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Conférence internationale de Strasbourg - 8 et 9 juillet 2023

La Ceinture et la Route vaut mieux que la route des tanks !

1ère session

8 août 2023

Discours de Michele Geraci, ancien sous-secrétaire d’État, ministère du Développement économique ; professeur de pratique en politique économique, université de Nottingham, Ningbo ; professeur honoraire à l’université de Pékin, école d’économie ; professeur adjoint de finance, université de New York, Shanghai ; ambassadeur climatique En-ROADS-Climate Interactive/MIT ; (Italie).

Bonjour, je suis très heureux d’être parmi vous. Je tiens à remercier Helga pour son aimable invitation. Je suis heureux d’être ici avec des amis sympathiques.

Je voudrais vous donner un aperçu de ce qui se passe avec l’Initiative une Ceinture une Route (BRI) et, je l’espère, vous donner un point de vue différent sur les raisons pour lesquelles l’Italie a rejoint cette initiative, sur certaines des critiques que nous avons reçues et sur la façon dont je pense que la BRI est aujourd’hui, selon moi, un moyen d’apporter la paix dans le monde.

Je partage mon temps comme professeur dans plusieurs universités. J’ai la chance de travailler en Chine, à Shanghai, pour une université américaine, la New York University, et dans une autre université, à Ningbo, pour une université britannique, pendant que je suis en Chine. J’ai eu la chance et l’honneur d’être avec le président Modi, le président Xi, et avec le président Poutine, Lavrov et d’autres. Je suis donc à moitié politicien et à moitié économiste.

J’en viens aux choses pratiques. Je voudrais vous montrer une photo de moi et du président Xi, c’était quand l’Italie a signé le mémorandum BRI, en mars 2019 à Rome.

Pour vous donner une idée de l’importance des relations entre l’Italie et la Chine et de la signature de ce protocole d’accord, je vous parlerai de ce qui se passe avec mes amis à Rome et au sein du gouvernement italien. Tout le monde, je le dis très diplomatiquement, ne comprend pas l’importance de la Ceinture et de la Route. Vous avez compris ce que je veux dire.

Xi Jinping, en signe d’amitié, s’est rendu également dans ma ville natale de Palerme, en Sicile. Nous avons donc passé une journée à Rome et une journée à Palerme, en tant que touristes, avec la première dame.

Durant sa visite, il a dit très courtoisement que c’est une très belle ville – « J’espère que de nombreux touristes chinois viendront en Sicile, c’est un endroit magnifique, j’aime la plage, ma femme aime l’opéra, nous sommes allés au théâtre », etc.

Quelques semaines plus tard, nous avons signé un accord avec l’une des plus grandes agences de voyage chinoise, Ctrips, afin d’augmenter la fréquence des vols entre l’Italie et la Chine. Dans mon rêve, j’avais un vol direct de Wenzhou à Palerme, parce que 90 % des Chinois qui vivent en Italie viennent de cette ville de Chine. Et aussi pour les touristes qui viennent en Chine.

L’importance de cet événement réside dans une économie où la présence du gouvernement chinois est forte et dirige en quelque sorte les activités des entreprises... Dès que le président Xi a dit que c’était un endroit agréable, qu’il espérait que de nombreux touristes chinois y viendraient, il a immédiatement reçu un appel téléphonique de Ctrip pour lui demander ce qu’il fallait faire pour attirer plus de Chinois en Italie et en Sicile... Parlons-en aux compagnies aériennes, aux hôtels, etc. Il y a donc eu une cascade d’élans positifs et, en outre, l’image de l’Italie dans l’esprit des consommateurs chinois s’en est trouvée aussitôt rehaussée.

Cependant, après avoir signé le protocole d’accord sur la BRI, nous avons reçu de nombreuses critiques, ce qui est normal, du fait que nous faisons l’analyse et que nous prenons les décisions après et non avant, comme c’est le cas actuellement dans l’UE. L’une des premières critiques fut la suivante : vous êtes le premier pays du G7 à signer ce protocole d’accord et c’est une mauvaise chose. J’ai répondu que nous n’étions pas le premier pays du G20 à le signer, ni même le seul membre de l’OTAN, ni le seul pays de l’UE à en faire partie.

