« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Visioconférence internationale des 18 et 19 juin 2022

Le conflit Ouest-Est - Une mise en scène politique

1ere session

24 juin 2022

Wolfgang Bittner, est un ecrivain allemand, juriste, auteur de plus de 80 livres pour adultes, adolescents et enfants. Il a travaillé pour la presse écrite, dont Die Zeit, le Frankfurter Rundschau et la Neue Zürcher Zeitung, ainsi qu’avec la radio et la télévision. Artiste plasticien, Bittner a présenté ses travaux (sculptures en fer, peintures, etc.) dans diverses expositions depuis 1977. De 1996 à 1998, il a été membre du conseil de la radio WDR. Il a enseigné en Allemagne et à l’étranger, notamment en tant que professeur invité en Pologne en 2004, 2005 et 2006. Il est membre de l’organisation syndicale Verband Deutscher Schriftsteller, dont il a siégé au comité directeur de 1997 à 2001.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne s’est positionnée comme une tête de pont des États-Unis en Europe contre l’Union soviétique et, après sa dissolution, contre la Russie. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui sur le plan géopolitique et pourquoi l’Allemagne est particulièrement affectée, il faut savoir trois choses.

Premièrement, l’Allemagne s’est vu refuser jusqu’à ce jour un traité de paix par les Alliés de la Seconde Guerre mondiale, à l’exception de la Russie. Théoriquement, l’Allemagne est donc toujours en guerre, puisque seul un armistice a été conclu en 1945. Cela découle également de la clause dite de l’État ennemi, prévue aux articles 53 et 107 de la Charte des Nations unies, selon laquelle l’Allemagne est toujours un État ennemi vis-à-vis des Alliés de la Seconde Guerre mondiale. Cette clause n’est soi-disant plus valable, mais si c’était le cas, ce passage aurait pu être supprimé depuis longtemps. Elle stipule que des mesures coercitives pourraient être imposées si nécessaire, sans autorisation spéciale du Conseil de sécurité des Nations unies, si l’Allemagne s’avisait de mener à nouveau des politiques agressives, y compris une intervention militaire. Bien que l’Allemagne se soit vu accorder la « pleine souveraineté » par le traité d’unification de 1990 (traité 2+4), cet accord a été à nouveau relativisé par des traités complémentaires, par exemple sur le déploiement de troupes et la coopération militaire.

Si l’on considère ces faits par rapport à la situation géopolitique dans laquelle nous nous trouvons, beaucoup de choses deviennent plus claires : Washington dispose de possibilités considérables pour faire pression et influer sur les décisions du gouvernement allemand, ce qui peut être constaté en permanence. À l’occasion de la visite inaugurale du chancelier Olaf Scholz à Washington le 8 février 2022, le président américain Joe Biden a simplement déclaré que le gazoduc Nord Stream 2 ne serait pas mis en service...

Deuxièmement, il est important de savoir que l’Allemagne est toujours un pays occupé. On ignore souvent qu’en plus de bases plus modestes, les États-Unis disposent de onze grandes bases principales sur le territoire allemand. Des armes nucléaires sont stationnées à Büchel, en Rhénanie-Palatinat, et la base aérienne de Ramstein est la plus importante base militaire de l’US Air Force en dehors des États-Unis. Elle abrite le centre de commandement des forces aériennes de l’OTAN, et c’est depuis Ramstein que l’OTAN surveille les défenses antimissiles de l’Alliance et que les États-Unis contrôlent le déploiement de leurs drones de combat dans le monde. L’Allemagne est également un centre d’espionnage américain.

En outre, depuis 1945, les États-Unis ont couvert l’Allemagne de plus d’une centaine de « think tanks », c’est-à-dire de réseaux représentant les intérêts américains. Presque tous les politiciens et journalistes de premier plan sont membres de ces organisations extrêmement influentes et bien financées, dont l’Atlantic Bridge est probablement la plus connue. En outre, nombre de ces agents d’influence ont été formés dans le cadre de cours dispensés aux États-Unis.

Troisièmement, il faut savoir que depuis plus d’un siècle, les États-Unis empêchent systématiquement toute coopération entre l’Allemagne et la Russie. C’est ce qu’affirme également l’expert américain en sécurité George Friedman, que je cite : « Le principal centre d’intérêt de la politique étrangère américaine au cours du siècle dernier, pendant la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, était la relation entre l’Allemagne et la Russie. Unies, elles sont la seule puissance qui puisse menacer notre suprématie. Notre principal objectif était de faire en sorte que cela ne se produise pas. »

Cette politique s’est poursuivie depuis, en gros, la fondation de l’Empire allemand en 1871, jusqu’à aujourd’hui. Friedman raisonne comme suit : « Pour les États-Unis, le principal sujet d’inquiétude est que (...) le capital et la technologie allemands se combinent avec les ressources en matières premières et la main-d’œuvre russes pour former une combinaison unique... »

Pour empêcher cela, les États-Unis ont mis en place un couloir rempli d’armes entre l’Europe occidentale et la Russie et ont isolé cette dernière.

