, chirurgien en chef à Göttingen et professeur de Theodor Billroth. (Billroth, qui allait plus tard devenir un proche ami de Brahms, avait accompagné la soprano Jenny Lind, favorite de Mendelssohn, quand elle chanta à Göttingen en 1850 à un concert auquel assista Gauss. C’est Billroth qui en 1879 envoya à Brahms Die Familie Mendelssohn de Hensel, qui l’a tant l’impressionné) ;
  • Von Siebold, professeur de médecine, et ses deux filles auxquelles Rebecca fit allusion lors du premier Musikabend à Göttingen. Deux ans après son apparition chez Rebecca, Brahms revint à Göttingen, tomba amoureux et se fiança avec Agathe von Siebold. (Cependant, Brahms rompit ces fiançailles qui furent les seules de sa vie) ;
  • Julius Otto Grimm, professeur de musique, et sa fiancée Phillipine Ritmüller, fille du fabricant de piano de Göttingen ;
  • Hans Sommer, un étudiant de Weber, Dirichlet et Dedekind qui étudia aussi la musique avec Grimm. Plus tard il enseigna au Collegium Carolinum de Braunschweig et fonda l’Association pour la Musique de Braunschweig, où jouèrent Joachim et Clara ;
  • Paul Bachman, étudiant de Dirichlet, pianiste et compositeur. Il devint un bon ami de Dedekind.

En novembre, Clara s’entretint avec Joachim et Brahms au sujet des concerts qu’ils donnaient ensemble à Leipzig et Danzig. Brahms, après plus d’un an d’études intensives de Bach, décida d’ajouter la Fantaisie chromatique de Bach à son répertoire public et aux Musikabend de Rebecca [92]. Entre autres sujets, Clara et Joachim se disputaient encore à propos de Liszt et de leur mission morale. Le fabuleux spectacle de Liszt arriva à Berlin, et Clara quitta la ville précipitamment pour l’éviter. Joachim resta pour l’entendre et rapporta à un ami :

Voir un homme que j’ai souvent appelé un ami, à qui j’ai si volontiers pardonné les folies les plus colossales par respect pour ses facultés, agir envers le public avec une servilité méprisable et avec une hypocrisie révoltante envers lui-même. Honte à ceux qui rencontrent le succès et ne peuvent s’empêcher d’en accentuer les effets, qui s’abaissent à gémir et crier au ciel leur infortune parce qu’ils savent qu’ils ruinent leur talent (...). [93]

Puis il admit à Clara :

J’ai tellement à vous dire, ma chère et compatissante amie, à propos de Liszt et d’autres choses. Il y a longtemps que je n’avais pas été aussi amèrement désillusionné, que je ne l’ai été par les compositions de Liszt. Je dois reconnaître qu’on n’avait jamais tenté un mésusage aussi vulgaire des formes sacrées et une coquetterie plus répugnante encore sacrifiant pour l’effet les sentiments les plus nobles (...) On peut y entendre le mensonge dans chacune des notes et le voir dans chacun des mouvements (...) Moi qui le voyais comme un esprit faillible et puissant, s’efforçant de retourner vers Dieu, j’ai soudain réalisé qu’il n’était qu’un astucieux arrangeur d’effets ayant raté son calcul. Vous aviez raison, chère Madame Schumann, toutes les fois où nous nous disputions à propos de sa véritable nature. [94]

La Fantaisie chromatique de Bach chez Rebecca

A la mi-février 1856, Joachim et Brahms se rendirent chez Rebecca [95]. Ils avaient d’abord répété et discuté chez Joachim à Hanovre d’où Joachim avait écrit à David qui se trouvait à Leipzig :

Brahms […] reste quelques jours de plus à mes côtés (...) [Il] joue du piano plus magnifiquement que jamais et il n’y a pas de fin à la musique. [96]

Une fois à Göttingen, ils donnèrent un concert public dans lequel fut incluse la sonate pour violon Op. 96 de Beethoven qu’ils jouèrent à nouveau chez Rebecca le jour suivant. Brahms écrit à Clara le 22 février 1856 sur un ton sardonique : « Le soir, après le concert à Göttingen, nous sommes tous allés chez Dirikle [Dirichlet, transformé par Brahms]. Moi, tout à fait à contrecœur puisque j’ai une réelle appréhension des coteries et de leurs manières. Naturellement, Joachim a joué le concerto de Mendelssohn, pendant lequel les dames ont beaucoup pleuré (...) J’ai joué la Fantaisie chromatique [ la Fantaisie chromatique et fugue de Bach (BWV 903)] – puis citant Rebecca, ‘que Félix aimait tant jouer lui aussi’, et la Fantaisie Wanderer de Schubert qu’elle ne connaissait pas, et qui d’ailleurs n’a pas vraiment semblé l’intéresser. » [97].

Traduit du ton sardonique de Brahms, cela donnerait quelque chose comme : « Tu m’avais prévenu sur la clique, le groupe spécial, et je suis venu comme tu me l’avais conseillé. Mais ici, Joachim est le héros. Tous revoient en lui l’enfant prodige de Félix. J’ai joué la fantaisie de Bach, mais tu ne m’avais pas dit que tu avais déjà mis Félix sur le même morceau. Je leur ai joué la Wanderer pour fêter le retour de Joachim mais je ne pense pas que Rebecca ait fait le lien. »

Babelio

La Fantaisie chromatique et fugue de Bach a forcément dû interpeller les scientifiques présents – et elle a une histoire particulière. C’est l’un des deux morceaux dont Clara exigeait la maîtrise par ses étudiants. L’une d’entre eux, Adeline de Lara, qui avait été tourneuse de pages pour Joachim, Brahms et Clara, décrit « les cours que Clara donnait à ses élèves... Il y avait deux œuvres en particulier, la Fantaisie chromatique et fugue de Bach et les trente-deux variations en ut mineur de Beethoven, pour lesquelles elle tenait l’interprétation correcte donnée par les compositeurs eux-mêmes. Comment exactement, je ne saurais le dire mais on ne le mettait pas en doute (...) Pendant qu’elle nous donnait la leçon, elle pouvait affirmer ‘c’est comme cela que le voulait Beethoven’, ou concernant la Fantaisie chromatique : ‘Bach le voulait comme ci’, ‘Bach le pensait comme ça’. Et ce jusqu’à ce que l’on se sente en présence de ces grands esprits (...) Personne n’a jamais donné à la Fantaisie chromatique autant de souffle et de richesse de phrasé, ni révélé d’aussi splendides beautés que ne l’a fait Clara Schumann. » [98].

De Lara a également appris de Clara qu’elle et son père étaient des associés personnels de Griepenkerl, l’homme qui en 1819 avait édité et publié la Fantaisie chromatique pour la première fois. Les deux utilisaient cette édition, conçue pour transmettre la manière dont Forkel avait appris de Wilhelm Friedemann, l’ainé des fils de Bach, comment jouer la Fantaisie.

