« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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L’idée de Justice et l’harmonie

Contribution pour une anti-géopolitique

4 mai 2024

L’approche chinoise aux relations internationales, et la proposition lancée par Xi Jinping d’une coopération « gagnant-gagnant » se heurte dans les pays occidentaux à un scepticisme que même la réalité des indéniables accomplissements de la Chine n’arrive pas à entamer. Pire, on l’accuse d’utiliser cette rhétorique pour dissimuler des intentions, forcément inavouables...
Dans cet écrit que Jérôme Ravenet a bien voulu écrire pour l’Institut Schiller dans le cadre de la commémoration des 60 ans de la reconnaissance de la République populaire de Chine par de Gaulle, l’auteur donne une lecture extrêmement perceptive ce que recouvre vraiment le choix politique de la Chine sans lequel les Nouvelles routes de la Soie, et l’espoir qu’elles suscitent auprès du Sud planétaire, auraient été impossible.
Sans angélisme, ni fausse promesse, ce choix relève d’une vision audacieuse - non dépourvue de pragmatisme - dont une étude approfondie permettrait de découvrir qu’elle a été inspirée aussi par l’oeuvre de certains penseurs français ...


par Jérôme Ravenet, docteur ès Lettres et agrégé de philosophie


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I. Deux modèles de stratégie et de justice

Le 27 janvier 1964, le Général De Gaulle reconnaissait la légitimité de la République Populaire de Chine. Il prenait cette initiative sans attendre l’aval des USA, comme il s’était tourné vers l’Allemagne d’Adenauer, et retirerait la France de l’OTAN en 1966. Aucune de ces mesures n’étaient en soi anti-américaines, pro-allemandes ou pro-chinoises : elles correspondaient simplement à l’idée que De Gaulle se faisait de la souveraineté nationale, laquelle consiste à prendre des décisions dans son intérêt propre, sans mépriser ni privilégier les intérêts des autres, quoiqu’avec l’objectif de les intéresser à la satisfaction des accords passés ensembles pour les rendre plus sûrs et plus durables.

En effet, cette reconnaissance de la Chine par la France n’allait pas fondamentalement à l’encontre des intérêts américains puisque Nixon lui-même en 1971, par résolution de l’ONU n°2758, allait faire légalement substituer la RPC à Taïwan comme membre permanent du Conseil de sécurité. Le style des initiatives gaulliennes transgressait les codes de vassalité attendus par le souverainisme US.

L’option américaine illustre le modèle impérialiste ou hégémoniste de la souveraineté. L’option gaullienne est un exemple du paradigme inclusiviste qui hérite en droite ligne de la sagesse souverainiste des Traités de Westphalie (1648), bien connue également des Chinois, et à laquelle d’ailleurs l’actuel président chinois, Xi Jinping, rend des hommages appuyés.

Pour le définir clairement, l’hégémonisme ou impérialisme est une doctrine de l’intérêt absolu et exclusif. Et si son propre intérêt est tout, les intérêts tiers lui sont quantités négligeables, légitimes à la condition expresse de convenir à sa satisfaction. Sa vision des accords politiques est unilatérale. Il est exclusif en ce qu’il désigne tout intérêt différent ou contraire aux siens comme rival ou hostile. Il ne peut avoir que des vassaux, mais pas d’alliés. Son vassal doit rester soumis, l’adversaire être vaincu, l’ennemi anéanti. Sa logique hégémoniste des rapports de force ou de domination reposera donc essentiellement sur la pression de sa force militaire, le droit international et l’information étant ses moyens annexes manipulables en fonction du principal. En 2003, par exemple, les USA se sont passés de l’accord de l’ONU pour envahir l’Irak.

Le paradigme inclusiviste de la souveraineté est non rival. Ce n’est pas une doctrine du désintéressement : l’inclusivisme conçoit que les autres puissent avoir des intérêts différents et contraires aux nôtres – et De Gaulle n’avait pas été plus naïf avec ceux des américains qu’il ne l’avait été à l’égard des allemands – mais il affirme une conception élargie de l’intérêt propre. Sans angélisme, il propose d’enrichir ou d’élargir l’égoïsme. S’il renonce au prestige du dominant pour celui du partenaire, ce n’est pas par altruisme pur mais pour assurer plus solidement dans la durée des accords que des partenaires traités en égaux auront un intérêt mutuel à faire durer. L’inclusivisme est altruiste par égoïsme car c’est un égoïsme pragmatique. Il ne sacrifie jamais son intérêt vital, mais il ne l’absolutise pas non plus.

L’idée n’est pas nouvelle. On la trouve chez le Spinoza-politique lecteur profond de Machiavel : la théorie spinoziste du second genre de connaissance oppose aux rapports de pouvoir les rapports ou des composition de puissances. Les rapports de pouvoir procèdent par division des forces adverses et l’utilité de leurs calculs est unilatérale. Les rapports de puissance procèdent par addition et intégration de toute force disponible, à la recherche d’un profit mutuel.