Je vous dis cela parce que le récit est un peu étrange. 13 ou 14 pays qui participent à la Ceinture et la Route font partie de l’OTAN, de l’UE et, bien sûr, du G20. Mais qu’est-ce que les critiques ont pointé du doigt ? Ils ont pointé du doigt le fait que l’Italie était la seule à faire partie du G7, qui, entre le G20, l’UE et l’OTAN, est à mon avis l’organisation qui a le moins d’importance, parce qu’elle n’a pas de cadre juridique, elle est moins importante que le G20 qui est inclusif, moins importante que l’OTAN qui fait des guerres ou que l’UE qui fait des politiques.

Le fait de ne pas pouvoir être allié des États-Unis, ou ami avec l’UE, ou de devoir sacrifier nos valeurs occidentales pour être dans la Ceinture et la Route, est à mon avis complètement absurde, car il est réfuté par le fait qu’il y a 13 autres pays qui sont à la fois dans l’OTAN, alliés, et à la fois dans la Ceinture et la Route.

L’autre critique était que l’Italie allait tomber dans le piège de la dette. J’ai travaillé dans la finance et l’économie pendant 30 ans. Je sais donc, et c’est une analyse que nous avons déjà faite, que le piège de la dette ne se produit pas dans les pays du G7, des économies de 2000 milliards de dollars. Le piège de la dette peut se produire dans des pays comme le Sri Lanka ou la Malaisie, où le niveau de prêt par rapport au PIB, le niveau de la dette extérieure par rapport au PIB, détenu par un seul prêteur - qu’il s’agisse de la Chine, du FMI ou de la Banque mondiale - est élevé.

Mais dans le cas de l’Italie, un pays du G7, une économie de 2000 milliards de dollars, même si la Chine avait investi 10, 20, 30, 50 milliards, nous serions très loin de nous retrouver dans le piège de l’endettement. Les critiques utilisent donc des problèmes que d’autres pays ont rencontrés, pour des raisons liées à la manière dont ils ont été gérés en interne, comme le Sri Lanka, par exemple, pour transposer ces problèmes à des économies plus importantes. Il s’agit donc d’une erreur logique.

Mais c’est à ce récit qu’il faut s’habituer. Les arguments semblent raisonnables au début, mais ils sont ensuite extrapolés et deviennent illogiques, comme le piège de la dette.

L’une des autres critiques formulées par l’UE était que l’Italie allait vendre tous ses ports à la Chine. C’est tout d’abord juridiquement impossible car en Italie, on ne peut pas vendre les ports, ce ne sont pas des sociétés anonymes. Contrairement, par exemple, au Pirée en Grèce, ou à un terminal du port de Hambourg, qui a été vendu pour 25 % à Cosco.

Là encore, c’est une impossibilité juridique et les critiques oublient que la Chine a des investissements en Grèce, en Égypte, en Israël, en France, au Havre, à Marseille, en Espagne, à Bilbao, à Valence, au Maroc, en Belgique, à Zeebrugge, aux Pays-Bas, à Rotterdam, à Hambourg, au Royaume-Uni, à Malte… en fait, partout !

Pourquoi l’Italie devrait-elle être le seul pays à ne pas pouvoir diriger le flux de conteneurs vers ses propres ports en Méditerranée, parce qu’il faut aussi être honnête, les ports européens sont en concurrence entre eux. Ainsi, une cargaison, un conteneur qui arrive de Chine ou de n’importe quel autre pays d’Asie et qui passe par le canal de Suez a un choix très simple : soit atterrir dans un port méditerranéen, qui pourrait être la Grèce ou l’Italie, les deux points les plus au sud et les plus proches du canal de Suez, soit passer au sud de Gibraltar et rejoindre la mer du Nord.

Je comprends donc parfaitement pourquoi les gouvernements allemand, français et néerlandais étaient contre nous. Parce qu’ils savaient qu’un conteneur de plus dans le port de Trieste et de Gênes signifie un conteneur de moins à Rotterdam. C’est un gain à somme nulle, nous pouvons coopérer pour augmenter la valeur totale, mais à court terme, en équilibre partiel, c’est un gain à somme nulle et nous sommes en concurrence les uns avec les autres, tout comme nous le sommes pour les exportations. Une bouteille de vin français en plus exportée vers la Chine, c’est une bouteille de vin italien en moins.

Je vous ai parlé de l’OTAN et des autres pays, mais la raison pour laquelle nous avons signé [ce protocole], c’est que dans le cas spécifique de l’Italie, nous sommes une grande économie mais très fragmentée, composée de très petites entreprises, d’un grand nombre de PME, d’environ 5 à 15 personnes en moyenne, qui sont passées d’environ 4 millions, au moins avant la crise, à 3 millions et quelques aujourd’hui.

