« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Veille stratégique
22 février 2022
Avec la signature par Vladimir Poutine des décrets reconnaissant l’indépendance de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Louhansk, ainsi que les traités d’amitié et de coopération entre la Russie et celles-ci, c’est un développement majeur que vient de connaître le monde. Dès cette annonce, le président russe a ordonné aux forces armées de commencer une mission de maintien de la paix dans ces républiques et a exigé que l’Ukraine cesse toute opération militaire contre les deux républiques, sous peine d’en subir les conséquences. Rappelons que les populations russophones de ces deux entités étaient l’objet depuis 2014, date de la révolution de couleur de Maïdan, de diverses mesures discriminatoires, parmi lesquelles l’interdiction de la langue russe en Ukraine du jour au lendemain de l’installation du nouveau du régime ukrainien. Dans les derniers jours, ces régions étaient la cible d’attaques au mortier de la part des forces ukrainiennes, attaques ayant déjà fait des victimes.
Vladimir Poutine a franchi une ligne rouge et ce faisant il a renversé les tables. Ce développement a néanmoins été rendu possible par les choix politiques des pays occidentaux et leur acharnement à ne pas prendre en compte les exigences légitimes de la Russie. Vladimir Poutine a invoqué trois facteurs principaux pour justifier cette action, qui avait été autorisée par une résolution de la Douma d’État russe le 17 février : le non-respect par l’OTAN, depuis des décennies (récemment documenté de manière approfondie), des promesses faites par les dirigeants occidentaux en 1990-1991, de ne pas s’étendre à l’est de l’Allemagne unifiée ; la transformation de l’Ukraine, depuis le coup d’État de 2014, en « une colonie avec un gouvernement fantoche » des États-Unis et des puissances de l’OTAN ; et la référence du président ukrainien Zelensky à la possibilité pour l’Ukraine de devenir une puissance nucléaire.
Les principaux pays de l’OTAN, dont la pression sans cesse croissante depuis 25 ans sur les frontières occidentales et la dissuasion nucléaire de la Russie a finalement conduit à cette crise, ont dit qu’ils répondraient par des sanctions financières, bien que la nature exacte de ces sanctions fasse l’objet de nombreuses discussions. Parmi ceux qui, en Europe, ont rapidement appelé à des sanctions immédiates et/ou maximales, on peut citer : Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères ; Jens Stoltenberg, secrétaire général sortant de l’OTAN ; Liz Truss, ministre britannique des affaires étrangères ; Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne ; Mateusz Morawiecki, Premier ministre polonais ; et Edgars Rinkēvičs, ministre letton des affaires étrangères.
La Maison Blanche a annoncé un décret du président Biden « qui interdira tout nouvel investissement, commerce et financement par des personnes américaines à destination, en provenance ou dans les régions ukrainiennes dites République populaire du Donetsk et République populaire de Louhansk (...). Le Département d’État et le Département du Trésor fourniront des détails supplémentaires sous peu. Nous annoncerons également prochainement des mesures supplémentaires.(...) » La déclaration précise qu’il ne s’agit pas des « mesures économiques sévères que nous avons préparées en cas de nouvelle invasion de l’Ukraine par la Russie ».
Il convient de rappeler que le président Poutine, lors d’une conférence de presse la semaine dernière avec le président biélorusse Alexandre Loukachenko, avait déclaré que de fortes sanctions économiques allaient être imposées à la Russie, quelle que soit la suite de la crise, car l’objectif actuel de la Grande-Bretagne et des États-Unis est de ralentir, voire d’arrêter complètement, le développement économique de la Russie et de la Biélorussie. Cet objectif des sanctions financières a été déclaré officiellement par des hauts fonctionnaires non identifiés de l’administration lors d’un point de presse le 25 janvier. L’autre cible des puissances de l’OTAN est la Chine, et le partenariat économique et stratégique annoncé par la Chine et la Russie à Pékin le 4 février change fondamentalement la situation mondiale.
Quelques heures avant l’annonce de sa décision, Vladimir Poutine avait convoqué le Conseil de sécurité russe. Fait inhabituel, la réunion était retransmise en direct, et était traduite en anglais sur Russia Today.
Lors de cette réunion, Poutine a notamment averti que si l’Ukraine se trouvait, en effet, amenée à rejoindre l’OTAN, malgré les assurances des membres de l’OTAN que cela soit peu probable à court terme, cela constituera une menace pour la Russie en raison de la disposition de l’article 5 du traité de l’OTAN selon laquelle une attaque contre un membre est une attaque contre tous. « Mais puisque personne ne reconnaît la volonté exprimée par les habitants de Crimée et de Sébastopol, et que l’Ukraine continue d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un territoire ukrainien, il existe une menace réelle qu’ils tentent de reprendre le territoire qu’ils estiment être le leur en utilisant la force militaire », a-t-il déclaré. « Et ils le disent dans leurs documents, évidemment. Alors l’ensemble de l’Alliance de l’Atlantique Nord devra s’impliquer. »
Les remarques de M. Poutine ont été suivies d’exposés du ministre des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, sur la situation diplomatique, du chef d’état-major adjoint, Dmitry Kozak, sur la mise en œuvre des accords de Minsk et du ministre de la Défense, Sergei Shoigu, sur la situation militaire. Ensuite, tous les membres du conseil ont donné leur avis sur la question de la reconnaissance des deux républiques séparatistes. M. Shoigu a indiqué que les forces armées ukrainiennes ont fait entrer 59 000 soldats, armés de 345 chars, 2 160 véhicules blindés, 820 mortiers et systèmes de roquettes d’artillerie Smerch, tous présents dans la zone de conflit en violation des accords de Minsk. Les totaux qu’il a donnés pour ces forces n’incluent cependant pas les bataillons nationalistes, dont il a indiqué qu’ils ne sont pas sous le contrôle du gouvernement ou même des commandants locaux, « donc ils font ce qu’ils jugent approprié ».