En 2001, il était encore possible pour le président russe Vladimir Poutine de s’adresser au Bundestag allemand. Il plaida alors, et à plusieurs reprises par la suite, pour une zone économique et culturelle commune de Vladivostok à Lisbonne.

Il a déclaré - et il faut aussi le citer : « Personne ne doute de la grande valeur des relations de l’Europe avec les États-Unis. Mais je crois qu’à long terme, l’Europe ne consolidera sa réputation de centre puissant et indépendant de la politique mondiale, que si elle unit ses propres capacités à celles de la Russie (…) Nous avons déjà fait ensemble les premiers pas dans cette direction. Il est maintenant temps de réfléchir à ce qu’il faut faire pour qu’une Europe unifiée et sûre devienne le signe avant-coureur d’un monde unifié et sûr. »

Mais les stratèges américains ont fait obstacle à la réalisation de cet objectif. L’offre de coopération du président russe a été et continue d’être contrée par les prétentions impériales des États-Unis. L’objectif est d’éliminer la Russie, et aussi la Chine désormais, en tant que concurrents économiques et militaires et de les soumettre finalement à la prétention unipolaire. Cet orgueil démesuré détermine la politique des États-Unis et a fait que le monde entier est perturbé - chaos, conflits et guerres, où que l’on regarde.

Sachant tout cela - et ce sont des faits, pas des théories du complot - une grande partie de ce qui se passe aujourd’hui est explicite. Les États-Unis poursuivent depuis longtemps une stratégie à long terme qui ne sert que leurs intérêts. Ce faisant, ils passent sur des cadavres, et leurs vassaux (y compris l’Allemagne) se prêtent à tous les coups bas.

Stratégie à long terme et prétention unipolaire des États-Unis

Aux yeux de leurs élites au pouvoir, les États-Unis d’Amérique sont « le pays de Dieu », appelé à diriger le monde. Pour faire valoir cette prétention, que rien ne justifie, elles ont développé depuis le XIXe siècle une stratégie à long terme, comprenant le maintien d’une armée suréquipée et l’implantation de bases militaires partout dans le monde.

Dans le même temps, on ne peut ignorer que la société américaine - et jusqu’au Congrès - est composée en grande partie de fondamentalistes religieux. Aujourd’hui encore, l’affinité élective entre puritanisme et capitalisme, une « doctrine économique de la prédestination » - celui que Dieu aime, il le rendra riche - y est profondément enracinée. En outre, de nombreux partisans de la ligne dure croient apparemment que tout ce qui profite aux États-Unis profite en fin de compte au monde entier.

Cet orgueil démesuré a guidé également la politique du président Barack Obama, qui arbore un sourire victorieux et qui, dans un discours prononcé à l’Académie militaire de West Point, qualifia les États-Unis de « nation indispensable », de pivot de toutes les alliances, de l’Europe à l’Asie, « inégalé dans l’histoire des nations ». Obama avouait ainsi ce qui était depuis longtemps la politique pratiquée par les États-Unis.

Cette politique de puissance remonte au moins à 1823, lorsque le président James Monroe, dont la doctrine porte le nom, postula une « revendication de protection et d’intervention » pour l’Amérique centrale et du Sud dans l’intérêt des États-Unis.

Puis, en 1904, Theodore Roosevelt autorisa les États-Unis à exercer un « pouvoir de police international » et à faire valoir sans compromis leurs intérêts économiques et stratégiques. Sa devise était : « Parlez avec douceur tout en brandissant un gros bâton, et vous irez loin. »

Après la rupture de tous les traités avec les Amérindiens et la dernière bataille dévastatrice de Wounded Knee, en 1890, cela s’appliqua d’abord aux pays d’Amérique latine, dans « l’arrière-cour des États-Unis », mais aussi au Maroc et à la Corée, et peu après au monde entier.

Une déclaration de son successeur, Woodrow Wilson, va tout à fait dans le même sens. Pour assurer la fluidité du commerce américain dans le monde, les États-Unis pouvaient légitimement, selon Wilson, forcer les portes fermées « même en violant la souveraineté des nations récalcitrantes ».

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision américaine Vox en 2016, Barack Obama s’exprimait en ces termes : « Nous devons, à l’occasion, tordre le bras des pays qui ne font pas ce que nous voulons (...) Nous sommes le pays le plus grand et le plus puissant de la Terre (...) nous n’avons pas d’égal, au sens de pays qui pourraient attaquer ou provoquer les États-Unis. »

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