L’exemplaire de la Fantaisie de Griepenkerl venait de W.F. Bach et avait été transmis à Johann Forkel, le biographe de J.-S. Bach à Göttingen. Griepenkerl qui y étudiait la philosophie s’était procuré cet original directement auprès de Forkel. Il écrivit une préface pour sa publication de la Fantaisie [99], y décrivant la méthode léguée par Bach. Clara a dû apprendre cela directement de Griepenkerl, ce qui explique qu’elle l’ait mise au cœur de son enseignement. En aucune manière elle aurait pu omettre de transmettre à Mendelssohn et Brahms ses pensées à ce sujet. Quand elle a donc demandé à Brahms de jouer cette œuvre, elle devait savoir à quel point elle était importante pour Félix [100].

Griepenkerl, multiplement connexe

Friedrich Conrad Griepenkerl était un défenseur de premier plan de Herbart qui eut une influence décisive sur le développement intellectuel de Riemann. Riemann savait que son esprit créait, changeant ainsi la culture qui elle-même changerait les esprits – et il vit la formation des concepts comme un sujet d’investigation d’intérêt vital. Griepenkerl avait été étudiant de Herbart à Göttingen et avait rédigé sa thèse sur Platon en 1805. Riemann pourrait bien avoir étudié les travaux de 1832 de Griepenkerl sur Herbart [101]. En fait, il pourrait avoir été présenté à Herbart par Griepenkerl, soit en entendant le groupe de Griepenkerl chanter La Création de Haydn en 1841, soit en entendant les débats musicaux sur Griepenkerl et A.B. Marx, quand il côtoyait les Dirichlet à Berlin dans les années 1847-1849.

Griepenkerl est né cinq ans après Gauss, à peu près au même endroit, il est lui aussi allé au Braunschweig Carolinum avant d’étudier à Göttingen [102]. Il devint professeur de philosophie et enseigna pendant trois décennies au Braunschweig Carolinum où son collègue n’était autre que le père de Dedekind. L’étude du piano de Dedekind a vraisemblablement été influencée par Griepenkerl, si ce n’est directement. Dans son Zeitschrift für Musik, Schumann publia des extraits d’une nouvelle de 1838 du fils de Griepenkerl, Wolfgang. Son Das Musikfest oder die Beethovener soutenait que l’humour débridé d’un Beethoven ou d’un Shakespeare fait partie intégrante de l’Art classique [103].

Comment se battre pour la culture

Johannes Brahms

Brahms et Joachim sortirent des Musikabend de Rebecca avec une nouvelle mission en tête. Brahms prit les choses en main. Le 26 février 1856, il écrivit à Joachim : « Mais surtout, je voudrais te rappeler et te prier de mener à bien ce dont nous avons si souvent parlé. A savoir, de nous échanger des exercices sur le contrepoint... de continuer cet échange sur une bonne et longue période, jusqu’à ce que nous soyons tous deux devenus très habiles. » [104]. Ils s’échangèrent ces devoirs toutes les semaines. Quatre semaines plus tard, Brahms y est encore : « Je te joins deux petites pièces en guise d’ouverture à nos études communes (...) Chaque dimanche, le travail accompli devra faire la navette (...) et si l’un de nous dépasse le jour dit, il devra envoyer un thaler à la place, que l’autre pourra utiliser pour acheter des livres !!! On ne pourra être exempté qu’à condition d’envoyer une composition à la place de l’exercice... »

Un mois plus tard, Brahms s’en donnait à cœur joie, à sa manière discrète et taciturne : « Je te joins également un travail qui me semble difficile et que je te prie ou charge de terminer. » Il s’agit en fait du thème de l’Art de la fugue que Bach a laissé inachevé sur son lit de mort ! Brahms devint par la suite le compositeur que nous connaissons, le dernier grand compositeur classique… à ce jour. Mais Joachim aide Brahms avec bien plus que quelques exercices sur le contrepoint. Ils vont réunir leurs forces et leurs courages pour affronter le diable qu’incarne Liszt, et prendre sur leurs épaules, aux âges mûrs de 24 et 26 ans, la préservation et le développement de la culture classique.

Mais avant cela, Schumann mourut en cet été 1856. Brahms « avait dans les bras une couronne de lauriers, Joachim et Dietrich marchaient à mes côtés (...) » [105] – le même trio que celui que Schumann avait réuni en novembre 1953, trois mois avant sa dépression, pour former l’alliance « F-A-E » (pour Frei Aber Einsam). Brahms déclara à Clara que ses amis de Göttingen voulaient jouer la Péri en hommage à Schumann, cette même œuvre à laquelle Dirichlet avait fait référence lorsqu’il avait porté son toast en 1847.

En 1853, un groupe de musiciens avait monté un nouveau journal, le Niederrheinische Musik-Zeitung, un hebdomadaire de huit pages visant à contrer le Musique du Futur de Liszt et Wagner. Il s’agissait en premier lieu des collaborateurs de Mendelssohn, Ferdinand Hiller et Ignaz Moscheles, et du jeune professeur de Mendelssohn, Adolph Marx, qui en 1848 avait fustigé l’interprétation par Liszt de la Fantaisie chromatique. L’organisateur en était le professeur L.F.C. Bischoff, vétéran de la campagne d’Allemagne, un philologue qui avait étudié à l’Université Humboldt de Berlin. Bischoff, peu après le voyage de Brahms à Berlin eut l’occasion de le rencontrer. Brahms rapporta à Clara :

Avant même que nous ayons été présentés, il s’est jeté sur moi, m’a vigoureusement serré la main et m’a fait les meilleurs compliments. Je ne m’attendais absolument pas à ça. Après tout, mon statut de ‘musicien du futur’ devrait m’en faire son ennemi.

(Encore une ironie de Brahms. Il était un musicien du futur mais pour de vrai et non par idéologie) [106]. Brahms connaissait bien le groupe de Bischoff et eux savaient l’espoir qu’il représentait.

Bischoff avait quelque chose à apprendre à Brahms. L’année précédente, Bischoff avait publié le fameux article d’Anton Schindler (secrétaire de Beethoven), qui 40 ans après les faits, dénonçait le Congrès de Vienne pour avoir délibérément fait monter la hauteur du diapason standard [107]. Schindler rapportait qu’il y avait eu de nombreuses plaintes au sujet de « ce diapason exagérément élevé pour tous les orchestres, si nuisible aux organes du chant et non moins pour le son des instruments à cordes […] De nombreuses causes et raisons sont avancées pour le justifier (...) la réactivité plus intense de la sensibilité de la génération actuelle […] l’arbitraire de l’orchestre lui-même […] ou encore le simple accident […] Ce phénomène irritant dans les orchestres était et est encore produit d’une façon tout à fait mécanique qui n’est que le fruit de l’action humaine (...) Le Congrès de Vienne […] fut […] une cause indirecte (qu’on pardonne l’hyperbole) de la perte de toute proportion dans le diapason des orchestres européens […] »

Il poursuit en mentionnant « les sommes d’argent considérables » dépensées pour le régiment Kaiser Alexandre qui « apparut avec des instruments entièrement nouveaux » accordés plus haut et avec un son plus brillant, « pour la gloire de cette armée […] acte dont les conséquences se firent ressentir d’une manière bien regrettable dans les orchestres de la capitale [Vienne] ».