La stratégie de ce type de rapport n’implique pas renoncement à tout usage de la force militaire, mais seulement au projet de la domination. Machiavel avait distingué « l’humeur des Grands » qui veulent dominer, et « l’humeur des peuples » qui veulent être libres de satisfaire leurs intérêts sans avoir à vivre sous domination [1]. Cette liberté ne peut se défendre de toute prédation qu’au moyen d’une force militaire.

Et c’est pourquoi toute philosophie militaire ne doit pas nécessairement être suspectée hégémoniste ou impérialisme. On sait qu’il y a deux manières de Machiavel (comme conseiller des Princes ou comme ami du peuple), et il y a aussi en Chine une longue tradition de réflexion sur l’Art de la Guerre (Sunzi) fondée sur un calcul inclusiviste : le paradoxe d’une disqualification de la surenchère de violence n’est donc qu’apparent. Le modèle inclusiviste est proprement civil, ou civilisateur jusque dans la guerre à laquelle il est parfois poussé [2].

Ce débat s’est approfondi chez des philosophes ou métaphysiciens (Hobbes, Spinoza, Nietzsche…) qui distinguent le pouvoir (sur lequel repose l’hégémonisme) comme force d’empêcher et de contraindre, et la puissance (qui fonde l’inclusivisme) comme simple force d’exister. Pouvoir et puissance sont deux leviers ou moyens différents, dont l’objectif ou le but est bien de satisfaire un désir/besoin/intérêt à vivre, mais qui déterminent des représentations différentes du monde et des manières différentes de vivre et d’agir.

Le bambou (dont chacun sait que la culture chinoise a fait grand cas), n’a qu’une puissance d’exister, mais il perdure tant qu’il parvient à composer des accords efficaces avec son environnement (liquide, terrestre, aérien). Nous pouvons le comprendre : La Fontaine a dit la même chose d’un roseau. Le lion, au contraire, qui doit tuer des proies pour survivre n’est avec son monde que dans un rapport de domination. Le roseau et le lion n’ont guère le choix entre puissance et pouvoir. Mais l’humanité est dans cet entre-deux et hésite sans cesse : les hommes ont besoin les uns des autres, il leur faut contribuer solidairement pour progresser, mais la promiscuité excite la tentation du pouvoir qui les rend associable. Ils ressassent le thème kantien de « l’insociable sociabilité » [3] de l’Homme, d’un balancement entre l’aspiration à une paix perpétuelle et la tentation récurrente de la guerre.

Ce balancement est celui de nos modèles. L’un est militaire : il jouit dans la guerre comme moyen de lever tous les obstacles à la satisfaction des intérêts. L’autre est civil : il besogne à la recherche des accords justes, des moyens adéquats à satisfaire durablement et équitablement les besoins mutuels des partis au contrat.

Les deux modèles défendent des interprétations différentes d’une même définition éternelle de la justice : il s’agit de « rendre à chacun ce qui lui est dû ». Tout le problème repose dans l’interprétation du sens de la dette évoquée. L’impérialisme considère que tout lui est dû, que la dette envers lui est totale et qu’elle lui confère un privilège absolu, sans partage. L’inclusiviste relativise son privilège : quoiqu’il considère son intérêt propre comme privilégié ou prioritaire, il intègre celui des autres à son calcul.

Deux conceptions du Bien et du Mal en ressortent : l’inclusivisme considère comme bien tout ce qui augmente les chances de satisfaire durablement les intérêts mutuels des partis au contrat, et comme mauvais tout ce qui les diminue. L’impérialisme estime être un mal tout ce qui résiste ou échappe simplement au feu de son intérêt ; et apprécie comme un bien, tout ce qui lui sert de bois.

Le paradigme d’un souverainisme inclusiviste en France, n’a guère survécu au départ De Gaulle, en 1969. Il en va autrement de l’actuelle « solution chinoise » (中国方案, zhongguo fang an) qui, après le « siècle d’humiliation » (百年国耻, bainian guochi,1842-1949) s’est « relevée » avec Mao, s’est « ouverte » avec Deng Xiaoping (1978), et a « renouvelé » (伟大复兴, weida fuxing) son statut de grande puissance avec Xi Jinping (2012) en s’inspirant du modèle de l’empire commercial des Song.

En face, les faucons américains ne renoncent pas à leur hégémonisme, mais ils se savent guettés par le piège de Thucydide. Le désir de réitérer les « exploits de Rome » affirmé par Andrew Jackson [4] a trouvé dans l’historique désindexation du 15 août 1971, qui visait à faire du dollar la monnaie hégémonique mondiale, un moyen exorbitant d’y parvenir, puisqu’en absolutisant désormais la dette symbolique que les USA imputaient au reste du monde, ils se permettaient de dénoncer toute contestation de cette hégémonie comme équivalente à une attaque contre leurs intérêts fondamentaux, et justifiaient par anticipation toutes ces représailles militaires que les stratosphériques budgets annuels de la Défense avaient rendu réellement possible. Le statut de sauveur et vainqueur de la deuxième guerre mondiale et les menaces de la guerre froide ne parviennent plus à légitimer un privilège dont l’érosion appelle une nouvelle phase d’intensification de la guerre économique et militaire promise.

