« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Notre action > Conférences > Face au risque de nouvelle guerre mondiale, les pays européens doivent (...)
conférence internationale de Strasbourg 8 et 9 juillet
5ème session
8 août 2023
Christian Lévêque, directeur de recherche émérite
Bonjour à toutes et à tous,
je vais essayer de vous expliquer en quelques minutes pourquoi l’écologie scientifique est instrumentalisée à l’heure actuelle par la pensée magique. Nous les Occidentaux avons hérité des religions du Livre, l’idée que Dieu avait créé un monde parfait, harmonieux et en équilibre. Ça, c’est notre héritage théologique, qui n’existe pas forcément dans d’autres cultures, mais qui est finalement devenu le fonds de commerce de mouvements écologistes militants, à l’image des grandes ONG internationales de conservation de la nature (je pense au WWF par exemple), et qui sont toutes sous dominance occidentale. L’idée dominante de leur propos, c’est que les humains détruisent cette magnifique nature vierge que Dieu nous a léguée en héritage et que nous mettons ainsi en péril l’avenir de l’humanité. D’où des idées selon lesquelles une belle nature, c’est une nature sans l’homme. C’est la wilderness américaine ou la naturalité européenne : une belle nature est une nature sans l’homme. Ça veut dire, quelque part, quand on pense aux aires protégées, on les a protégées des hommes, soyons précis. Ça, c’est le grand business international de la protection de la nature, qui est porté par ses grandes institutions internationales en particulier et qui a sévi dans pas mal de pays tropicaux, notamment en Afrique et en Asie également. Il s’agit d’identifier des zones où l’on va écarter les populations de leur habitat naturel pour en faire des zones vierges de population dans lesquelles la nature pourra s’exprimer librement. Un ouvrage intéressant dans ce domaine est L’invention du colonialisme vert, de Guillaume Blanc, un historien qui a montré comment le WWF avait agi en Afrique pour mettre en place des parcs nationaux. Cette politique des ONG est encore à l’ordre du jour puisque, lors de la COP15 de la Convention sur la diversité biologique qui s’est tenue en 2022 à Montréal, 180 pays se sont engagés à protéger 30 % de la planète d’ici à 2030 ! 30 % de la planète ce n’est pas rien, et on se pose la question : si effectivement on protège 30 % - même avec des bémols sur la participation ou non des sociétés locales à cette protection - que va-t-on faire des humains qui en seront exclus ? Parce que, quand même, l’idée de ces aires protégées, c’est de libérer la nature des exactions des humains ! D’où vient, finalement, cette idée que la nature est belle et généreuse, et seulement belle et généreuse ? Évidemment, on ne voit que rarement des propos selon lesquels la nature est hostile aux humains, pourtant c’est la réalité quotidienne de beaucoup de citoyens du monde. Cette idéologie de la nature se fonde sur une représentation bucolique et métaphysique de la nature qui est née dans les milieux urbains et bourgeois au XIXe siècle dans différents pays européens, selon laquelle la nature est un lieu de détente et d’activités ludiques pour les citoyens bourgeois des villes. Il faut être très clair : on est aussi dans une représentation de classe de la nature. Il y a la classe des bourgeois urbains aisés pour qui la nature est un lieu de détente et il y a la classe des… des classes laborieuses, des ruraux qui à l’époque, au XIXe siècle, étaient pour la plupart des paysans agriculteurs qui avaient une autre vision de la nature. Cette vision a abouti et elle est, à l’heure actuelle, portée aussi par les Nations unies, l’ONU, qui a décrété un « jour de la Terre Mère » chaque année, c’est-à-dire qu’en fait on revient à la déesse grecque de la Terre, à l’adoration de Gaïa la déesse mère – qui s’appelle aussi Pachamama dans certaines religions et pratiques sud-américaines. C’est d’une certaine manière re-déifier la nature sous une autre forme. Le mythe de l’Apocalypse, c’est celui qui est porté par ces ONG et par les médias (parce que les médias jouent aussi un rôle extrêmement actif dans ce domaine), selon lesquels la nature est en danger, nous la mettons en danger. Non seulement la nature, mais aussi l’avenir de l’humanité parce qu’il y a la surpopulation, parce qu’il y a