Le fait est que rien n’avait été entrepris, malgré 40 ans de plaintes, jusqu’à ce que les choses soient dites clairement. L’action humaine avait dénaturé le diapason, l’action humaine était requise pour le restaurer. En 1858-1859, des conférences en France et en Angleterre réussirent à faire redescendre le diapason.

« Pas un coin de cette vaste étendue de néant »

Cette leçon sur comment se battre ne fut pas perdue pour Brahms et Joachim. Il fut d’abord donné l’occasion à Joachim de revenir sur leur voyage chez Rebecca. Un an après leur visite, il reçut « une gravure du violoniste de Raphaël » (probablement Il Suonatore de 1815) ainsi que « quelques mots adorables » de « Frau Dirichlet ». Joachim était frappé de « sa gentillesse envers moi, elle a un point de vue tellement clair et intelligent […] » [108].

Cet été là, Joachim revint à Göttingen. Liszt présumait comme il l’avait fait pendant cinq ans, que Joachim voulait réellement travailler avec lui. Il l’invita à son festival de musique à Weimar. Ce n’est qu’à cette occasion que Joachim finit par l’affronter directement :

Je ne suis absolument pas touché par votre musique ; elle est contraire à tout ce dont j’ai été nourri depuis l’enfance par le génie de nos grands maîtres. S’il était concevable que j’aie pu être trompé, que je sois dans l’obligation de renoncer à tout ce que j’ai appris à aimer et à respecter dans leurs œuvres, à tout ce que je sens être de la musique, vos efforts ne rempliraient pas un coin de cette vaste étendue de néant (…) Je dois plutôt imaginer tout ce qui est en mon pouvoir pour préserver ce qui m’a marqué, ce que je sais être bon (…) et que je considère comme ma mission. Je ne peux vous être d’aucune aide et je ne peux pas vous laisser penser plus longtemps que les objectifs pour lesquels vous et vos étudiants travaillez sont également les miens. Je rends hommage à la mémoire du Prince [Carl August de Weimar], qui a vécu avec Goethe et Schiller, et souhaite trop reposer parmi eux pour pouvoir être présent par curiosité. [109]

On ne sait pas si quelqu’un a jamais affronté Liszt de la sorte. Il ne répondit pas ouvertement. A la place, il envoya l’une de ses jeunes recrues rendre visite à Joachim pour lui signifier qu’il avait eu, lui aussi, des doutes à propos de Liszt, mais qu’il les avait surmontés et en était devenu un homme meilleur. Joachim était hors d’atteinte de telles manœuvres. Brahms était stupéfait des méthodes jésuitiques de Liszt. Il expliqua à Clara :
Quiconque souhaite écrire quelque chose à l’encontre de Liszt est nécessairement quelqu’un qui répand des rumeurs. Tous ces gens tiennent en place par des commérages et parce qu’ils ont les personnalités les plus sournoises et les plus alambiquées possibles ; il faut les exposer pour les faire sortir de leur tanière. [110]

Brahms avait pris la mesure de la gravité de la maladie et ne ferait pas machine arrière.

Riemann et les « masses-pensées » musicales

La présentation, par Brahms, de la Fantaisie chromatique à Dirichlet, Riemann et Dedekind a-t-elle aidé à former les Geistesmassen, ou « masses-pensées » dans l’esprit de Riemann ? Certainement : Brahms était au sommet de ses capacités pianistiques et au plus profond de ses études sur Bach. De plus, Clara lui aurait demandé de préserver la Fantaisie des doigts obscènes de Liszt. On peut penser avec confiance que Brahms a donné une présentation rigoureuse de l’œuvre. Par ailleurs, la Fantaisie met aussi au défi l’approche des « catégories aristotéliciennes » rendue célèbre par Johann Joseph Fux. Quand bien même il pourrait exister des kantiens et mathématiciens stériles capables de jouer Bach consciencieusement, la Fantaisie empêche un tel nivellement par le bas. En présentant sa thèse en 1854, Riemann avait déjà démoli de telles approches euclidiennes pour l’espace vivant ; et l’esprit de Bach n’était pas moins vivant que l’espace, pour dire le moins.

En ce qui concerne Dirichlet, nous pouvons être confiants que lorsque son esprit était saisi par un problème, il commençait par s’organiser, convaincu que les êtres humains peuvent comprendre pourquoi les tragédies surviennent, et résoudre tout problème qui se présenterait à eux. Déjà, à l’âge de dix ans, il ne pouvait regarder passivement sa ville natale être redéfinie (passant de la France à l’Allemagne). Plutôt que hausser les épaules, il avait réfléchi aux forces et faiblesses humaines multiplement connexes qui avaient été en jeu, depuis les espoirs d’une révolution à l’américaine jusqu’à la parodie de la Terreur et de Napoléon – convaincu que cette farce ne devrait pas être rejouée. Ce fut le cas avec son étude sans répit de l’Italien et du Decameron de Boccaccio – et donc de la Peste Noire – pendant son voyage en Italie. Ce fut le cas quand, à l’âge de 17 ans, il se confronta aux Disquisitiones Arithmeticae de Gauss. Et ce fut le cas une fois encore avec le développement de son analyse mathématique qui plaçait la causalité à un niveau supérieur à ce que les nombres étaient censés imposer.

Riemann était tout aussi fanatique que Dirichlet sur ces questions. Dans sa passion pour incliner son âme vers son Créateur, sa source intellectuelle plongeait profondément, en explorant l’ensemble du monde créé. Dans ses Fragments Philosophiques [111], il développe la notion de « masse-pensée » :

Par chaque acte simple de pensée, quelque chose de durable et de substantiel entre dans notre esprit. Cette substance nous apparaît en fait comme une unité mais il s’avère (dans la mesure où elle est l’expression de l’étendue spatiale et temporelle) qu’elle comprend une variété subsumée ; j’appellerai cela une ‘masse-pensée’. De ce fait, toute pensée est le développement de nouvelles masses-pensées (...) Lorsqu’elles se forment, les masses-pensées se fondent entre elles, ou elles se replient les unes sur les autres, ou elles se connectent entre elles ainsi qu’avec les anciennes masses-pensées, d’une manière précisément déterminée. Le caractère et la force de ces connexions dépendent de causes qui n’ont été que partiellement reconnues par Herbart, mais que je vais compléter dans ce qui suit. Elles reposent principalement sur les relations internes entre masses-pensées. L’esprit est une masse-pensée compacte, multiplement connectée par des connexions internes des plus intimes. Il croît de manière continue au fur et à mesure que de nouvelles masses-pensées y entrent, et c’est de cette manière qu’il continue à se développer.

Que pourrait penser l’esprit de Riemann de la présentation rigoureuse de Bach sur comment l’esprit se développe ? [112] Et au delà de ça, le caractère de Riemann répondrait-il à cette beauté sublime et serait-il mis au défi de découvrir comment ces actions transfinies sont capables de bouleverser son être interne, avec une telle force ?

