« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Vidéo-conférence internationale des jeunes - 26 septembre 2020

La créativité à l’ère de l’Intelligence artificielle

Addictions nouvelle génération

11 novembre 2020

par Chérine Sultan

Les experts en neuro-sciences ont réussi à supprimer notre bouton « stop » : notre capacité à arrêter, à passer à autre chose, à associer notre volonté et notre action. Des jeunes sur Tik Tok restent des heures à regarder des vidéos de moins d’une minute ! On a même dû mettre une option qui bloque l’application au bout de 45 minutes. Des gens sont capables de rester des journées entières (et des nuits) devant des séries télévisées qui n’apportent rien. « C’est nul, mais je vais regarder le suivant » : combien de fois avez-vous entendu cela ? Tout étant fait dans le scénario et dans le montage pour nous mettre du sel sur la langue et susciter le besoin de voir la suite, nous continuons à pratiquer une activité, à consommer un produit, au point où nous ne ressentons plus aucun plaisir quand nous le consommons, mais une souffrance quand nous ne le consommons plus. Cela crée un sentiment de souffrance culturelle et nous rend impuissants à reprendre le contrôle sur nous-mêmes. « On le sait que ce n’est pas bon pour nous, on le sait, mais on le fait quand même ».

Cela n’a cependant pas été inventé avec le numérique et les écrans : le théâtre antique utilisait déjà cette faiblesse pour divertir les Romains ! C’est le sens de l’expression « du pain et des jeux ».
Il semble inutile de faire la morale en tant que telle. En effet si le bouton stop ne marche plus par la volonté, par la morale intérieure, il ne marchera pas plus par la morale contrainte depuis l’extérieur, par exemple venant d’un ami qui nous conseillerait avec compassion : « Arrête les écrans ! ».

Pourtant, parfois, aimer son prochain c’est le bousculer avec tact. Connaissez-vous l’histoire d’Alypius, l’ami de Saint-Augustin ? Il avait toujours refusé d’aller voir les combats de gladiateurs... jusqu’au jour où, tiré presque de force jusqu’au cirque par un groupe « d’amis », ses mains, qui lui cachaient les yeux dans l’espoir de l’épargner de cette horreur, ne suffirent pas à protéger son âme. Jetant un œil à ce terrible spectacle, il se mêla à la foule assoiffée de sang. Il fut incessamment rappelé par la suite à contempler ce cirque, ayant de la peine à suivre ses études auprès de Saint-Augustin. Le jour où ce dernier se moqua des amateurs de ces jeux en les comparant à des esclaves, le bouton stop se remit à fonctionner pour le jeune homme.

Chez Alypius, la raison a fini par reprendre le dessus car il avait auparavant eu accès à autre chose. Pour des enfants, leur niveau de développement demande à ce que leurs parents équilibrent temps d’apprentissage et de divertissement. Mais passé un certain âge, la solution est plus exigeante et difficile à mettre en œuvre. En effet chez les jeunes adultes, l’intellect ne demande plus à être relaxé mais à être toujours plus développé et sollicité : nous voulons que nos divertissements nous nourrissent aussi intellectuellement. Beaucoup de gens aiment d’ailleurs Netflix car des reportages enrichissants y sont diffusés.

Ne pas se rendre compte, cependant, de la perversité de certains aspects intellectuels de notre culture est parfois l’écueil dans lequel tombent nombre de ceux qui prétendent « penser en dehors du moule » en lisant des auteurs « alternatifs » ; ou en regardant des chaînes « dissidentes ». Ils ne remettent pas en question une manière de penser dans son ensemble, qui, le plus souvent, est induite aussi bien à travers la culture de masse que celle... de la dissidence.

La masse et ses données

D’après vous, de combien est la part de consommation électrique mondiale du numérique ? 10 % ! En termes de gaz à effet de serre, c’est l’équivalent du secteur de l’aviation. Alors quand j’entends que le confinement est une aubaine pour la planète, je rigole, car toutes les activités ont été transférées sur les écrans, autant pour le télétravail que pour les loisirs. Tant de jeunes m’ont confié : « Vous savez, Netflix, ça nous a été bien utile pendant le confinement ». Bref, toute cette énergie correspond au transfert des données et au stockage sur les serveurs. En chiffres :
. - Les vidéos en ligne, toutes plateformes confondues, c’est 75 % du trafic (estimation à 82 % dans 2 ans) ;
. - Netflix, c’est 13 %, Youtube 9 %, Facebook 3 % ;
. - Une vidéo de 10h haute qualité, c’est tout Wikipédia en anglais !
. - En France, 4 opérateurs se partagent la moitié du flux, dont Netflix qui prend autant que les 3 autres réunis (Google, Facebook et Akamai Technologies, qui héberge beaucoup de sites internet).