Le débat des deux conceptions antagonistes de la souveraineté s’illustre aujourd’hui par la rivalité géopolitique d’une gouvernance des accords gagnants-gagnants contre la gouvernement asymétrique de l’impérialisme/hégémonisme. La première est dite « à la chinoise » parce que c’est celle que la RPC met en œuvre par les Nouvelles Routes de la Soie (NRS), à l’Organisation de Shanghai (OCS), ou dans le Partenariat Economique global (RCEP) de l’ASEAN ; la seconde est évidemment celle des USA et de l’OTAN, suivis par les actuels décideurs de l’UE.

Si telle est à grands traits l’histoire en cours de notre géopolitique contemporaine, tels sont pour l’essentiel les notions philosophiques qui me semblent en rendre compte.

Si j’entoure cette analyse d’une double définition de la justice et du bien, c’est pour souligner que le monde ne se divise pas entre les bons et les méchants, mais entre des partis qui se font de la justice des idées différentes : tel est mon présupposé méthodologique anti-manichéen. Il n’exclut pas que chacun puisse « préférer » un modèle – celui qui lui semblera le plus apte à satisfaire l’idée qu’il se fait de ses intérêts.

II. La quête d’une identité chinoise dans son dialogue avec la France

Si la souveraineté est la possibilité de décider au mieux de nos intérêts dans un monde incertain pour réaliser un destin collectif, elle dépend de la conscience que nous avons de ces intérêts. Intérêts, besoins, désirs disent qui nous sommes ou qui nous voulons être. La question de la souveraineté dépend donc d’une réponse à celle de l’identité. Aussi une réflexion sur le souverainisme peut-elle tirer leçon des débats que la Chine contemporaine a mené sur la question de son identité.

On peut considérer que le débat moderne chinois commence dans des conditions défavorables, après les Guerres de l’Opium et les Traités Inégaux (1842, 1860). Prenant conscience de leur impuissance, les élites politiques et les sociétés secrètes persistaient dans un repli nationaliste. Après les réprimandes impériales contre l’impérialisme étranger qui n’ont abouti qu’à l’accélération du désastre, d’éminents intellectuels chinois tels que Kang You Wei et Liang Qichao, ont tenté de réformer le pays sur des fondements traditionnalistes, inspirés d’une relecture de Confucius. Sans succès. Après la Réforme avortée des Cent Jours (1898), ce souverainisme défensif n’a pas empêché l’effondrement définitif de la dynastie Qing (1911).

L’option d’une ouverture aux influences occidentales venait de rencontrer un certain succès dans le Japon voisin de l’ère Meiji, et l’heure était venue de tenter d’introduire en Chine les concepts de « République » avec Sun Yat Sen en 1912, de « science », et de « démocratie » avec le Mouvement du 4 Mai 1919 et le séjour de John Dewey en 1921-1922. Le « marxisme » faisait aussi son entrée, à Shanghaï dans une réunion où siégeait le jeune Mao Zedong en 1921.

Cette ouverture à l’altérité occidentale n’a pas immédiatement porté ses fruits : il y manquait la souveraineté effective. La souveraineté réelle sans l’ouverture à l’altérité, avait laissé l’Empire de Qing impuissant et même préparé son effondrement, mais l’ouverture à l’altérité sans souveraineté réelle laissait la Chine ouverte aux quatre vents, toujours en proie au pillage et à la désolation. C’est en 1949 seulement que la Chine a reconquis sa souveraineté, sous la bannière du marxisme sinisé - le maoïsme.

Mais c’est avec la politique de « Réforme et d’Ouverture » de Deng Xiaoping qu’un certain héritage français fait proprement son apparition dans le « socialisme à la chinoise ». Les nouveaux concepts de « société de moyen aisance » et le syntagme « enrichissez-vous », employés dans les discours de Deng Xiaoping, avaient été forgés par un responsable politique français du XIXème siècle, François Guizot (1787-1874) que Deng Xiaoping a eu le temps d’étudier lors de son long séjour en France dans les années 1920-1926. Ce n’est pas en radicalisant le rêve marxiste d’une abolition du salariat que Deng Xiaoping conduisait la politique d’Ouverture vers le « miracle chinois », mais en adaptant à la Chine une politique des classes moyennes inspirée de celle que Guizot avait conçue pour la France. Le 3 mai 1837, Guizot avait déclaré devant la Chambre des députés : « Oui, aujourd’hui comme en 1817, comme en 1820, comme en 1830, je veux, je cherche, je sers de tous mes efforts la prépondérance politique des classes moyennes en France. L’organisation définitive et régulière de cette grande victoire que les classes moyennes ont remportée sur le privilège et sur le pouvoir absolu de 1789 à 1830, voilà le but vers lequel j’ai constamment marché ».

Un autre francophile et francophone rejoint les thinktanks du pouvoir en 1995 : il s’agit de Wang Huning, alors doyen de la faculté de Fudan à Shanghaï. Sa bibliographie montre en effet qu’en 1981 déjà, sous la direction de Chen Qiren, il avait soutenu un mémoire sur les théories de la souveraineté de Jean Bodin et Jacques Maritain.

Jean Bodin est le penseur inaugural de la souveraineté comme « puissance absolue et perpétuelle d’une République » – concept né proprement en France au XVIème siècle, dans les Six Livres de la République.