C’est la question de la méditation d’Einstein sur son violon, sur son amour de jeunesse pour les formes de sonates pour violon de Mozart, sur ces moments – loin des équations – qui permettaient à ses masses-pensées de développer une réponse. C’est ce à quoi LaRouche fait référence dans son travail, utilisant le traitement scientifique de la causalité par Riemann, sur une méthode suffisamment puissante pour s’attaquer aux problèmes de l’économie humaine – lorsqu’il découvrit que sa seule récréation appropriée, la seule nourriture à même de nourrir son esprit, c’était les quatuors tardifs de Beethoven.

Mais, cher lecteur, n’allez pas prétendre que ce sujet est trop éloigné de vous. Vous savez comment mesurer sans nombres discrets. Considérez ceci : il est relativement bien établi que la révolution américaine a mis un terme à l’enfance de l’humanité, et mis sur la table la question du progrès d’une nation par le développement des niveaux de culture et de qualification de chaque nouvelle génération, au-delà de ce qu’ils étaient pour la précédente. Depuis plus de 200 ans, la civilisation humaine résiste aux spasmes d’une vie « mi-libre, mi-esclave », comme disait Lincoln.

La condition aux limites la plus évidente chez quiconque est venu au monde au cours des deux derniers siècles est la suivante : quelle est ou quelles sont les forces qui tiennent le monde en otage ? Que devrait-on développer pour libérer le monde ? Caractérisez correctement vos conditions aux limites. Vous deviendrez alors capable de créer les nombres et n’importe quelle autre construction mentale qui s’avérerait nécessaire.

Si en revanche vous acceptez les analyses économiques, historiques et politiques conventionnelles, qui demandent comme préalable que vous refusiez délibérément de reconnaître quelles sont les conditions les plus élémentaires de la vie, alors toute mesure, toute relation métrique ou tout jugement que vous essaieriez de porter sur de soi-disant « problèmes pratiques », ne vous apporterait que de la frustration. Toutes les relations numériques données par le « libre marché » et que vous considéreriez comme fondées, sacro-saintes et valables pour l’éternité, vous tueraient aussi sûrement que si vous buviez les eaux de la fosse septique.

Alors, ne buvez pas cette eau et ne permettez pas que les nombres vous dictent ce que vous avez à faire. Pourquoi ne vous demanderiez-vous pas plutôt comment garantir l’approvisionnement en eau claire pour des milliards de personnes ? Votre esprit est capable de former des concepts et de faire des analyses, il peut étudier les manières de penser, déraciner celles qui sont destructrices et se plonger dans celles qui fonctionnent.

En fait Yogi Berra, malgré son physique peu favorable, frappait la balle étonnamment bien. Il a certainement atteint son but quand, de façon semi-verbale, il a tenté de communiquer que les qualités subjectives de l’esprit, une fois engagées dans une mission, ne permettent plus, à 90%, aux nombres de diriger ses actes.

Conclusion

wikipedia

Durant l’automne et l’hiver 1855-1856, les visites de Clara Schumann, Joseph Joachim et Johannes Brahms chez les Dirichlet à Göttingen ont célébré les travaux invisibles mais néanmoins déterminants de l’esprit… et de l’âme. Le dialogue musical qui s’y déroula – en particulier en ressuscitant des œuvres de Bach oubliées – a transmis aux esprits scientifiques de Dirichlet et Riemann le type d’actions immatérielles bien que très substantielles, pour lesquelles ils se sont battus dans leur révolution en mathématique. L’esprit sait que cela est réel et que ses contributions les plus précieuses vont au delà des choses littérales – il découvre qu’une certaine communion saine et précieuse avec lui-même, renforce l’esprit d’origine en même temps qu’il accroît chez d’autres le potentiel de partager les développements scientifiques.

Les musiciens et les scientifiques se sont retrouvés cet hiver là sur le nœud qui unissait leurs deux branches. Pendant des mois, les musiciens ont porté le poids de la civilisation classique. Ils ont prouvé qu’ils pouvaient combattre le diable en convoquant leur passion pour le futur de l’humanité. Les scientifiques eux, ont mis les facultés de l’esprit humain pour la formation de concepts, dans une relation fonctionnelle explicite avec cette humanité – comme s’il s’agissait d’une machine-outil d’une qualité nouvelle. Un siècle et demi s’est écoulé, mais la plus grande partie de ce potentiel n’est toujours pas exploitée.

La vie subjective de l’esprit humain créateur peut bien paraître mystérieuse et restera peut-être toujours une affaire épineuse – mais elle n’a pas besoin d’être mystifiée. Dans la musique et dans la science, nous devons maintenant l’accueillir au centre de la scène et de tenter avec elle une relation adulte, mature, ouverte et honnête. Tels sont les exemples de la Fantaisie chromatique et fugue de Bach, des conséquences du Théorème fondamental de l’Algèbre de Gauss, de l’insistance de Riemann sur le principe de Dirichlet ou de la triple courbe de Lyndon LaRouche. Après tout, la joie et la passion, que l’on vit pendant des décennies autour des Musikabend des Mendelssohn, ne sont pas plus éloignées de nous que la source de nos propres larmes de joie. C’est ainsi que chaque être humain doit se rappeler que la Révolution américaine est restée inachevée – et que pourtant l’idée motrice nous en est encore accessible en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.


Notes

[1fameuse équipe de Baseball de New York, dans le quartier du Bronx

[2Voir Lyndon LaRouche Leibniz From Riemann’s Standpoint, The Schiller Institute [en ligne]. 14 juillet 1996. http://www.schillerinstitute.org/fid_91-96/963A_lieb_rieman.html ; Lyndon LaRouche. The Substance of Tensors : The Ontological Matter, Executive Intelligence Review [en ligne]. 21 mai 2009. http://www.larouchepub.com/lar/2009/3622tensors_ontological.html ; Bruce Director, Bernhard Riemann’s « Dirichlet’s Principle ». The Schiller Institute [en ligne]. http://www.schillerinstitute.org/fid_02-06/2004/044_riemann_dirichlet.html. Disponible en français sur http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/31/89/29/Fusion-110/F110.8.pdf.

[3Voir Lyndon LaRouche, What Your Accountant Never Understood : The Secret Economy, Executive Intelligence Review [en ligne],17 avril 2010, http://www.larouchepub.com/lar/2010/3721secret_economy.html.

[4Voir, par exemple : Lyndon LaRouche Laughter, music, and creativity, article du 3 juin 1976 publié le 4 janvier 1991, Executive Intelligence Review, 4 janvier 1991, Vol.18, n°1, pp.57. http://www.larouchepub.com/eiw/public/1991/eirv18n01-19910104/eirv18n01-19910104_055-laughter_music_and_creativity-lar.pdf ; Lyndon LaRouche, Why Poetry Must Supercede Mathematics in Physics, Fusion, Octobre 1978.

[5SHAVIN, David. « Dirichlet and the Multiply-Connected History of Humans : The Mendelssohn Youth Movement ». WLYM [en ligne]. http://www.wlym.com/archive/pedagogicals/dirichlet-shavin.html.

[6Il s’agit d’une petite pièce Die Heimkehr aus der Fremde (Le fils de l’étrangère, (Retour dans la Patrie)) écrite par Félix quand lui, fils et étranger, rentra de son excursion solitaire – son voyage de 1829 en Angleterre – et à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de mariage de ses parents.