Ces PME ne sont donc pas Siemens, Airbus, BSF, VW, Airfrance, Carrefour. Elles ont besoin de l’aide du gouvernement, elles ont besoin d’un parapluie qui les protège, qui les informe du risque d’entrer sur le marché chinois, qui est en effet très difficile, très complexe, parce que les règles d’accès changent continuellement, qu’il n’est pas facile de rivaliser avec les grandes entreprises chinoises détenues par l’État, qu’il y a un problème culturel et un problème de langue. C’est pourquoi nous, et moi personnellement, avons intégré l’Italie à la Ceinture et la Route afin d’offrir à nos entreprises ce type de protection.

Je leur ai dit : « Je sais qu’il est risqué de s’implanter en Chine, je sais que vous avez peur, je sais qu’il y a beaucoup de réussites mais aussi beaucoup d’échecs, et mon devoir en tant que membre du gouvernement est de réduire le risque commercial et d’augmenter la possibilité de gagner de l’argent. »

L’autre critique était plutôt drôle (ne riez pas !) : si l’Italie signe le protocole d’accord, cela signifie que le gouvernement italien devient communiste. Eh bien, non, le mémorandum ne dit pas que le gouvernement italien doit devenir communiste (il n’y a rien de mal à cela, les gens peuvent avoir leurs propres opinions). En fait, dans la formulation de cet accord, que nous avons négocié, et j’ai personnellement beaucoup négocié avec mon homologue chinois, nous avons des mots qui sont très chers à nos valeurs européennes, le respect du climat, du travail, etc.

Dans mon scénario de rêve, ce protocole d’entente sur l’Initiative une Ceinture une Route que l’Italie a signé était non pas la dernière étape, mais la première d’une vaste stratégie que j’avais en tête pour m’assurer que oui, l’Italie était bien le premier pays du G7 (il y a 15 pays européens), mais je voulais mettre ce protocole d’entente à la disposition de tous les autres partenaires, de l’Allemagne, de la France, afin qu’ils puissent également bénéficier de l’effort, des difficiles négociations que j’ai menées pour m’assurer que la Chine inscrive ces choses dans le protocole d’entente et qu’ils puissent également le faire et le porter au niveau de l’UE.

Je suis même allé à Washington et, moitié en plaisantant, moitié non (on ne sait jamais, j’aurais pu être chanceux), j’ai dit à mon homologue américain au ministère du Commerce : « Vous devriez aussi rejoindre la Ceinture et la Route », en fin de compte. Vous avez un accord de phase 1, vous voulez passer à la phase 2, vous pouvez le faire dans la Ceinture et la Route, il y a de la place pour tout le monde en Asie et en Afrique.

Je n’ai pas eu la chance que toute l’UE signe le protocole d’accord, mais deux pays importants ont suivi l’Italie : la Suisse et le Luxembourg, des pays différents, des économies différentes, mais ce fut politiquement très utile qu’un membre fondateur de l’UE, le Luxembourg, et une soi-disant démocratie libérale ouverte comme la Suisse aient signé le protocole d’accord. Cela nous a apporté un peu de soutien politique.

Nous ne le savions pas il y a quatre ans, mais nous savons maintenant que la crise des migrants de l’Afrique vers l’Europe n’est pas un problème portant sur les 100 000 migrants qui arrivent aujourd’hui en Italie, ni sur la manière dont nous nous partageons et répartissons ces migrants entre l’Allemagne, la France, etc. Le problème des migrants est que le Nigeria doublera sa population pour atteindre 400 millions et que l’Afrique comptera près de 3,8 milliards d’habitants d’ici la fin du siècle, de sorte que la seule solution que je vois, en tant qu’économiste, est d’offrir la stabilité économique et sociale à l’Afrique.

Nous ne sommes pas obligés d’aimer les pays avec lesquels nous faisons des affaires. Nous savons que la Chine, comme tout autre pays, a ses propres intérêts. La Chine, comme l’Italie ou les États-Unis, n’est pas le Père Noël. Ils ne vont pas en Afrique simplement pour aider, ils comprennent qu’il faut une double approche lorsqu’on aide un pays à se développer : d’une part, on le fait pour des raisons éthiques, mais il faut aussi gagner de l’argent, sinon la raison éthique s’essouffle très vite. C’est pourquoi la Chine investit intelligemment en Afrique, avec un stock total de 425 milliards de dollars d’investissements directs étrangers.

