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Visioconférence internationale des 20 et 21 mars
Deuxième table ronde
31 mars 2021
Daniel Marmolejo, journaliste d’investigation ; lauréat du Prix national du journalisme ; couvre la présidence mexicaine ; producteur de la série documentaire “Guerre Hybride" (Hybrid Warfare), et du programme “Incorruptible” : “Mexique, Argentine et Chine : exemples de Stratégie avancée du point de vue de la guerre hybride ”, Mexique
La récente visite au Mexique du président argentin Alberto Fernández s’est déroulée dans un contexte très particulier : le rétablissement d’un ordre démocratique en Bolivie, sous la présidence de Luis Arce, et la fin des guerres judiciaires menées contre l’ancienne présidente et actuelle vice-présidente argentine Cristina Fernández, et contre l’ancien président brésilien Lula.
L’Argentine est mal en point : la dette d’un siècle contractée par l’ex-président néolibéral Mauricio Macri a eu des répercussions lors de la visite officielle de Fernández au Mexique. Dans le palais présidentiel mexicain, Fernández a exprimé des critiques à l’encontre des transactions commerciales qui ont eu lieu sous le gouvernement précédent, ainsi qu’à l’encontre du rôle des médias. Il a souligné que la dette contractée par le pays sud-américain était passée entre les mains des amis de Mauricio Macri. L’héritage laissé par le PRO en Argentine et par le PRIAN au Mexique (c’est le nom que nous donnons aux partis politiques les plus corrompus qui ont alterné au pouvoir), est un exemple tragique de cruauté inouïe, où des stratégies de marketing ont été utilisées afin d’accéder au pouvoir et ensuite de provoquer l’effondrement économique.
La situation dans ces pays est telle que le pouvoir judiciaire mène une bataille de résistance, protégeant les anciens intérêts hégémoniques, la presse opérant pour le compte des élites locales et supranationales.
L’Argentine et le Mexique sont en train de construire un nouveau modèle régional d’avant-garde, bien que l’opposition interne et les groupes mondialistes tentent de détruire les projets politiques qui ont été lancés. En Argentine, l’opposition principale provient du secteur agro-industriel et du système judiciaire corrompu. Au Mexique, nous avons une élite qui refuse de payer ses impôts et rejette tout cadre réglementaire contraire à ses intérêts économiques — comme dans le cas de l’aéroport de Texcoco, un projet qui a été révoqué par Lopez Obrador en faveur d’un autre aéroport nommé « Felipe Ángeles » et qui sera inauguré prochainement sur une ancienne base aérienne militaire.
Bien que les médias jouent un rôle néfaste en essayant de saper les efforts et les réalisations des chefs d’État latino-américains, il faut profiter pleinement du bonus démocratique. Le président Lopez Obrador a compris l’importance d’une communication efficace avec ses « conférences de presse matinales » quotidiennes, où il présente l’ordre du jour de « ce qu’il est important de discuter », clarifie les doutes, corrige les informations mal intentionnées, expose son point de vue de citoyen, fait preuve d’empathie et de polémique, et présente les grands projets d’infrastructure de son gouvernement 4T (les quatre transformations qu’il défend).
Ce type de communication lui a permis de lutter contre les pouvoirs établis, qui tentent constamment de saper le soutien populaire dont il bénéficie en utilisant des tactiques typiques de la guerre hybride. L’Argentine n’a pas été en mesure de faire face efficacement au pouvoir des médias (c’est-à-dire d’arrêter, de disperser et de diminuer leur influence). A travers ces conglomérats médiatiques s’exprime le financement des entreprises agro-exportatrices, ainsi que les diktats de l’ambassade des États-Unis. C’est un cercle vicieux : l’ambassade fixe les lignes directrices pour favoriser les intérêts des multinationales américaines insérées dans le secteur agricole, et elles sont défendues et promues par les médias. Lorsqu’elles sont mises en danger par des actions souveraines, elles attaquent.
Si vous ne comprenez pas cette stratégie, vous ne pourrez pas expliquer comment il se fait qu’un pays qui produit des biens alimentaires pour 400 millions de personnes voit plus de la moitié de sa population dépendre quotidiennement des cantines communales financées par le gouvernement, parce qu’elle n’a pas accès à des aliments de base.
