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Visioconférence internationale du 9 avril 2022

La paix de Westphalie pour échapper au piège de Thucydide

3ème session

19 avril 2022

Par Jacques Cheminade, président de Solidarité et Progrès, ancien candidat à l’élection présidentielle française

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Commencée en 1618, la guerre de Trente Ans a coûté la vie à plus de 5 millions de personnes.
Ce fut une véritable apocalypse européenne. Aujourd’hui, nous sommes embarqués sur une machine qui nous précipite vers la « fin du monde ». Notre défi est de l’arrêter avant qu’elle ne détruise l’humanité, par une dévastation économique mondiale ou par une guerre nucléaire.

La solution que la paix de Westphalie apporta, en 1648, aux atrocités de l’époque, devrait nous inspirer pour créer une dynamique de paix par le changement de notre façon de penser et d’agir. Non seulement parce qu’elle a mis fin aux guerres de Religion et établi une nouvelle forme de négociations de paix entre les États, comme on peut le lire dans tous les livres d’histoire, mais plus fondamentalement, parce qu’elle a abordé l’agapè, ce mot grec qui qualifie la bonne volonté créatrice et rédemptrice pour tous les hommes, dans un sens séculier.

Dans son « Dialogue des civilisations eurasiatiques : les cinquante prochaines années du monde », Lyndon LaRouche nous dit : la base implicite pour connaître la pertinence de nos choix ne réside pas dans l’expérience du passé, mais dans la pertinence de notre expérience de l’avenir.

Si l’esprit de la Paix de Westphalie est une référence pour nous, c’est précisément parce qu’il relève d’une conception de l’homme qui n’existait pas encore à l’époque, mais qu’il était néanmoins absolument indispensable de concevoir, afin de mettre un terme à la destruction mutuelle qui s’opère dans un système perdant-perdant. Aujourd’hui, à nouveau, notre défi est de voir avec les yeux du futur.

Pour vous donner une idée des atrocités de la guerre, vous voyez ici « La pendaison », tirée des « grandes misères de la guerre » de Jacques Callot, une série de 18 gravures remontant à 1633, où il décrit comment la violence et l’avilissement moral, en temps de guerre, touchent aussi bien les soldats que les civils. Le sac de la ville de Magdebourg est un terrible exemple de ces atrocités : en un jour, après l’irruption des soldats dans la ville assiégée, sur 1900 bâtiments, seuls 200 étaient encore intacts, et de ses 25 000 habitants, les quatre cinquièmes étaient morts (soit 20 000 environ).

Il faudra alors plus de quatre ans de négociations, entre 1643 et 1648, pour parvenir à un accord, par le biais de différents traités, principalement à Munster et Osnabrück. La paix nécessite de générer des principes et des lois internationales entre États-nations ; elle ne peut jamais être un simple arrangement diplomatique au sein d’un système existant.

Comment cela a-t-il été possible ? C’est parce que cette Paix a créé un ordre supérieur de relations entre les États et les êtres humains. Et c’est essentiellement pour cela, encore une fois, qu’elle sera notre référence aujourd’hui. À l’opposé, on a pu entendre en avril 1999, dans un discours à Chicago, un belliciste vicieux et fanatique partisan du Global Britain comme Tony Blair, répudier Westphalie en défendant un interventionnisme libéral meurtrier contre les États-nations.

Examinons attentivement les trois grands principes de Westphalie et comment ils conduisent à un système de développement mutuel gagnant-gagnant, alors appelé cameralisme, mercantilisme ou « philadelphic ».

L’article 1 énonce le cœur de la philosophie westphalienne : qu’il y ait une Paix chrétienne, universelle (...) et que chaque partie s’efforce d’obtenir le bénéfice, l’honneur et l’avantage de l’autre (...).

C’est tout à fait contraire au principe de la géopolitique, selon lequel chaque joueur essaie de rafler tous les gains au détriment des autres.

L’article 2 stipule : qu’il y ait de part et d’autre un oubli, une amnistie ou un pardon perpétuel de tout ce qui a été commis depuis le commencement de ces troubles, en quelque lieu et de quelque manière que les hostilités aient été pratiquées, de telle sorte que personne, sous quelque prétexte que ce soit, ne puisse pratiquer aucun acte d’hostilité, entretenir aucune inimitié ou causer aucun trouble l’un contre l’autre...

Voilà ce que signifie « voir avec les yeux du futur », et non à travers les griefs sans fin et autodestructeurs du passé.

Avant même de régler les revendications territoriales, les Traités s’attachent à remédier à la ruine économique dans laquelle tous sont plongés.

Identifiées comme des causes potentielles alimentant la dynamique de guerre perpétuelle, les dettes et créances financières insolvables et illégitimes sont triées et arbitrées. Principalement par annulation (articles 13 et 35 à 39) ou rééchelonnement négocié (article 48). L’article 37, en particulier, stipule : les contrats, échanges, transactions, obligations, traités, faits par contrainte ou menace, et extorqués illégalement à des États ou à des Sujets, seront annulés et abolis de telle sorte qu’il ne sera plus fait enquête à leur sujet.

L’article 40 ajoute : cependant les sommes d’argent qui, pendant la guerre, ont été extraites de bonne foi, et par bonne intention, à titre de contributions, pour prévenir des maux plus grands de la part des contributeurs, ne sont pas comprises ici.