[7Eduard Devrient, un ami de Mendelssohn, avait chanté la partie originale de Kauz, Rebecca celle de Lisbeth et Fanny celle de la mère, le frère Paul était au violoncelle et Félix au clavier. Le fils était interprété par Eduard Mantius, qui était à quelque mois de sa première à l’opéra dans le rôle de Tamino, dans La Flûte enchantée de Mozart (son dernier rôle sera celui de Florestan dans Fidelio de Beethoven). Félix écrivit une partie à une seule note pour le rôle du père, joué par le fiancé de Fanny, Wilhelm Hensel, qui n’était pas réputé avoir un talent de chanteur. (Pendant la représentation du 26 décembre 1829, Hensel semble être parvenu à maintenir la note, mais pas la bonne, ce qui fit éclater de rire Félix qui était au clavier.)

[8L’auteur ne sait pas non plus pourquoi. Ce qui est sûr, c’est que le gardien chante à Lisbeth. En 1829, c’est Devrient qui chantait à Rebecca. On peut imaginer que Rebecca fait référence à une discussion entre Sébastien et elle-même.

[9Trois ans plus tard, Brahms allait composer des chants pour Amalie Siebold et tomber amoureux d’elle.

[10HENSEL, Sébastien. The Mendelssohn family, (1729-1847) from letters and journals, New York, Harper & brothers, 1882. Second revised edition, v.II, pp.343-344. (Cette citation ainsi que les suivantes notées ‘Hensel’ font référence à cette édition)

[11La preuve de Dirichlet pour le cas de la puissance cinq était le prolongement des travaux de Sophie Germain, tous deux ayant étudié en profondeur les Disquisitiones Arithmeticae de Gauss.

[12Sebastien Hensel est l’unique source concernant la vie de Dirichlet. Quand sa mère Fanny Mendelssohn Hensel décède en 1847, le garçon de 16 ans va vivre chez Tante Rebecca et Oncle Lejeune. Il semblerait donc que Dirichlet, son deuxième père, ait raconté à l’adolescent les histoires concernant sa propre jeunesse.

[13C’est là la méthode de Dirichlet, passionnée, sans relâche, presque guerrière. Des années plus tard, pendant leur voyage en Italie, Rebecca décrit à sa sœur Dirichlet étudiant l’Italien : « Dirichlet passe ses journées à lire Boccaccio. Tu serais plus effrayée de voir son italien que le mien. Il étudie avec sa persévérance habituelle, et comme le dit Jacobi, il matraque ses professeurs jusqu’à obtenir d’eux qu’ils lui enseignent quelque chose. D’ailleurs il considère toute personne qu’il rencontre comme un professeur (...) ».

[14Dumas père, Thomas-Alexandre, était devenu général à seulement 31 ans en 1793 et avait organisé l’opposition républicaine à Napoléon pendant la campagne d’Egypte de 1798-1799. Quand il fut capturé et fait prisonnier par le roi Ferdinand de Naples, Napoléon refusa l’offre d’échange et laissa Dumas à sa merci. Après deux années d’emprisonnement, où on lui fit absorber de l’arsenic, il souffrit de paralysie partielle, de boiterie et de surdité. A sa libération, Napoléon lui refusa son traitement militaire et il mourut deux ans plus tard. (A noter : la statue du général Dumas fut déboulonnée par les nazis pour la visite d’Hitler à Paris en 1940). Foy envoya le fils de Dumas, Alexandre, pour surveiller les activités de Louis-Philippe ; celui-ci devint membre de la Garde Nationale de Lafayette pendant la Révolution de Juillet de 1830.

[15HENSEL, v.I, p.312.

[16Sophie était la plus fervente partisane des travaux de Ernst Chladni sur la détermination ondulatoire harmonique des singularités musicales. (C’est sur ces mêmes questions que Wilhelm Weber et son frère ont commencé leur carrière scientifique.)

Son père, Ambroise-François, s’était distingué lui aussi comme un républicain opposé à Napoléon. Il fut élu aux Etats Généraux en 1789 pour devenir plus tard directeur de la Banque de France. En 1806, Sophie est intervenue avec un général français ami de la famille pour protéger Gauss qui craignait d’être assassiné par Napoléon comme Archimède le fut par les Romains.

Sophie et Dirichlet ont tous deux travaillé en dehors de l’establishment scientifique, et pourraient bien s’être rencontrés dans les cercles de Foy.

[17HENSEL, v.I, p.314.

[18HENSEL, v.I, pp.164-165.

[19LOWENTHAL-HENSEL. Preussiche Bildnisse. p.86. In : TILLARD, Françoise. Fanny Hensel, née Mendelssohn Bartholdy. Symetrie, 2007. p.148.

[20KLEIN, Félix. Development of Mathematics in the 19th Century. Brookline, Mass : Math Science Press, 1979, p.90. Dans les années 1920, Klein affirmait qu’en 1905, un « proche ami de Dirichlet [lui] avait confirmé cette interprétation » mais ce même « témoin » prétendait que Dirichlet n’était pas apprécié de sa famille, ce qui n’était certainement pas vrai en ce qui concerne sa mère, ses enfants et les pièces rapportées. La conclusion de Klein : « la société allemande n’était donc pas parvenue à tenir ses promesses, créer une atmosphère culturelle unifiée qui inclurait le fait scientifique exact comme une de ses composantes unique et estimée. » Klein répondrait-il à ses propres attentes ?

[21Le tristement célèbre « Programme d’Erlangen » de Klein de 1872 est symptomatique de la même maladie. Par exemple, le rôle causal, provocateur, des solides platoniciens dans la théorie des groupes de Galois, y est complètement escamoté – d’où il résulte que les relations entre solides platoniciens sont reléguées à un univers parallèle à celui des nombres (et des groupes) – et les eunuques mathématiciens mettent la causalité hors la loi.

[22HENSEL. v.II, p.205.

[23ELSTRODT, Jürgen. The Life and Work of Gustav Lejeune Dirichlet. Clay Mathematics Proceedings. 2007. Vol.7, p.16. Voir : http://www.uni-math.gwdg.de/tschinkel/gauss-dirichlet/elstrodt-new.pdf.

[24Cependant, elles cessèrent avec la Révolution de 1848 après laquelle les Dirichlet s’opposèrent au monde réactionnaire de Berlin. Une histoire familiale raconte comment en 1850, Rebecca a aidé Carl Schurz à faire libérer un militant politique de la prison de Spandau, le faisant ainsi échapper à la peine de mort. (Schurz devint l’un des premiers Républicains de Lincoln, Général de l’Union Army et sénateur du Missouri.)

[25DEDEKIND, Richard. Lettre de Juillet 1856. In : SCHARLAU, Winfried. Richard Dedekind 1831–1881 : Eine Würdigung Zu Seinem 150. Geburtstag. Braunschweig ? ; Wiesbaden : Vieweg, 1981.

[26TILLARD, Françoise. Fanny Hensel, née Mendelssohn Bartholdy. Symetrie, 2007. p.220.