Une montagne de données qui fait avouer à Reed Hastings, le fondateur de Netflix : « Nous sommes en concurrence avec le sommeil ». La campagne de Solidarité & Progrès dans la rue « Métro-Boulot-Netflix » était bien trouvée ! Cela n’est pas prêt de s’arrêter puisque le trafic augmente de 25 % par an, c’est-à-dire qu’il double en 3 ans et qu’il triple en 5. Nous sommes entrés dans l’ère du dataïsme.

Comment la cybernétique a fait de vous un esclave

Connaissez-vous le nom des armes qui ont détruit le bouton stop ? D’abord, l’infini : le fil infini qui se déroule le long de votre mur sur Facebook, ainsi que la fonction Autoplay pour Youtube ou Google, qui lance directement la vidéo suivante. Ensuite les notifications et les recommandations de contenus similaires, qui vous enferment dans ce que vous aimez et connaissez déjà. La similarité : ce mot a été puisé dans les principes anti-créatifs dits de « contact, de similarité et de cause à effet » de John Locke, philosophe empiriste anglais du XVIIIè siècle. Combinée à l’infini, la similarité est la clé du succès de la cybernétique.

Cybernétique : késako ? Ça vient de l’équipe de Norbert Wiener, qui a créé un programme pour prévoir les comportements humains dans des situations dites « non linéaires ». Non linéaires, dans le sens où contrairement à une mécanique répétitive, l’humain prend des décisions suivant son libre arbitre. Jusque-là, tout va bien. Dans le libre arbitre, un choix doit être fait. Mais dans les termes de la théorie de la communication, dont Wiener fut l’un des fondateurs dans les années 1940-50, cela se traduit par « un manque d’information ». Or, pour faire une prévision, tout doit être traduit en information et pouvoir être vérifié par une rétroaction (« feedback »).

L’argument ? La théorie statistique des gaz et son corollaire : l’entropie. L’entropie est assimilée au désordre, de même que le manque d’information. Vous me suivez ? Ou je vous ai perdu car ces notions sont un peu compliquées ? Vous vous êtes contentez, sans doute, du seul terme que vous avez compris, le libre arbitre, concept mis à mal en plein milieu de ce 20e siècle, où Wiener a grandi. Alors vous êtes peut-être contents, parce que vous pensez qu’il y a là un système qui reconnaît le libre arbitre et le prend en compte dans ses prévisions, et ce de la part de chercheurs de très haut niveau. On serait à l’apogée de la démocratie et du progrès !

Mais, attendez une seconde. Dans la cybernétique, le libre arbitre est en réalité limité par le programmateur qui intègre dans son analyse des décisions limitées et préexistantes. Comment pourrait-il en être autrement, il faut bien faire un programme, après tout ? Le résultat se fait ensuite par la théorie des probabilités et des statistiques. Quelle décision sera choisie plus probablement qu’une autre ? Pour être toujours plus précis, la machine doit intégrer une nombre croissant de données.

Pas d’esclaves des loisirs sans esclave du travail

Un type de sous-emploi a été créé pour gérer les données : les cliqueurs, qui doivent corriger la machine pour l’aider à mieux apprendre (dans ce qu’on appelle le deep learning). Il y a plein d’autres sous-emplois liés au numérique, comme les préparateurs de commande ou les livreurs (voir Sorry we missed you de Ken Loach – et l’ironie c’est qu’on peut voir ce film en streaming, ou le commander sur Amazon !). Mais entendons-nous bien : ce sont là des dérives qu’il faut dénoncer sans se tromper d’ennemi. Car si les algorithmes, les robots et les avancées du numérique peuvent être détournés, ils sont aussi nécessaires pour soulager des travaux pénibles et répétitifs ainsi que pour trier des éléments d’analyses dont profiteront des chercheurs, des ingénieurs, des architectes, des historiens...

D’où viennent vos idées ?

Il est peut-être utile de préciser qu’en grec, cybernétique vient de kubernetes, qui veut dire gouverner. En langage oligarchique, cela passe par le contrôle social. Cela inclut la surveillance, qui n’inquiète pas tout le monde : « Oui, mais moi, je n’ai rien à cacher, surveillez-moi, regardez ce que je fais, je résiste, vous devez le savoir ». Méfiez-vous, car le contrôle social signifie plus que la surveillance : c’est aussi la manipulation, le fait d’induire à penser d’une certaine façon. Comme pour la publicité, on ne veut pas juste savoir ce que vous aimez, et surveiller vos goûts pour vous vendre ce qui vous plaît : on va aussi prévoir ce que vous aimerez avant que vous ne le sachiez vous-mêmes ! Et comme pour la culture de masse, on ne veut pas seulement savoir quelle série vous regardez pour vous accrocher sur un écran et vous détourner de la résistance et de l’action politique : on va aussi vous convaincre de certaines opinions avant que vous ne puissiez les formuler et sans vous laisser l’occasion de comprendre comment vous parviendrez à ce genre de conclusion.