C’est l’esprit du Glass Steagall Act, contre ce que Roosevelt appelait les faiseurs d’argent et les banksters.

Permettez-moi de faire une brève parenthèse. C’est le même esprit que Martin Luther King a incarné dans son célèbre sermon politique « Aimer ses ennemis », prononcé à l’église baptiste de Dexter Avenue, à Montgomery, en Alabama, inspiré de l’évangile de Matthieu.

Il y affirme : loin d’être la pieuse instruction d’un rêveur utopique, ce commandement est une nécessité absolue pour la survie de la civilisation.

Avant d’ajouter : la deuxième chose à faire quand on cherche à aimer son ennemi, c’est de découvrir la part de bien en lui, et chaque fois que vous commencez à haïr cette personne ou que vous pensez à la haïr, réalisez qu’elle possède également une part de bien et regardez ces bons points qui contrebalanceront les mauvais.

Et enfin, l’autre raison pour laquelle vous devez aimer vos ennemis, c’est que la haine déforme la personnalité de celui qui l’éprouve.

Ce que Martin Luther King exprime ici dans sa forme la plus profonde est un principe partagé par toutes les civilisations de notre histoire humaine dans ce qu’elles ont de meilleur : s’engager à améliorer autrui en changeant sa façon de penser et d’agir, et donc s’améliorer soi-même.

Transformer l’autre, dans l’esprit de la paix de Westphalie, est notre défi. S’inspirant de Nicolas de Cues, vous avez entendu Helga Zepp-LaRouche nous mettre au défi d’atteindre le niveau de la « coïncidence des opposés ». Faire la paix, ce n’est pas résoudre un problème avec un ami, mais transformer un ennemi en s’élevant à un niveau de pensée et d’action supérieur à celui qui est à l’origine du conflit, d’où il devient alors possible de partager le bien ensemble.

C’est précisément là que la paix de Westphalie conduit à l’épanouissement de la créativité humaine dans l’univers physique. Pour se réaliser et se maintenir, la paix doit être fondée sur un accroissement de la productivité humaine associée à la découverte de nouveaux principes physiques, appliqués sous forme de technologies assurant de meilleures conditions de vie sociale pour tous.

C’est ce qui a été accompli en Allemagne et en France, sous l’impulsion des esprits créatifs de la seconde partie du XVIIe siècle, en particulier de Gottfried Leibniz. En France, autour de l’Académie des Sciences, elle est connue sous le nom d’économie mercantiliste, ou colbertisme.

En Allemagne, elle a généré le caméralisme, la mise en place d’un État stratège, engagé dans l’amélioration des rendements agricoles et de la production manufacturière, tout en assumant sa responsabilité sociale et une croissance économique à long terme au profit de tous.

Il faut souligner ici que Leibniz, dans sa Novissima sinica de 1697, a développé le concept selon lequel l’ouest et l’est du continent eurasien devraient échanger ce que chacun avait de meilleur, l’engagement envers la science et le développement technologique à l’ouest, et les principes de développement social harmonieux en Chine. S’il y a bien eu quelques échanges hautement bénéfiques pour les deux, le projet, en tant qu’impulsion vers l’unité universelle, a été bloqué.

N’est-ce pas précisément ce qui n’a pas été possible à l’époque, qui est notre défi westphalien à tous aujourd’hui ? Je suis heureux que ce soit précisément le but de notre Conférence, l’unité sans uniformisation, l’échange du meilleur de chacun d’entre nous pour assurer la paix par le développement commun de nos potentiels humains dans l’univers, au-delà de ce que nous connaissons.

Leibniz a écrit, dans son Codex juris gentium : l’homme de bien est celui qui aime tout le monde, autant que la raison le permet... La charité est une bienveillance universelle, et la bienveillance [c’est] l’habitude d’aimer ou de vouloir aimer le bien. L’amour signifie donc se réjouir du bonheur de l’autre (...) le bonheur de ceux dont le bonheur nous plaît, se transforme en notre propre bonheur, puisque les choses qui nous plaisent sont désirées pour elles-mêmes.

Certains qualifieront cela d’« utopique ». Ils se trompent lourdement. Mortellement, parce que l’alternative est de tomber dans le piège de Thucydide, cette conception géopolitique selon laquelle une puissance déclinante se trouve forcément confrontée à une puissance montante, ce qui engendre la guerre.

C’est ce qui a ruiné Sparte et Athènes dans les guerres du Péloponnèse. Or, ce qui menace de nous ruiner aujourd’hui serait bien pire, car l’enjeu se situe cette fois au niveau de l’humanité entière, équipée d’algorithmes financiers destructeurs et d’armes nucléaires. Leur culture est une culture de mort. La nôtre est une culture de la vie pour le bien commun et le bénéfice des générations futures.

Un seul mot pour conclure : Xi Jinping est un lecteur assidu de Leibniz et le site internet chinois Ai Sixiang (L’amour de la pensée) est une plateforme dédiée à l’avenir. Ce que l’Europe a généré, notamment la Constitution des États-Unis, est l’autre raison pour laquelle nous sommes ici.

Soyons donc heureux d’être différents, mais avec le même élan pacifique et westphalien d’unité pour réparer et reconstruire notre monde si immédiatement menacé.

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