[27Le quatuor à Cordes Op13 de 1827 de Félix représente la promesse sacrée faite par ce jeune homme de 18 ans à Beethoven qui venait tout juste de mourir. Promesse qu’il l’aimerait toujours et poursuivrait son œuvre.

[28KINKEL, Johanna. Memoiren. 1886. N°46. In : KLAUS, Monika. Johanna Kinkel : Romantik und Revolution. 1°edition. Köln : Böhlau Köln, 2008. p.44. Kinkel était compositeur, formée par le professeur de violon de Beethoven, Franz Anton Ries. (En 1850, Rebecca vint en aide à l’époux de Kinkel, prisonnier politique à la prison de Spandau.)

[29Les premières inscriptions dans la lettre de Fanny du 10 décembre 1834 datent du 30 novembre 1834. CITRON, Marcia J. The Letters of Fanny Hensel to Félix Mendelssohn. Hillsdale, N.Y. : Pendragon Press, 1984.

[30Peu avant sa mort, Abraham polémiquait encore sur le futur de l’Allemagne. Il se disputait régulièrement avec son ami Varnhagen qui défendait les nouveaux révolutionnaires de la littérature et de la poésie. Abraham insistait sur le rôle clef de Lessing et Shakespeare pour le progrès de l’Allemagne et de l’Europe, plutôt que sur toutes « les pièces théâtrales et les feuilletons parus depuis… ».

[31HENSEL, v.II, p.2.

[32WASIELEWSKI, Wilhelm Joseph Von. Life of Robert Schumann. Boston : Oliver Ditson, 1871. p.80 (réédition de Detroit Reprints in Music, 1975).

[33Ibid., p.82.

[34Ibid., p.85. Pour plus d’informations : http://davidsbuendler.freehostia.com/davidsbuendler.htm.

[35Manifestement, Félix pensait qu’imiter Liszt était la réponse la plus appropriée. Max Müller raconte qu’un jour, chez les Mendelssohn, « Liszt apparut dans son costume hongrois, extravagant et surexcité… » Liszt joua une mélodie hongroise suivie de trois ou quatre variations, il pressa ensuite Félix de prendre la suite. « Eh bien, je jouerai, répondit-il, mais tu dois me promettre que tu ne te fâcheras pas. » Non seulement il rejoua, de mémoire, tout ce que Liszt venait à peine de présenter, mais il s’exécuta « en imitant quelque peu les mouvements et les extases de Liszt ». Une exécution que Liszt n’oublierait pas de sitôt.

[36Hensel, v.II, p.31.

[37Hensel, v.II, p.216.

[38MÜLLER, F. Max. Auld lang syne. New York, C. Scribner’s sons, 1901. p.23.

[39Ibid., p.27.

[40Ibid., pp.26-27.

[41Des décennies plus tard, Joachim raconta que Brahms fut « assez enchanté » à la lecture de Die Familie Mendelssohn de Hensel, où il lut : « Voilà des personnes merveilleuses à qui on avait envie de se joindre. »

[42Steiner les accompagna également, en partie à cause de ses propres problèmes de santé. Après cela, Jacobi et les frères Humboldt obtinrent que Steiner occupe une chaire au département de géométrie à Berlin.

[43Hensel, v.II, p.237.

[44Membre de l’état-major, Witzleben apprit la topologie à l’Académie militaire. (Son descendant, Erwin, fera partie des conjurés militaires ayant tenté d’assassiner Hitler le 20 juillet 1944).

[45Le général John Fane, 11ème Comte de Westmoreland fut nommé par Lord Palmerston. (Son père, le 10ème comte, fut nommé au Conseil Privé par William Pitt le Jeune.)

[46Hensel, v.II, p.243.

[47Hensel, v.II, p.253.

[48Hensel, v.II, p.245. Ils avaient rencontré Lady Somerville quelques jours auparavant et n’avaient pas été impressionnés.

[49HENSEL, v.II, p.249. Le sermon avait sans doute été donné par David Strauss, connu pour son ouvrage controversé La vie de Jésus, qui avait une approche non-divine de Jésus.

[50Hensel, v.II, p.261. C’était une habitude pour Liszt d’agir ainsi. Trois ans plus tôt, Paul Heyse rapportait : « Un groupe d’illustres personnalités remplit la gigantesque salle… Böckh était de ceux qui étaient toujours conviés… Je vis également la crinière blonde du jeune Liszt… et au premier rang une magnifique comtesse blonde qui quitta la salle au bras du jeune et heureux conquérant. »

[51Hensel, v.II, p.257.

[52Robert von Keudell était un conseiller référendaire qui devint par la suite ambassadeur. Il avait étudié la musique, en particulier le contrepoint et les sonates de Beethoven. Fanny et Félix étaient tous deux très impressionnés par son jeu et sa mémoire. Plus tard, il devint un ami proche de Bismarck, il plaisantait souvent sur le fait que Bismarck adorait écouter de la musique, ce qui le « poussait dans l’une de ces deux directions opposées : les prémisses de la guerre ou ceux de la romance. »

[53Hensel, v.II, p.325. Gounod rendit régulièrement visite à Fanny quand les Hensel vivaient à Rome. C’est là qu’il découvrit la musique de Bach.

[54En résumé, la Péri, figure féminine de la mythologie persane, née de l’union d’un ange déchu et d’une mortelle, doit rapporter « le présent le plus cher aux yeux du ciel » afin d’accéder au Paradis. Ce présent se trouve être la larme que versa un vieux criminel à la vue d’un enfant en prière.

[55SCHUMANN, Clara. Journal Intime. 15 mars 1847. In : Berhtold Litzman, Clara Schumann : An Artist’s Life, Withefish, Montana : Kessinger Publications, 1912. p.429.

[56Ibid., p.430 ; entrée du journal du 18 mai 1847.

[57Journal intime de Robert Schumann, deux jours plus tard : « Chez M. – Ses enfants jouent à la poupée au rez-de-chaussée – l’homme mort, âme noble – son front – ses lèvres – le sourire dessus… » Cette semaine là, Schumann composa une série de morceaux pour son Album pour la jeunesse dans le style des Romances sans paroles de Félix.

[58Fanny était la grand-mère de Ludwig et Paul Wittgenstein. (D’ailleurs, le frère de Joseph Böhm était le grand-père de Georg Cantor.)

[59R. Larry Todd (éd.). Mendelssohn and His World. First edition. Princeton, N.J : Princeton University Press, 1991. pp.342-351. Les citations du paragraphe suivant sont tirées de cet ouvrage.

[60Françoise Tillard, Fanny Hensel, née Mendelssohn Bartholdy Symetrie, 2007. pp.138-139.

[61Outre l’utilisation et le traitement de plusieurs thèmes présents dans les quatuors tardifs de Beethoven, Félix utilisa un lied, Frage (Question), qu’il avait composé quelques mois avant. Après la mort de Beethoven, il le recomposa sur le même modèle que l’Op.135 Muss es sein ? (Le faut-il ?) la dernière grande œuvre de Beethoven, terminée à l’automne précédent. La « Question » est Ist es wahr ? (Est-ce vrai ?), écho assez puissant au Muss es sein ? (s’il s’avérait finalement vrai que c’est Gustav Droysen, l’ami historien de Félix et non ce dernier qui a composé le texte original, alors il l’aurait fait lorsqu’il courtisait Rebecca.)

