« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Visio-conférence internationale 25-26 avril 2020
Session 1
2 mai 2020
discours de Bassam El Hachem, professeur, sociologue, Université du Liban, militant
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Mme Helga Zepp-Larouche, mes amis de l’Institut Schiller,
Je vous salue cordialement depuis Byblos, au Liban, et c’est justement sur le Liban que portera mon propos.
Ce pays traverse, en effet, aujourd’hui des crises économiques et sociales, illustrant, à mon avis, on ne peut plus fidèlement, en miniature, la problématique globale de notre visio-conférence : crises, dont celle liée à ce soulèvement populaire inédit qui a pris son coup d’envoi le 17 octobre dernier et, à ce jour encore, poursuit invinciblement son cours, envers et contre le confinement. Toujours est-il que, pour faire ma présentation, il ne m’est accordé que 5 à 7 minutes. D’où l’obligation d’en restreindre la teneur au strict essentiel de cette crise.
S’agissant, pour commencer, des indicateurs de cette dernière, j’en vois notamment trois ; à savoir : 1) un effondrement financier et économique prenant corps dans une dette publique qui avoisine le chiffre astronomique de 90 milliards de dollars USA et correspond à 160 à 170 % du PIB national, couplé d’un très lourd service de la dette, équivalant à 10 ou 11 % du PIB, d’un déficit budgétaire se chiffrant, en 2019, à 16 % du PIB, mais couplé aussi d’un grave déficit dans la balance des paiements ; 2) des conditions de vie en régression continue, résultant d’une détérioration du pouvoir d’achat des revenus suite à une stagnation endémique des salaires, allant de pair avec : a) une augmentation des taxes sur les produits importés (soit sur près de 80 % des produits de consommation dans le pays) et, même, à compter de l’été 2019, un début d’amputation, pratiquée sur la paie des retraités de la fonction publique et des forces armées et, b) des taux de chômage de l’ordre faramineux de 30 à 33 % de la main-d’œuvre libanaise résidente, notamment parmi les jeunes ; 3) un délabrement scandaleux des infrastructures et des services qu’elles fournissent, de l’électricité qui est toujours loin d’être assurée 24 heures sur 24, à l’eau potable qui ne coule guère tous les jours dans les robinets, aux infrastructures de transports, et j’en passe.
S’agissant des causes qui se tiennent derrière cette crise, je vois principalement ce qui suit : 1) un pouvoir foncièrement stipendié et corrompu, dont les grandes coordonnées n’ont pas changé depuis le début des années 1990, en dépit de quelques ajustements mineurs intervenus à partir de 2005 ; 2) une politique économique et financière foncièrement rentière, en vigueur de manière systématique depuis lors, privilégiant endettement et attraction des capitaux pour être placés dans des bons du Trésor, à des taux d’intérêt annuels atteignant à un moment donné le seuil fort inquiétant de 40 – 45 %. Ce dont il résultera inévitablement : accroissement des dettes de l’Etat, accumulation des fortunes privées issues de tant de malversations dont la précitée pratique, au détriment de l’intérêt public, et une ruine subséquente de l’agriculture et de l’industrie, desquels les investisseurs éventuels seront par là inexorablement détournés à l’avantage des placements en banque ; 3) la guerre en Syrie et ses incidences néfastes sur l’économie libanaise, avec l’afflux au Liban de cette masse énorme de ses ressortissants fuyant la guerre, exerçant des pressions accablantes sur la main-d’œuvre libanaise et le marché des produits autochtones et, d’un autre côté, une coupure inédite des routes terrestres, irremplaçables pour le transport de la production libanaise, tant industrielle qu’agricole, vers la Jordanie et l’ensemble des pays arabes du Golfe, et notamment le marché irakien.
Pour ce qui est, par ailleurs, des obstacles barrant la route à une sortie de la crise, l’on repère notamment les suivants : 1) une politique systématique des Etats-Unis à coup de sanctions économiques et financières, venant relayer les canonnières de jadis, au service privilégié d’Israël, qui étranglent le pays du Cèdre ; 2) des pressions exercées pareillement par la même superpuissance sur ce pays, pour le forcer à modifier le tracé de ses frontières terrestres et maritimes avec Israël et la Palestine occupée ; dont une incidence est de retarder autant que possible l’avancement du Liban dans ses explorations pétrolières et gazières en Méditerranée ; 3) les USA nous interdisent également, par proxys autochtones interposés, toute reprise du dialogue avec le pouvoir syrien, lequel a tenu bon, avec l’aide de ses amis et alliés, dont notamment la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais, ce qui entrave toute solution à nos problèmes économiques (ceux notamment liés au transit de nos marchandises à travers le territoire syrien, comme au retour, souhaité au plus tôt, des 1,5 millions de Syriens réfugiés au Liban à cause de la guerre, depuis 2011) ; 4) les conditions draconiennes du FMI et de la Banque mondiale, comme de la conférence dite CEDRE (réunie à Paris en avril 2018), ou l’influence américaine pèse, également, de manière notoire : pour nous consentir des prêts qui nous permettent d’assainir nos finances et relancer notre économie, ces derniers nous imposent des conditions que nous ne sommes pas en mesure d’accepter, ni d’assumer.
Des lueurs d’espoir pour une issue de sortie se pointent pourtant à l’horizon, mais sans aide extérieure, le Liban seul aura du mal à les mettre à profit. A savoir notamment : 1) une récupération éventuelle de l’argent public cambriolé par les malfaiteurs qu’on n’ignore plus et déposé sur des comptes à l’étranger, dont le montant s’élèverait à quelque chose comme 160 à 200 milliards de dollars ; 2) une neutralisation des facteurs régionaux par un règlement juste de la cause palestinienne et de la question syrienne, condition incontournable pour écarter de la scène libanaise les interférences régionales ; 3) une restructuration de notre économie de manière à privilégier, au détriment du système rentier, les secteurs productifs de l’économie physique, soit l’agriculture, l’industrie et la technologie. De tout cela, néanmoins, rien ne sera vraisemblablement possible que dans le cadre d’une refondation des rapports entre les nations, sur la base d’une équation du genre donnant-donnant et d’un nouvel ordre financier et économique plus équilibré, jetant au rancart l’hégémonisme dangereux que les Etats-Unis pratiquent à outrance et donnant, à sa place, à toutes les nations, grandes et petites, voix au chapitre dans la gestion des affaires du monde. Aussi n’est-ce pas pour réfléchir sur une telle alternative que nous sommes, aujourd’hui, réunis ?