Jacques Maritain est un philosophe chrétien néothomiste et l’auteur en 1943-1944 des Principes d’une politique humaniste et de Christianisme et démocratie, qui lui valurent d’être envoyé par De Gaulle comme ambassadeur de la France au Vatican de 1945 à 1948.

Ces recherches de jeunesse de Wang Huning ne sont plus accessibles en Chine, mais leur titre suffit à indiquer que les concept des penseurs politiques français de la Renaissance et de l’époque contemporaine, inspirent durablement les réflexions des hauts dirigeants chinois sur la souveraineté (主权, zhuquan). La réponse bodinienne « aux paradoxes du Seigneur de Malestroit » était utile, par-delà Hobbes, à repenser cette souveraineté dans ses rapports avec l’économie et la finance. Jacques Maritain l’était pour la penser dans ses rapports avec les religions ou la spiritualité, puisqu’il faut se souvenir que les années Deng Xiaoping ont été marquées, outre les Réformes d’Ouvertures, par la demande d’un renouveau confucéen et la fièvre « spirituelle » du qigong (1978-1999).

L’ influence du francophile Wang Huning ne cessant de grandir au sein du PCC, il est devenu n°5 du Comité Central en 2017, et même n°4 en 2023. C’est un penseur majeur du softpower chinois qu’on a pu comparer à Kissinger, mais qu’on peut aussi comparer à Gramsci, penseur marxiste de la lutte contre l’hégémonie bourgeoise ou capitaliste – une lutte dont Xi Jinping diagnostiquait l’intensification dans le Document Numéro Neuf (2012), et qui exige la mobilisation d’une contre-idéologie capable de résister à celle du libéralisme occidental. J’ai essayé de montrer ailleurs [5] que les éléments culturels étrangers jouaient un rôle essentiel dans ce travail herméneutique d’auto-reconstruction de l’identité chinoise. On retiendra les références françaises à Hugo, Maritain, Guizot, Duguit, Hauriou (deux penseurs de l’Etat de Droit), voire au Charles Fourier socialiste utopiste penseur de l’harmonie.

Ces sources étrangères ne sont pas toutes mises en avant par Xi Jinping, mais ses discours officiels sur l’éducation et la recherche, lisibles dans les trois premiers tomes de la Gouvernance de la Chine, insistent sur la nécessité de « d’apprendre de l’étranger » (借鉴国外, jie jian guowai). Le souverainisme chinois encourage une curiosité intéressée, qui doit être féconde si son objectif est de servir ses objectifs.

Cette histoire à grands traits, de Kang Youwei et Liang Qichao à Wang Huning et Xi Jinping, montre tout le chemin fait par la Chine entre le souverainisme défensif du XIXe siècle et le souverainisme « rayonnant » (弘扬hongyang) de la réalisation du « rêve chinois » (中国梦), en passant par le souveraineté reconquise par Mao et la stratégie de « profil bas » voulue par Deng Xiaoping.

Le retour de la souveraineté chinoise est fonction d’un esprit d’ouverture entendu comme la connaissance qu’un peuple prend de lui-même dans le miroir de l’autre. Cet esprit ne signifie donc ni soumission ni inféodation à l’étranger. Elle signifie désir d’en comprendre les forces vives, même quand il a pu être, comme ce fut le cas pour la France du XIXe siècle, un prédateur et un rival militaire. C’est le modèle nietzschéen du rapport à la connaissance qui semble inspirer la méthode socialiste, tel qu’on peut le lire dans la deuxième Considération Intempestive, à moins que ce ne soit tout simplement un certain sens pratique.

C’est de cet inclusivisme que procédait sans doute aussi la République du Général de Gaulle. Mais elle est mort-née : née avec lui et morte à son départ, par la soumission de ses prétendus héritiers à des forces supranationales qui ont progressivement dilué les intérêts de la France, c’est-à-dire son identité, dans des intérêts tiers et contraires (ceux d’une Union Européenne fédérale, de l’OTAN réintégrée par Sarkozy, ou de la Haute-finance mondialisée…). Privé de ce centre assimilateur, c’est-à-dire de la conscience de son idiosyncrasie ou de ses besoins spécifiques, la souveraineté diluée n’est plus qu’un mot ou un vieux souvenir.

III. Analyse de risques dans le conflit des deux souverainismes

Ce qui caractérisait sa vision politique du monde dès la Conférence de Bandung (1955), ce n’était pas une affinité avec le tiers-monde, mais un refus de s’aligner sur l’un ou l’autre des blocs de pouvoir dominants, c’est-à-dire un désir de souveraineté, constamment réajusté depuis 70 ans aux différentes phases de construction du socialisme à la chinoise. La notion de « revanche » accolée au commentaire du « miracle chinois » ne traduit donc sur la place publique que l’angoisse du modèle hégémoniste dont les politistes et sinologues universitaires se sont fait les porte-parole.

A plusieurs reprises dans les conférences internationales, Xi Jinping s’est servi de la théorie des jeux pour éclairer les calculs risqués qui nourrissent les tentations rivalitaires. Il y aurait, très sommairement, deux types de jeux : les jeux à somme nulle où l’un perd et l’autre gagne, comme aux échecs ; et les jeux à somme non nulle, comme les jeux coopératifs que la théorie illustre par le fameux dilemme du prisonnier.