[62Wilhelm Fürtwangler, successeur de Mendelssohn à l’Orchestre du Gewandhaus, fera de ce travail un projet spécial, obtenant de sublimes résultats.

[63Clara était alors enceinte et donna naissance à son quatrième enfant un mois plus tard.

[64Journal intime de Clara. Eduard J.F. Bendemann, un peintre qui avait étudié avec Wilhelm von Schadow, avait épousé la demi-sœur de celui-ci, Lida Schadow. Eduard, un bon ami de Félix, l’avait dessiné sur son lit de mort.

[65B. Litzman, op.cit., p.385. Les citations proviennent du journal intime de Clara ; elle décrivit la décadence de Wagner pendant toute l’année suivante. En août 1848, Robert Schumann écrivit dans son journal la frustration qu’il ressentait vis à vis du Fidelio de Beethoven tel qu’interprété par Wagner : « Wagner a pris un tempo complètement faux. » En janvier 1849, Robert écrit que Wagner « est un confrère poète et, qui plus est, très brillant, mais il fait tout son possible pour se détacher de ce qu’est vraiment la musique. » Après que Wagner ait dirigé la 9ème de Beethoven en avril, Schumann finit par conclure : « Wagner choisit presque invariablement le mauvais tempo, et très souvent il se méprend sur le ressenti, avec des ritardandos triviaux qui abaissent le caractère de toute l’œuvre qui recèle la passion et la profondeur d’émotion les plus magnifiques (...) [L]e chef d’orchestre ne comprend pas l’œuvre ! ».

[66Traductions françaises des versions de 1850 et 1869 in Jean-Jacques Nattiez, Wagner antisémite. Paris : Bourgeois, 2015.

[67Wagner expliqua la raison de la publication anonyme de son essai à Liszt (le 4 avril 1851) : il avait choisi d’utiliser un pseudonyme afin « d’éviter que la question ne soit rabaissée par les juifs à un niveau purement personnel. » En 1869, le contexte politique ayant changé, Wagner republia son essai, cette fois-ci sous son vrai nom.

[68Les citations suivantes sont tirées de Wagner, Richard, Liszt, Franz, Liébert, Georges, Lacant, J., Schmidt, L. et Buschinger, Correspondance. 1re Revue et augmentée. Paris : Gallimard, 2013.

[69Les citations de ce paragraphe sont tirées des Éclaircissements sur le judaïsme dans la musique traduits sous le nom de Suppléments à « La judéité dans la musique » in Jean-Jacques Nattiez, Wagner antisémite. Paris : Bourgeois, 2015.

[70Elevée par son oncle, le comte Charles Nesselrode, elle épousa Johann Kalergi. La fille de Marie épousa un autre Coudenhove, Franz, ils donnèrent naissance à Heinrich, le père de Richard. Marie quitta Kalergi pour le comte Serge Mouchanoff, responsable des théâtres impériaux de Varsovie. Elle était réputée pour avoir été la maîtresse de Liszt et d’Alfred de Musset, entre autres. Elle était clairement pan-européenne avant l’heure.

[71LITZMAN, B., op.cit., p.63. Clara raconta cette histoire des années plus tard.

[72B. Lizman op.cit., p.27.

[73On dit de Waitz qu’il était le principal disciple de l’ami de Mendelssohn, Leopold von Ranke.

[74Ed Remenyi, né Hoffman, était un réfugié politique de l’empire Austro-hongrois qui avait servi dans l’armée. Son jeu au violon était considéré comme un facteur moral déterminant pour les insurgés pendant la révolution de 1848. Brahms l’aida à fuir aux Etats-Unis, et à la fin de l’année 1852 il en revenait tout juste. Les mois passés ensemble pendant leur tournée ont certainement donné lieu à d’intéressantes discussions.

[75Curieusement, Brahms avait entendu Joachim jouer le concerto pour violon de Beethoven à Hambourg cinq ans plus tôt. Arnold Wehner était directeur musical à Göttingen. Il transposa des poèmes de Heine en lieder et en 1857 il aida à la relecture de la messe en si mineur de Bach avant la publication des œuvres complètes de Bach.

[76Claude Rostang, Johannes Brahms. Paris : Fayard, 1978. p.88.

[77Ibid., p.97. Un des fils du célèbre Lowell Mason, William, avait étudié avec Moscheles et Liszt et essayait à cette époque de devenir un « musicien du futur ». Il retourna pourtant à New-York cette même année et organisa la première de Brahms aux Etats-Unis ! De plus, il devint célèbre pour avoir été le leader d’un ensemble de musique de chambre de New-York qui jouait les œuvres de Schumann.

[78Schumann a également composé des accompagnements de piano pour les sonates pour violon seul de Bach. Plus tard, Brahms et Joachim les jouèrent lors du concert joué en mémoire de Schumann.

[79Ibid., p.114.

[80BICKLEY, Nora. Letters from and to Joseph Joachim. New York : Vienna House, 1972. p.33.

[81Ils jouèrent le quatuor à cordes en mi bémol majeur de Mendelssohn, le quatuor en sol mineur de Mozart et deux sonates pour piano de Brahms.

[82C. Rostang,op.cit., p.133.

[83Citation de Schumann dans la lettre de Joachim du 6 mars 1854 à Wolfgang Bargiel (le demi-frère de Clara). Schumann sentait clairement le poids de ses responsabilités. Plus tard, Brahms composera aussi des variations à partir des dernières compositions de Schumann (cf Brahms op.23).

[84Max Kalbeck,Johannes Brahms. Tutzing : H. Schneider, 1976. v.I, p.220. In David Lee Brodbeck, Brahms Studies. Lincoln : University of Nebraska Press, 1998. v.II.

[85Styra Avins, (dir.). Johannes Brahms : Life and Letters. Oxford : Oxford University Press, 1997. p.96.

[86Le père de Kohlrausch, Heinrich, était un camarade de classe de Gauss à Göttingen, il était l’inspecteur du Johanneum à Lunebourg, le lycée de Riemann. De plus, Kohlrausch était le cousin de Schmalfuss, le professeur de mathématiques de Riemann à Lunebourg.

[87Julius Otto Grimm dirigeait le chœur des femmes à Göttingen, il donnait également des cours de chant et de piano. Bien qu’ayant reçu une formation en philologie, il devint professeur de musique à Göttingen.

[88Op. cit. Johannes Brahms : Life and Letters, p.113.

[89Sa femme Elise décrit, par exemple, comment lors d’un de leurs voyages en Italie, ils jouèrent de l’orgue dans une église. [[TENG, Oyang, HALEVY, Aaron. Notes from Mrs. Professor Riemann (1866) on the last years of the life of her husband. LaRouche Youth Movement (traduction en anglais non publiée).