Une ancienne blague racontée en Amérique du Sud dit : « Pourquoi n’y a-t-il pas de coups d’État aux États-Unis ? Parce qu’ils n’ont pas d’ambassade américaine là-bas ».
A l’époque où les gouvernements progressistes avançaient en Amérique du Sud, au Mexique, les néolibéraux étaient occupés à brader la souveraineté au plus offrant. Nous avons raté l’occasion de nous y opposer. Si la fraude électorale commise par Felipe Calderón en 2006 avait échouée, Lopez Obrador aurait été président en même temps que la « décennie gagnante » dans le sud du continent. C’est pourquoi la coïncidence des objectifs entre le Mexique et l’Argentine nous offre aujourd’hui une grande occasion pour reconstruire un pont entre nos pays.
Jusqu’à présent, la balance commerciale du Mexique est restée positive, le peso n’a pas subi de dévaluation, la discipline fiscale est rigoureuse, la corruption a été jugulée depuis le sommet du pouvoir politique du pays ; pas un dollar de dette n’a été contracté par le gouvernement de la « Quatrième transformation » de Lopez Obrador, et nous investissons dans le développement social.
J’ai personnellement demandé au Président deux actions d’une grande portée. La première consiste à créer un réseau social mexicain qui n’interfère pas dans les processus démocratiques d’un point de vue supra-territorial et qui favorise les échanges culturels, éducatifs et économiques à caractère social. La seconde consiste à créer des modèles de coopération dans toutes les régions où sont développés les projets d’infrastructure du gouvernement, à les relier comme les rouages d’une montre afin d’atteindre un niveau opérationnel adéquat et de faciliter le développement des communautés laissées pour compte. Dans les deux cas, la réponse du président a été positive.
La Chine peut être un pays clé pour aider à renforcer la stratégie régionale. Le soi-disant « géant asiatique » n’adopte pas de critères idéologiques qui limitent sa capacité de négociation. Sa stratégie consiste à tirer parti de ce qui intéresse l’Occident, et sa planification est à moyen et long terme, ce qui lui permet d’opérer avec une capacité économique, un potentiel industriel et une stratégie commerciale adéquats. De même, nos pays ont besoin d’un partenaire qui les aidera à briser le cercle vicieux de la dépendance à l’égard des États-Unis.
Françoise Jullien, philosophe et sinologue française, explique dans son « Traité de l’efficacité » que les Chinois conçoivent l’efficacité en termes de transformation naturelle : le stratège fait évoluer la situation en sa faveur comme la nature fait pousser les plantes ou comme une rivière ne cesse de creuser son lit. Ce sont les principes de ce que l’on appelle le biomimétisme. Comme pour les changements naturels, la transformation qui se produit est à la fois discrète et diffuse, imperceptible en cours de route mais manifeste par ses effets.
Davantage que dans les effets des actions, les Chinois croient à l’immanence de la transformation. Dans d’innombrables projets d’investissement nécessitant l’inclusion de technologies, comme le Réseau social mexicain et son Centre de données, ainsi que dans certains des modèles économiques sociaux découlant de la proposition que j’ai faite au Président, la Chine peut jouer un rôle décisif. Le marché mexicain, qui compte plus de 120 millions de personnes, est très important, car il faut y ajouter les 30 millions de personnes qui vivent aux États-Unis.
De même, la stabilité de l’Argentine est impérative. Il suffit de penser qu’une grande communauté de citoyens argentins vit le long du tronçon touristique de classe mondiale du Chemin de fer maya du Mexique. Les avantages de ces modèles de coopération pour le Mexique sont évidents.
Naturellement, dans le domaine agro-industriel, les avantages des exportations argentines seront extraordinaires. Le Mexique dispose d’une base industrielle solide pouvant être diversifiée, et en même temps nous pouvons participer à la révolution technique et scientifique.
La guerre hybride a une logique d’efficacité qui contredit ce que la Chine propose par sa propre perspective philosophique. Le monde post-pandémique nous donnera l’occasion d’entrer dans un nouveau paradigme : Le Mexique et l’Argentine doivent unir leurs efforts afin de concrétiser leurs projets d’indépendance économique, de justice sociale et de souveraineté politique. Ce processus ne fait que commencer.
Merci.