Tandis que l’hégémonisme joue aux échecs, puisqu’il affirme un intérêt concurrentiel sans partage, le souverainisme inclusiviste joue un jeu coopératif. Ne versons pas dans l’angélisme : l’inclusivisme n’est pas moins égoïste que l’hégémonisme, mais il l’est d’une autre manière. Symétriquement, l’hégémonisme n’est pas nécessairement synonyme de méchanceté, rien n’excluant que la recherche de son intérêt puisse être utile à d’autres.

Mais toute la difficulté de la posture inclusiviste (celle de De Gaulle et tant de chef d’Etat que les USA ont réussi à évincer), c’est de trouver les moyens de coopérer avec un partenaire qui la désigne comme rivale et se donne donc licence de la maltraiter comme telle. Dans la confrontation des deux types de stratégies, inclusiviste et hégémoniste, le rapport se donnant d’emblée comme rapport de force, le deuxième jouit d’un double avantage initial : tout adversaire qui coopère alors qu’on le combat, s’expose à perdre la première manche. Mais s’il s’en avise et tente alors de se dérober au combat, il s’expose à l’accusation de fourberie, de mensonge ou d’hypocrisie, qui permettra de le livrer en pâture à l’opinion. On reconnaît là le mécanisme du softpower hégémoniste contre Saddam Hussein, Kadhafi, ou la Chine - liste non exhaustive.

C’est par ce tendon d’Achille que sont tombés tous ceux qui, au cours des décennies passées, pensaient pouvoir s’affranchir de l’hégémonie du Dollar. La Chine a été plus prudente, mais elle est plus que jamais sous les feux de l’accusation. Le quasi consensus sinophobe de tant d’intellectuels et décideurs « occidentaux » contre la « dictature chinoise », ne le montre que trop. Plus n’est besoin d’écouter les discours des Chinois, et de perdre son temps à lire ceux de leur président, puisqu’on est convaincu de connaître déjà les intentions dissimulées qui motivent en réalité les « loups guerriers ». Telle est l’efficacité redoutable du dispositif stratégique hégémoniste et de ses jugements : plus on s’en défend, plus on en consolide les biais. Ce dispositif n’est pas absolument faux, mais il se ramène à une prophétie auto-réalisatrice (qu’on définit depuis Robert K. Merton ou Paul Watzlawick comme le processus d’une confirmation finale de croyances pourtant initialement fausses). Il est probablement faux que tous les autres soient vos ennemis ; néanmoins, plus vous vous comportez comme tel à leur égard, plus il y a plus de chances qu’ils confirment votre anticipation.

Face à un adverse coopératif qui risque de l’emporter sur le terrain du prestige moral, la stratégie hégémoniste a tout intérêt à pousser sa rivale à la guerre dans l’espoir d’en démasquer ou révéler l’ hypocrisie à la face du monde. En l’espèce, le retour de Taïwan à la mère-patrie peut servir de prétexte : puisqu’il est prévu, et inévitable, ayant été légalement acté à l’ONU par la résolution n°2758 signée par Nixon, il suffirait d’attendre que la Chine s’impatiente de son exécution.

Dans de nombreux discours Xi Jinping suggère d’y réfléchir en prenant la théorie des jeux comme grille de lecture, puisque une théorie occidentale devrait être intelligible aux occidentaux sans difficulté. Dans ce langage, la Chine s’est tirée d’un équilibre de Nash, prétend relever le défi d’un optimum de Pareto et continue d’affirmer avec confiance qu’elle ne joue pas un jeu à somme nulle.

L’équilibre de Nash est un équilibre défavorable mais stable dont aucun des deux camps n’a intérêt à sortir s’il est le seul à le faire. Or la Conférence de Bandung fut l’un des premiers pas de la Chine socialiste pour sortir de cette équilibre paralysant, à l’époque où elle était encore sous la coupe de l’hégémonisme soviétique.

On peut considérer que les NRS depuis 2014, et la géopolitique des accords gagnants-gagnants, l’OCS et le RCEP, tendent à consolider cet optimum de Pareto. Or le succès de cet équilibre est la pire objection au souverainisme hégémoniste, car il tend à démontrer qu’en géopolitique, les attitudes contributives ou coopératives peuvent être plus profitables que les rapports de domination. Et c’est sans doute ce qui explique le ralliement de tant de nations au mégaprojet des NRS.

Pourtant la théorie des jeux décrit cet équilibre comme « instable », parce qu’il encourage les comportements de passagers clandestins qui jouent sans contribuer tout en bénéficiant de la contribution des autres. En théorie, cette instabilité finirait par décevoir toute volonté de coopérer, et ferait finalement échouer ce choix de stratégie. Là encore, il suffirait d’attendre.

Jacques Gernet [6] considère que l’histoire et la géographie de la Chine portent les traces de ces équilibres trop profitables de Pareto. Jouissant d’une avance significative dans bien de domaines économiques, technologiques [7], la Chine impériale a souvent dû la payer de guerres fatales contre des peuples voisins jaloux de son succès. Ce fut entre autres exemples, le cas des invasions mongoles (Yuan) ou mandchoues (Qing) qui en s’assimilant ont finalement agrandi l’Empire… de l’extérieur.