J’essaie de dire à mon Premier ministre, Georgia Meloni, et à d’autres membres du gouvernement que si on veut vraiment résoudre cette crise des migrants, on doit continuer à coopérer avec la Chine en Afrique. Il faut combiner les choses, rien n’est parfait dans le monde, mais je pense que l’Italie, et peut-être que je ramène ici mon rêve, et plus de pays européens, comme la France et l’Allemagne, doivent coopérer avec la Chine. La Chine apporte de l’argent, de l’expertise dans le domaine de la construction, des infrastructures, et même de la migration, des zones rurales vers les zones urbaines. Le succès économique de la Chine repose sur trois piliers : les migrations, les infrastructures et les transports pour le développement. Nous apportons un peu, disons l’image des bons gars en Afrique, nous équilibrons et cela pourrait être un match réussi pour les deux.

Je conclurai par un exemple pratique, car je ne suis pas un économiste en chambre, j’essaie d’être un homme d’action. J’aimerais vous montrer un voyage que j’ai effectué la semaine dernière dans le cadre d’un véritable projet de la Ceinture et la Route. J’ai pris un train de Shanghai jusqu’à la frontière entre la Chine et le Laos, puis jusqu’à la frontière entre le Laos et la Thaïlande, et enfin de la frontière jusqu’à Bangkok. J’ai donc vu de mes propres yeux les avantages réels du développement des infrastructures de « la Ceinture et la Route ».

De Shanghai à Kunming, à la frontière avec le Laos, il y a 2400 km, à une vitesse moyenne de 240 km/h, soit environ 9 heures. Pour aller de la frontière du Laos à Bangkok, c’est comme si on revenait 50 ans en arrière. Le train roule à 50 km/h, il faut 10 heures pour parcourir 500 km, sans air conditionné, il fait chaud. Et puis entre deux, il y a cette magie, il y a le Laos, un pays enclavé qui aurait autrement été ignoré par le développement, dont le PIB par habitant est de l’ordre de 1000 à quelques centaines de dollars par habitant.

Nous avons maintenant ce train qui va de la Chine à la Thaïlande en traversant le Laos. La vitesse n’est pas aussi élevée qu’en Chine, ce n’est pas 300 km, mais la moitié, 150 km, 120 km/h en moyenne. C’est la moitié de ce que la Chine a déjà fait, mais le double de ce que la Thaïlande fait aujourd’hui. Et ce que j’ai vu, c’est que le développement de l’infrastructure amène maintenant des touristes de Chine au Laos, y compris moi, donc plus de développement dans l’économie locale, plus d’exportations, parce que le train peut aussi être utilisé pour transporter des marchandises en Chine.

(M. Geraci a montré une vidéo permettant de comparer le train thaïlandais, sans climatisation et avec un mobilier ancien, de Bangkok à la frontière entre la Thaïlande et le Laos, au nouveau train de la BRI, moderne et confortable, avec climatisation et installations de recharge des ordinateurs, et des gares très vastes, modernes, propres et sûres.)

Ce que j’essaie de faire, c’est d’effectuer l’analyse théorique pour répondre aux questions, et laisser cela au milieu universitaire et au gouvernement afin d’apporter des chiffres aux décideurs politiques. Ils ne comprennent pas ce qui se passe.

J’invite Helga et les autres personnes ici présentes à organiser des visites sur le terrain pour ceux qui sont intéressés, les entreprises, les gouvernements d’Europe, afin qu’ils aillent voir sur place.

Nous pouvons faire toutes ces analyses sur papier et dire que la Ceinture et la Route est une bonne chose, mais lorsque vous allez sur place, croyez-moi, et que vous voyez les gens heureux, cela transforme complètement la société, la façon dont les gens vivent. Ce n’est pas seulement le matériel, l’infrastructure, c’est aussi le logiciel, le cerveau change, le niveau de vie et la façon de travailler des gens changent. Ce n’est qu’en allant sur place que l’on peut comprendre.

C’est une initiative que je lance : des voyages organisés par les gouvernements européens, les médias, les groupes de réflexion, les universités, toutes les couches de nos sociétés incorporées, pour aller dans ces pays de la Ceinture et la Route afin de voir ce qui s’y passe réellement. Et je m’arrêterai ici avec un slogan, si vous me le permettez, puisque je suis aussi un politicien : « La Ceinture et la Route vaut mieux que la route des tanks », et en ces temps de guerre et de destruction, nous avons vraiment besoin de paix et je souhaite à notre ami russe de rejoindre notre communauté dans un monde pacifique.

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