« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Veille stratégique
15 juillet 2022
Lorsque l’on se tourne vers Haïti, il semble que ce pays ait été abandonné par tous. Un an après l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, ce sont les gangs qui font la loi et tuent en toute impunité. Les promesses de la « communauté internationale » sont restées lettre morte, dans la plus grande indifférence.
La violence entre gangs rivaux qui domine dorénavant dans plusieurs endroits de Port-au-Prince a connu l’une de ses pires moments pendant plusieurs jours, lorsque le 8 juillet deux gangs rivaux ont commencé à sont livrer à des échanges de feu pour le contrôle du secteur de Brooklyn dans le plus grand bidonville de la capitale, Cité Soleil. Les habitants étaient pris au piège, dans l’impossibilité de sortir et de se procurer de la nourriture, de l’eau ou des soins médicaux ; tout comme les ambulances et autres véhicules qui n’étaient pas non plus autorisés à entrer. Selon le Réseau national de défense des droits de l’homme (RNDDH), le bilan de ce carnage, après cinq jours, est de 89 morts, 74 blessés, de nombreux disparus, des corps calcinés, des cadavres laissés à l’abandon, des maisons détruites et des milliers de réfugiés.
Bien qu’elles n’aient généralement pas la même ampleur, des scènes de ce genre se déroulent quotidiennement dans les quartiers de la capitale, où des bandes rivales se disputent le contrôle des lieux, piégeant les citoyens là où ils vivent, se livrant souvent à des actes de violence barbares, assassinant hommes, femmes et enfants et recrutant de force des enfants. Les citoyens sont chassés de leurs communautés, et il y a donc des dizaines de milliers de personnes déplacées à Port-au-Prince. Comme l’a documenté le Miami Herald le 8 juillet, une force de police nationale sous-financée, dépassée par les événements et sans effectifs suffisants lutte contre les gangs, attendant toujours que les États-Unis fournissent la formation promise pour une équipe SWAT spécialisée et l’équipement dont elle a besoin de toute urgence. Elle ne dispose même pas des équipements de protection et des armes les plus élémentaires qui pourraient rivaliser avec ceux des gangs.
Dans cette situation, fournir une aide humanitaire est un cauchemar. Les gangs ont bloqué les voies d’accès à la capitale. Jean-Martin Bauer, directeur national du Programme alimentaire mondial, prévient que « la situation est en train d’échapper à tout contrôle » et qu’elle « empire chaque jour », avec au moins 1,3 million de personnes souffrant d’insécurité alimentaire aiguë dans la capitale. Les gens ne peuvent pas se rendre au travail ; les agriculteurs de l’extérieur de Port-au-Prince ne peuvent pas acheminer leurs produits sur le marché ; il y a pénurie d’essence et l’inflation des prix alimentaires atteint 53 %.
Quiconque réfléchi à ce qui se passe est tentée de poser les mêmes questions que celles de l’archevêque de Port-au-Prince, Mgr Max Leroy Mesidor, en réponse aux événements de Cité Soleil. Dans une déclaration publiée par Le Nouvelliste le 13 juillet, il a demandé « qui va ralentir la montée au Calvaire du peuple haïtien ? » (le Calvaire, où Jésus-Christ a été crucifié et lieu d’angoisse extrême). « Où est le gouvernement ? », a-t-il poursuivi. « Où sont les fonctionnaires de la justice et de la sécurité publique ? En quoi consiste la proximité des pays dits amis d’Haïti ? A quoi servent les différentes réunions internationales sur la situation en Haïti ? ».
Dans le cadre du système actuel, il n’y a pas de réponses à ces questions, car la descente d’Haïti dans cet enfer - pas de gouvernement digne de ce nom, pas d’institutions qui fonctionnent, une communauté internationale incapable d’apporter de véritables solutions - est tout sauf un accident, tout comme la dévastation du Sri Lanka et de tant d’autres nations africaines ou ibéro-américaines ou caribéennes ne le sont davantage. Dans sa putrescence, le système transatlantique n’a que faire de pays comme Haïti ou le Sri Lanka.
Les solutions existent pourtant. Le « Plan de développement d’Haïti » de l’Institut Schiller, publié en octobre 2021, offre à l’Ile les moyens de le libérer de ce système en voie de désintégration dans le cadre d’une perspective de développement plus large impliquant les États-Unis et d’autres nations de la région mais aussi avec les pays impliqués dans le projet Belt and Road, l’initiative chinoise qui est la bête noire du système transatlantique,.
En effet, alors que de plus en plus de nations du Sud s’alignent sur un nouvel ordre émergent opposé à l’ordre impérial « fondé sur des règles », des institutions comme les BRICS, la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) et le Forum Chine-CELAC peuvent également jouer un rôle positif dans le relèvement d’Haïti et des autres nations les plus pauvres de l’hémisphère occidental.