La stratégie coopérative ne peut tout simplement pas exclure l’hypothèse de comportements hostiles. A travers les travaux de Robert Axelrod, la théorie des jeux démontre que la stratégie la plus efficace à faire perdurer le modèle inclusiviste, ne consiste pas dans une générosité naïve, mais dans la tactique du donnant-donnant, qui consiste à se comporter en miroir avec ses partenaires selon l’attitude qu’ils ont eux-mêmes adoptée. D’où d’ailleurs le refus d’accès à l’OCS des Etats rivalitaires, même pour le statut de simple observateur (cas des USA en 2006).

La théorie des jeux permet ainsi d’entrevoir une issue plus heureuse que l’anthropologie girardienne et les conclusions d’Achever Clausewitz qui ne prévoient que l’inflation cyclique des crises mimétiques où les rivalités se vident par la guerre.

Le rival hégémoniste (qu’on l’appelle Haute-finance, Superclasse mondiale, peu importe) tend par définition à s’isoler puisqu’il vise un monopole exclusif. Même s’il parvient à convaincre quelques mercenaires ou vassaux de lui rester fidèlement subordonnés tant qu’ils n’ont pas d’autre horizon, l’attrait mimétique qu’exerce son hégémonie tendra à s’user plus rapidement si des propositions de gouvernance alternative en faveur de l’autonomie réussissent à émerger. Tel est en substance l’argument optimiste qui contredit les prédictions pessimistes de la théorie girardienne. Et c’est bien, en pratique, une telle proposition que portent les initiatives NRS, l’OCS ou le RCEP dont nous n’attendons pas de voir si elles vont réussir (puisque les NRS réussissent déjà depuis plus 10 ans), mais seulement de savoir jusqu’où elles vont continuer de réussir.

En dépit de ces supputations théoriques, rien dans cette confrontation historique ne peut être considéré comme une affaire entendue. Non seulement l’imprévisible fait partie de l’histoire, mais le modèle rivalitaire auquel souscrit la frange mondialiste des élites nomades, américaines ou européennes, bénéficie encore d’avantages non négligeables ( sur les plans militaires, économiques, financiers, culturels).

L’issue reste incertaine pour ceux qui craignent de perdre leur hégémonie, comme pour ceux qui espèrent son déclin, car rien n’est plus dangereux qu’un bête aux abois consciente de l’imminence de sa fin, même avertie des risques du piège de Thucydide.

Conclusion : Une conception multiperspectiviste de la justice en géopolitique

Le titre de cette intervention est emprunté à l’essai d’un philosophie indien, Amartya Sen, portant sur la démocratie (2010). L’analyse du débat public se concentre un moment sur l’anecdote des trois enfants qui se disputent une flûte, avec des arguments incompatibles et dont la supériorité relative est indécidable. Bob la revendique au nom de l’égalité, parce qu’il est le plus pauvre. Carla, au nom d’un certain capitalisme : c’est elle qui l’a produite. Et Anna, au nom d’un pragmatisme utilitaire, parce qu’elle sait en jouer. Chaque argumentaire a pour lui ses raisons, qui sont celles d’une représentation particulière du monde, déterminée par les intérêts bien compréhensibles qui sont les siens. Comment dès lors décider en toute justice, et réussir à coexister ?

La fable recycle la vieille parabole indienne des Six Aveugles et de l’Eléphant et sa sagesse [8] concluant que, faute d’un argument prouvant leur valeur absolue, ces points de vue particuliers perdraient toute légitimité en cherchant à s’imposer hégémoniquement. Sen écrit donc que pour lui la démocratie s’évalue « en termes de raisonnement public » et qu’elle est un « gouvernement par la discussion » [9]. Elle est absolument incompatible avec l’hégémonisme, quelles que soient les bonnes intentions dont il veut se paver. Toute la difficulté d’un projet de gouvernance démocratique mondiale est donc de tenir à égale distance la tentation d’un hégémonisme qui menace la paix, et celle d’un relativisme qui menace le besoin d’une vérité absolue, auquel il est également impossible de renoncer.

Ce point d’équilibre apparaît sous cet angle comme une démocratie mondiale, un monde multipolaire, sans gouvernement mondial, mais relié par les échanges commerciaux et culturels des NRS et un « débat public » permanent, sans superviseur hégémonique. Cet équilibre conciliant différences et contradictions définit la justice comme ce qui est dû à chacune des parties sans qu’aucune d’entre elles ne s’identifie au tout ou ne s’y substitue. C’est ce projet que traduisent le syntagme chinois d’une « communauté de destin pour l’humanité » (人类命运共同体, renlei mingyun gong tong ti) et sa méthode des accords gagnant-gagnant – dans sa difficile discussion avec l’alternative hégémoniste du « Nouvel Ordre Mondial » (Joe Biden, 2022).