la mondialisation des systèmes et le système capitaliste qui est fortement attaqué par l’écologie politique, parce qu’il y a une mauvaise utilisation des innovations scientifiques. C’est le cas par exemple quand on parle des OGM, quand on parle des pesticides, et tout ça contribue à une destruction de la nature… vous en entendez souvent parler : l’érosion de la biodiversité, la disparition des oiseaux, la disparition des insectes… Tout ça, ce sont des propos qui sont tenus par des porteurs d’idéologie - ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’impact des humains sur la nature, toute la question relève de la quantification de cette érosion et de la globalisation que l’on en fait. Ce que je voulais dire tout à l’heure, c’est que les ruraux qui avaient une relation quotidienne à la nature, les agriculteurs qui ont des relations quotidiennes avec la nature, n’ont pas du tout la même vision bucolique que les urbains qui la vivent, je dirais, par intermédiaire. Ils sont confrontés, ils ont été confrontés, ils sont toujours confrontés à la question des animaux dangereux, des ravageurs de cultures, des maladies… En Afrique, l’essentiel des maladies sont des maladies parasitaires transmises par des espèces vivantes, biologiques. Et puis il y a tous les aléas catastrophiques : les crues, les sécheresses, etc. qui font que finalement, la vie d’un agriculteur, de quelqu’un qui est en contact avec la nature, est assez aléatoire. Il y avait autrefois ce fatalisme : en Europe, par exemple, on pratiquait des « rogations », on implorait le créateur pour bénéficier de sa clémence. Dans beaucoup de religions on s’adresse aussi à des dieux, à des esprits pour qu’ils nous accordent la clémence en matière de production agricole. La réalité de l’écologie que l’on ne nous présente jamais sous cet aspect, c’est que le mythe du Paradis où tout est harmonie est vraiment un fantasme. Dans la réalité de l’écologie, ce que l’on appelle les réseaux trophiques veut dire que pour vivre, chaque espèce a besoin de manger une autre espèce, c’est-à-dire de tuer d’autres espèces. On est dans le monde vivant, et le monde écologique fait face à ce paradoxe que c’est un véritable holocauste permanent d’espèces qui ont besoin d’en tuer d’autres et d’en manger d’autres pour se nourrir et se reproduire. D’où cette idée que j’ai eu d’écrire ce bouquin qui s’appelle Le double visage de la biodiversité : la nature n’est pas un jardin d’Eden, où je développe au contraire l’idée que l’Homme n’est pas le destructeur inné de la nature, qu’au contraire, il a essayé au cours de son existence de se protéger des agresseurs de manière à avoir une certaine sécurité physique. Il a essayé de sécuriser les ressources alimentaires en faisant de la culture, de l’élevage, en aménageant sa niche écologique, c’est-à-dire en faisant en sorte qu’il y ait de l’eau toute l’année. Il a fait des réserves en eau, il a fait de l’irrigation, bref il a aménagé la nature de manière à assurer à la fois sa vie biologique et sa sécurité physique. C’est une thèse que j’ai défendue et je pourrais dire que nous créons aussi des systèmes écologiques qui sont appréciés pour leur biodiversité ou pour leurs bienfaits. Je prends l’exemple en France de la Camargue, un milieu totalement artificialisé mais qui est considéré comme un site naturel, au point qu’il est évalué comme un site RAMSAR, c’est-à-dire le Graal de la conservation de la biodiversité. Je pense à nos bocages qui sont des créations humaines et qui sont tout à fait riches en biodiversité. Donc l’idée que l’Homme détruit la nature est à relativiser fortement, puisque nous avons aussi de nombreux contre-exemples de création de diversité et de richesses biologiques. Le visage sombre de la biodiversité, celui des maladies, celui de toutes les exactions que la nature peut commettre vis-à-vis des hommes et des animaux (parce que la nature ne fait pas de nuances entre les hommes et les animaux), c’est quelque chose dont on parle peu. Et on est arrivé à cette situation assez paradoxale que ce que l’on appelle « des nuisances de la nature » n’est pas une qualité intrinsèque de la nature : la nature est a priori bonne et généreuse. Mais avec un raisonnement un peu jésuite, on peut en arriver à dire que finalement, s’il y a des nuisances de la nature, ce n’est pas la