[90Il se pourrait même qu’il s’agisse de la représentation du Braunschweig Singakademie, organisée par Griepenkerl, l’ardent défenseur de Herbart, lui même tant admiré par Riemann. Néanmoins, nous ne sommes pas parvenus à identifier avec certitude la représentation à laquelle Riemann a assisté.

[91Une preuve joyeuse de la présence régulière de Riemann aux Musikabend organisés par Rebecca a été découverte par l’équipe du « Basement » de Lyndon LaRouche. Parmi les différents papiers de Riemann correspondant à son passage à Göttingen, ils ont trouvé deux pages de notes détaillées écrites de la main même de Riemann traitant de… comment danser ! Ce passage aura sans doute été dicté par le pianiste spécialiste des danses, l’ami de Riemann, Dedekind. Il semblerait donc que le jeune et timide célibataire ait pris les Musikabend très au sérieux.

[92Une copie de l’Art de la Fugue de Bach appartenant à Brahms comporte des corrections portées au crayon par Brahms lui-même avec la mention « nov.1855 ». De même, son nom et la date « 1855 » figurent sur la couverture d’un exemplaire du recueil de chorals allemands de J.-S. Bach, publié en 1765 par Karl-Philip-Emmanuel Bach.

[93S. Avins (dir.), op.cit., p.113.

[94Ibid., p.113-114.

[95Dedekind mentionne le 14 février 1856 qu’une « gigantesque fête ayant attirée 60 à 70 personnes » a eu lieu chez les Dirichlet. Il y joua du piano pendant les moments dansants. Il s’agit soit de l’événement auquel assistèrent Brahms et Joachim, soit un autre qui eut lieu une semaine plus tard.

[96AVINS, op. cit., p.117. Il semblerait que Joachim ait dirigé la 9ème de Beethoven à Hanovre le 16 février 1856 puis que les deux compères soient partis pour Göttingen ensuite.

[97Ibid., p.113. Il semblerait que ce genre de commentaire sarcastique fût régulier et n’avait donc rien d’exceptionnel. Rebecca a également écrit à Sébastien Hensel sur un ton similaire, elle y indique la venue de Joachim et Brahms à leur « Soirée inintéressante […] Schubert, Schumann, Brahms. » Traduction, on imagine que cela signifie quelque chose comme : « Ton ami d’enfance est venu. Rien de particulier ici – tu n’as rien raté ! » (A part ça, nous ne savons pas si des œuvres de Schumann ont été jouées à ce concert).

[98De Lara au sujet de Clara : « Une des choses qui m’a laissée la plus forte impression (...) c’est qu’elle ne supportait ni les faux semblant, ni la sensiblerie. Je ne parle nullement ici de véritable expression, en effet personne d’autre ne ressentait la musique plus ardemment qu’elle. Elle nous a dit plus d’une fois qu’il nous faudrait aimer et souffrir avant de prétendre devenir de réels artistes, mais qu’elle ne pouvait et n’approuverait en aucun cas le recours aux émotions faciles. Elle nous a appris à jouer avec vérité, sincérité et amour ; à choisir la musique que nous pourrions aimer et vénérer […]. » On peut même entendre de Lara, elle-même, parler de Clara Schumann en cliquant sur ce lien : (https://www.youtube.com/watch?v=j0H0P6094-8&feature=youtu.be).

[99Voir les remarques de Griepenkerl sur l’interprétation par Bach de la Fantaisie Chromatique : wwkbank.harpsichord.be/Griepenkerl.pdf.

[100Il se pourrait également que l’idée lui soit venue à la suite de l’initiative de Liszt, qui juste après le décès de Félix, avait tenté de donner un côté « sexy » à la Fantaisie chromatique et fugue de Bach. Le 19 janvier 1848, A.B. Marx, qui avait été le professeur de Mendelssohn, écrivit un article dans la revue Allgemeine Musikalische Zeitung, La Fantaisie chromatique de Sébastien Bach : quelques remarques par A.B. Marx : « Liszt, avec son style démoniaque, jouit d’une telle considération qu’il n’a pas besoin de prendre la peine de comprendre la moindre petite œuvre. Il s’attaqua à la Fantaisie et fugue comme pris d’une une intoxication bachienne (Il joua la fugue deux fois plus vite qu’elle ne l’était habituellement ou qu’elle ne pouvait l’être) ; il doubla la basse dans la fugue presque partout et ajouta à ce ton orageux d’inattendus sforzandi (...) une fois dans cette voix, une autre dans celle-ci, ce qui donnait l’impression de voir de soudains éclairs dans un ciel nocturne, explosant bien plus au premier plan que ce qui était indiqué par la structure de la fugue. »

[101GRIEPENKERL, Friedrich Conrad. Briefe an Einen Jüngeren Gelehrten Freund Über Philosophie, und Besonders über Herbart’s Lehren. Kessinger Publishing, 2010. Lettres à un jeune ami sur la philosophie et plus particulièrement sur l’enseignement d’Herbart. L’étudiant de Griepenkerl, Ludwig von Strümpell, partit travailler avec Herbart l’année suivante.

[102Vers 1801, sous l’égide de Forkel, Griepenkerl étudia l’essai de C.P.E. Bach Über die wahre Art, Klavier zu spielen (Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à clavier), ouvrage disponible à la bibliothèque de l’université de Göttingen qui avait été relu par Gauss en 1797. Il est à peu près certain que Gauss avait eu l’occasion d’entendre Forkel jouer, de même qu’il est fort probable que les deux aient parlé ensemble de Bach.

[103Ce même ouvrage fut le premier à mettre en avant l’idée qu’alors que Freude/joie correspondait à l’ouverture de l’Hymne à la joie de Schiller, Freiheit/liberté était la conclusion appropriée imaginée par Beethoven. Plus tard, Wolfang Griepenkerl essaya de convaincre Mendelssohn pour qu’il écrive un opéra basé sur La Tempête de Shakespeare.

[104AVINS, S. (dir.), op.cit. Les citations de ce paragraphe proviennent des pp.123, 124, et 128.

[105Ibid., p.142. Cette lettre comporte également la description faite par Brahms des derniers moments de tendresse que Clara passa avec Robert.

[106C’est l’occasion de citer un autre commentaire typique de Brahms : l’année suivante, un Kapellmeister qui composait sur un psaume (probablement 84.1) lui posa une question sur l’expression Au chef des chantres sur la guitthith, dans les Ecritures –Brahms étant peut-être un chef des chantres. « Pouvez-vous me dire ce qu’était un guitthith ? », ce à quoi Brahms répondit avec un air sérieux « Probablement une jolie fille juive. »

[107« Die gegenwärtige hohe Orchester-Stimmung und ihr Ausgang » (« Le diapason haut actuel et ses effets ») dans le Niederrheinische Musik-Zeitung.

[108AVINS, S. (dir.), op.cit., p.143.

[109Ibid., p.147. Ce jour historique correspond au 27 août 1857.

[110Ibid., p.159.

[111RIEMANN, Bernard. Fragments philosophiques. Fusion. Septembre-octobre 2002. N° 92, p.15.

[112DIRECTOR, Bruce. The Importance of Beethoven’s Late String Quartets for Understanding Riemann’s P-Function. Texte non publié disponible à l’EIRNS.

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