L’hypothèse philosophique qui sous-tend cette démocratie mondiale est celle d’un multiperspectivisme : c’est l’hypothèse d’un monde humain composé de points de vue multiples ordonnés à des intérêts de natures différentes, à des conceptions variables du vrai, du bien et du beau. Mais loin d’être un encouragement au relativisme, c’est une exhortation au décentrement, à l’effort d’empathie dans le dialogue, en vue d’intégrer la plus grande multiplicité posssible de points de vue dans une perspective qui les harmonise, selon une conception de l’harmonie que Leibniz avait clairement défini : « l’harmonie est l’unité dans la multiplicité ; elle est la plus grande lorsqu’elle est unité du plus grand nombre d’éléments désordonnés en apparence, et ramenés, contre toute attente, par un admirable rapport, à la plus grande concordance » [10]. Il s’agit donc de satisfaire mutuellement après les avoir identifiés, les intérêts les plus variés et, idéalement, même les plus hostiles ou les plus exclusifs. L’idée de la justice que le multiperspectivisme oppose à l’hégémonisme, c’est donc cette harmonie.

C’est cet exercice spirituel que pratiquait De Gaulle quand, selon l’idée qu’il se faisait de l’intérêt de la France, il prit la décision de reconnaître la RPC. C’est cet exercice que pratiquaient les pays membres de la Conférence de Bandung, et que pratiquent encore les penseurs et décideurs chinois lorsqu’ils relirent les auteurs étrangers afin d’en dégager ce qui pourrait leur être utile à préciser les contours de leurs intérêts nationaux et internationaux. Tout se passe dans cet exercice, comme si nous avions besoin que d’autres nous écoutent, pour pouvoir mieux nous entendre nous-mêmes ; et que d’autres nous parlent d’eux pour pouvoir mieux nous connaître nous-mêmes.

C’est parce qu’ils ont entendu dans la conception leibnizienne du multiperspectvisme l’écho de leur vision multipolaire du monde, que De Gaulle jadis, et Xi Jinping récemment, l’ont solennellement salué. Dans son discours du 22 novembre 1959 à l’Université de Strasbourg, c’est à la pensée de Leibniz que De Gaulle rend hommage pour prêcher pour « l’unité spirituelle » de l’Europe et sa doctrine de la « Troisième Voie » (ni pro-américaine ni soviétique). Sa pensée de l’harmonie contient selon lui « les conditions et peut-être la gloire de la civilisation de demain ».

Le 28 mars 2014 à la Körber Foundation en Allemagne, Xi Jinping résumait la pensée métaphysique et diplomatique de Leibniz : « Un tour d’horizon de l’humanité nous apprend que ce qui sépare les gens, ce ne sont pas les montagnes ni les rivières, ni les mers et les vallées, mais les malentendus. Leibniz a dit que seul l’échange réciproque de nos compétences respectives permettait d’allumer la lampe de notre sagesse » [11].

C’est en se fondant sur le même théorème d’un bénéfice collectif de l’action coopérative que De Gaulle demandait à l’Europe de cesser de « conspirer contre elle-même », et que Xi Jinping mettait en garde contre la géopolitique préjudiciable des « jeux à somme nulle ». Une même motivation inspirait Leibniz quand il plaidait pour une rapprochement de l’Europe et de la Chine par l’intercession de la Russie. De même encore lorsque dans la Querelle des Rites, il prit le parti conciliant des Jésuites contre l’intransigeance du Vatican qui refusait d’accommoder les rites chrétiens aux coutumes des Chinois. Quoique protestant, il a donné du « catholicisme », qui signifie étymologiquement « universalisme », une conception inclusive qui réfutait tout ethnocentrisme masqué [12]. L’harmonie qu’il cherchait dans l’universalisme n’était pas compatible avec la définition que l’hégémonisme en donnait.

Toute la question était pour lui de penser et de pratiquer un universalisme qui ne soit pas le masque d’un impérialisme culturel déguisé, l’absolutisation indue d’un point de vue particulier absolutisé, mais qui soit véritablement l’intégrale d’une diversité. Cette intégrale leibnizienne a pris le nom de « caractéristique universelle » et c’est pour y intégrer le plus de différences possibles que le philosophe allemand a poursuivi ses échanges et sa correspondance avec le P. Claudio Filippo Grimaldi et le P. Bouvet au sujet de la religion, du gouvernement, de la langue chinoise et sur le sens des trigrammes du Livre des Mutations. Nous savons donc qu’il avait reconnu dans la culture des chinois, les prémisses de cette « philosophia perennis » - cette sagesse éternelle et universelle qu’il poursuivait lui-même dans ses méditations (comme on peut le lire dans la lettre du 26 août 1714 à M. de Rémond).

Peu importe donc que l’histoire officielle des sciences ait attribué l’invention du calcul différentiel et intégral à Newton, alors qu’on en trouve au même moment les rudiments chez Leibniz [13] : celui qui a vraiment saisi la portée à la fois diplomatique et politique des intégrales mathématiques, est bien Leibniz. Le calcul intégral conçoit l’universel comme le résultat d’une intégration de toutes les variations, comme une combinatoire particulière des différences, et non comme la subsomption de ces différences sous l’unité surplombante d’un concept transcendant. Ce calcul intégral est l’expression mathématique d’une vérité commune des « points de vue multipliés », traduit toute une métaphysique de l’harmonie que le paragraphe 57 de la Monadologie résume par une métaphore pédagogique : « Comme une même ville regardée de différents côtés paraît tout autre, et est comme multipliée perspectivement ; il arrive de même, que par la multitude infinie des substances simples, il y a comme autant de différents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives d’un seul selon les différents points de vue de chaque monade » [14].