Quelle est la cible favorite de l’oligarchie pour nous induire à penser d’une certaine manière ? L optimisme ! Car c’est votre vision du monde qui vous pousse, ou non, à l’action. Agir… ou réagir ? Sur les causes ou les effets ? Oui, les conséquences de la pandémie sont catastrophiques. Oui, nous devons agir dessus pour réduire les effets négatifs. Mais est-ce à ce niveau qu’on peut agir durablement ? Agissez, si vous en avez l’énergie physique et morale, dans l’humanitaire et le social, oui, trois fois oui ! Mais un jour, quand vous ressentirez une frustration, puisque jamais vos actions ne suffiront, soyez prêts à agir sur les causes, trois mille fois oui !

Les données au service de la créativité

Comme l’a expérimenté l’astrophysicien Johannes Kepler, qui a découvert la gravitation universelle, le véritable rôle de la science est de comprendre les causes des phénomènes de notre univers De ce point de vue, les neuro-sciences peuvent être anti-scientifiques, dès lors qu’elles cherchent à interpréter des phénomènes humains en les observant du point de vue électrique ou electrochimique et en les traduisant dans la langue numérique. Est-ce comme cela que la créativité fonctionne ?

Kepler, qui travaillait sur l’énorme « base de données » manuscrite issue des observations du ciel qu’avait faites son riche ami Tycho Brahe, interrogera les anomalies qu’elle faisait apparaître. Et là, il fit quelque chose d’inimaginable : il prouva que le mouvement planétaire est une orbite elliptique !. Il brava ainsi l’interdit religieux de cette époque, selon lequel elle ne pouvait qu’être circulaire, le cercle étant la forme parfaite – et donc divine. Il révolutionna la science à partir d’un très faible nombre de mesures. N’importe quel lot de 3 ou points donne chacun un cercle différent. Il a suffi d’un seul quatrième point, provenant d’un cercle différent, pour prouver que le mouvement produit par la planète ne pouvait absolument pas être circulaire (sinon, elle changerait de cercle en permanence) ! Tycho Brahe pouvait en avoir l’intuition, il voyait bien que ses données ne collaient pas avec les modèles existants. Mais il avait préféré « bricoler », pour masquer les anomalies apparentes. En réalité, c’était sa manière de penser qui était une anomalie, car une fois compris le vrai chemin de la planète, les « anomalies » devenaient très cohérentes !
C’est l’esprit d’hypothèse qui permet à l’être humain d’avoir une démarche, une intention dans la prise de données, et de faire un tri dans les mesures. Cela lui permet à la fois une économie de temps de calcul et de parvenir à une démonstration cruciale. Un ordinateur a beau avoir une capacité de calcul incommensurable comparé avec l’humain, il ne sera jamais qu’un outil pour la démonstration et la recherche d’une vérité. Pensez-vous qu’un ordinateur à la moindre idée de ce qu’est une vérité ? A-t-il l’idée d’une idée ?

Qu’est-ce qu’un cercle ? Un cercle est-il un ensemble de points ? Non, car entre deux points il y aura toujours un espace, alors qu’un cercle c’est d’abord une ligne ininterrompue. C’est un mouvement, chose qui n’a pas de signification dans le monde de l’ordinateur, pour qui tout ce qui a du sens est forcément basé sur des liens logiques entre des données, comme des points, et des codes programmés par un être humain.

Wiener a-t-il le sens de l’humour ?

Par extension, l’esprit humain ne sera jamais compréhensible par une machine. N’en déplaise à ces géants GAFAM du numérique, dont le but est justement de nous détourner de la créativité ! La créativité est incompatible avec les systèmes statistiques et de probabilité. C’est ainsi que LaRouche réfute Wiener. Dans la période 1948-52, en étudiant la biophysique mathématique, il constate des paradoxes dans les modèles des processus vivants. « Le processus vivant continue à fonctionner au-delà du point auquel l’analyse mathématique ordinaire cesse de pouvoir suivre le développement. Ainsi, raisonnai-je, il doit y avoir un ordre de fonction supérieur, dans lequel les fonctions mathématiques ordinaires sont des cas spéciaux. » De ces travaux, LaRouche conclut la chose suivante : « Le fait que j’aie compris cette erreur de Wiener est à la clef de mes découvertes en science économique et par conséquent la clef de tout ce qui a fait que j’aie acquis de l’influence sur le plan international. » (citations extraites de son autobiographie, Le pouvoir de raison)
La blague, c’est quand un principe est découvert avant même d’avoir observé les données qui lui correspondent. C’est ce qu’a fait Einstein avec la relativité générale : il a hypothétisé un phénomène qu’on a pu observer seulement un siècle après, avec les ondes gravitationnelles. L’autre blague : vous savez qui a imaginé la première machine à calculer ? Kepler et ses amis !

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