La référence à Leibniz, commune aux discours de De Gaulle et de Xi Jinping, illustre leur conception partagée d’un monde multipolaire : elle illustre ou résume leur conception d’une justice définie en terme d’harmonie.

Le Général De Gaulle avait dit « qu’avec des chimères, on ne fait pas de politique, mais [que] sans chimères, on ne fait rien ». Romain Gary qualifiait le Général De Gaulle de « rêveur réaliste », bien que le rapprochement avec l’Allemagne n’ait pas abouti à la réalisation d’une confédération européenne de Nations conservant leur pleine souveraineté. Mais la « chimère » gaullienne, ou son « rêve inachevé » [15] résonne avec le « rêve chinois » dont la doctrine appelle elle aussi de ses vœux un monde qui soit varié sans être divisé, unifié sans uniformité, accordé et harmonieux sans être partout subordonné à l’ intérêt d’un seul côté. De Gaulle et Xi Jinping comme Leibniz rêvaient d’une communauté qui fût plutôt un lieu de coopération et de reconnaissance mutuelle, qu’une géopolitique des rapports de force ou pouvoir. Ils ont en commun d’avoir voulu combattre l’unipolarisme des hégémonistes, comme une violence faite au besoin d’enracinement identitaire des peuples. Ils ont dénoncé les procès d’intention de l’hégémonisme qui pour les combattre, fait passer toute souveraineté nationale pour un nationalisme xénophobe. Ils ont vu dans le déracinement ou le renoncement à soi que les doctrines hégémonistes imposent partout dans le monde en s’en exonérant elles-mêmes, une contradiction théorique et un remède à la haine de l’autre pire que ce mal lui-même.


Notions clés : modèles stratégiques, souveraineté, souverainisme, impéralisme/hégémonisme, inclusivisme, identité/altérité, pouvoir/puissance, multiperspectivisme.


Notes

[1Cf. Nicolas Machiavel, Le Prince, ch. IX. C’est à cette distinction philosophique implicite que renvoie la critique de la pensée géopolitique, comme dans le document « Les Nouvelles Routes de la Soie, Pont terrestre mondiale, pour en finir avec la géopolitique » [2018] 2023.

[2On peut s’en convaincre à la lecture des chapitres II et III du traité de Sunzi. A titre d’exemples : « aucun pays n’a jamais profité d’une guerre prolongée » ; « La plus haute réalisation de la guerre est d’attaquer les plans de l’ennemi ; ensuite, d’attaquer ses alliances ; ensuite, d’attaquer son armée ; et la plus basse, d’attaquer ses villes fortifiées ».

[3Voir E. Kant, Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique (1784), IV e proposition.

[4Dans un discours tenu en 1812, par A. Jackson, 7e Président des Etats-Unis, pendant la guerre contre le Royaume-Uni.

[5Dans les deux volumes de Xi Jinping, entre Marx et Confucius, éd. Youfeng, 2023, 776 p.

[6Voir Le Monde Chinois, introduction « Ce qui semble distinguer de nous les Chinois », p. 33 sqq.

[7Voir l’imposant travail de Joseph Needham en 25 volumes, Science et civilisation en Chine, 1954.

[8Dans mes Essais de grammaire universelle de métaphysique (2023), j’ai défendu l’hypothèse du caractère universel de cette idée, qu’on trouve discutée en Inde mais qui a infusé tout l’Extrême-Orient à travers le taoïsme de Zhuangzi, et à travers le bouddhisme qui l’a diffusée jusqu’au Japon, et a circulé en Occident dans des textes aussi cruciaux que l’Evangile de Marc, les Essais de Montaigne, la Monadologie de Leibniz, ou le Monde comme Volonté et comme Représentation de Schopenhauer, etc.

[9L’idée de justice, p.17.

[10Elementa juris naturalis, A VI, 1, 479 : « Major harmonia est cum diversitas major est, et reducitur tamen ad identitatem. (Nam non in identitate, sed varietate gradus esse possunt). »

[11Xi Jinping, La Gouvernance de la Chine, t.1, p.320. Autre référence à Leibniz : ibid., t.2, p.630.

[12Après trois siècles de débats, le Concile Vatican II a finalement donné raison au multiperspectivisme, en Gaudium et Spes, XXII, 5.

[13C’est pourtant Leibniz qui introduit le fondement de la théorie de l’intégration dans Geometria recondita, 1686, qu’il conçoit comme opération inverse de la différentiation dans Nova methodus pro maximis et minimis, 1684.

[14La Monadologie, trad. Emile Boutroux, Paris, éd. Delagrave, p.173.

[15Selon l’expression de l’ambassadeur Pierre Maillard, « De Gaulle et l’Allemagne, ou le rêve inachevé », 1990.

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