faute de la nature, c’est parce que nous, nous la détruisons, c’est une vengeance de la nature. Nous faisons en sorte, en détruisant la biodiversité, que l’on ait des épidémies du genre covid. C’est ce discours qui a été tenu il y a quelques années, y compris par des scientifiques qui disaient « le covid, les épidémies, ce sont des vengeances de la nature parce que nous détruisons la biodiversité. » J’aimerais rappeler simplement que l’ONU est une organisation politique dans laquelle il y a beaucoup d’influences, théologiques et métaphysiques. L’ONU est à l’origine des conventions sur le climat et sur la biodiversité, du GIEC et de l’IPBES (l’équivalent du GIEC pour la biodiversité), et vous serez peut-être surpris de voir dans les papiers de l’IPBES des expressions mises dans le cadre conceptuel de cet organisme, telles que « vie en harmonie avec la nature », « vie en équilibre et en harmonie avec la Terre-Mère », « dons de la nature », « Terre-Mère », « systèmes de vie »… Je rappelais tout à l’heure que l’ONU avait instauré une journée de la Terre mère, de la Mère Nature, et on voit bien que, quelque part, cet organisme qui se fait passer pour scientifique est quand-même sous une forte influence mystique, voire théologique, et je crois qu’il faut faire très attention, quand on parle d’écologie et de science, à l’origine des propos qui sont tenus. En réalité pour protéger la biodiversité dans le monde et surtout dans les pays en développement, dans lesquels j’ai beaucoup travaillé, la réalité ce n’est pas forcément la surpopulation, ce n’est pas forcément les innovations technologiques, c’est la pauvreté, tout simplement. Et il est vrai que lorsque la population s’accroît, on a besoin de plus de ressources, on a besoin de plus de nourriture. Donc, si on parle de protection de la nature et d’extension des aires protégées, on doit se demander ce que l’on va faire des populations exclues de leurs terres et qui vont finalement venir alimenter le prolétariat urbain. Il y a là un raisonnement complètement discutable de la part des mouvements écologistes, c’est qu’on ne dit jamais ce que l’on pense faire des populations qui seront exclues de leurs habitats naturels, de leur lieu de vie. Si on demandait par exemple à tous les Camarguais de quitter la Camargue, ce serait effectivement intéressant comme expérience… Juste une petite anecdote : quand il y a eu en 2020 une invasion massive de criquets migrateurs en Afrique de l’Est qui a ravagé beaucoup de récoltes de cette région, on a assisté à un silence éloquent des mouvements conservationnistes et des scientifiques qui sont souvent affiliés à ces mouvements. Alors qu’en même temps, il y avait en Australie de grands feux de brousse et qu’on s’est attaché à dénombrer toutes les espèces qui avaient été tuées par ces feux de brousse. Il y a donc un comportement totalement différent vis-à-vis de l’espèce humaine et vis-à-vis de la nature, et vous avez compris que la balance penche fortement en faveur de la nature. Pour terminer, je dirais que ce sentiment de peur, parce que c’est ça, le but, finalement, de ces ONG, c’est de créer la peur (c’est d’ailleurs affiché par des philosophes écologistes comme le philosophe allemand Hans Jonas), de faire en sorte que l’on reprenne le mythe de l’Apocalypse, c’est-à-dire que si vous ne répondez pas aux critères, si vous n’acceptez pas les idées de la croyance, qui était autrefois Dieu, et maintenant la croyance en la bonté de la nature, nous allons effectivement vers une situation qui devient incontrôlable et c’est la fin du monde, l’Apocalypse. Les grandes ONG peuvent ainsi imposer leur idéologie avec une forte complicité des scientifiques. Il y a beaucoup de scientifiques que je qualifie de pyromanes, qui entretiennent le feu pour des raisons que l’on pourrait discuter mais qui sont liées à l’obtention de crédits. Puis il y a les médias qui évidemment veulent faire le buzz et en rajoutent beaucoup plus encore que les scientifiques, parce que ça fait vendre de présenter des informations anxiogènes. Je vous ai mis ce petit dessin montrant Donald Trump qui discute avec Aristote [en fait, c’est Platon] et qui dit « vous serez certainement d’accord avec moi pour dire que la vérité sort de la répétition des mensonges ». Pour terminer je vous présente ce petit cartoon que j’avais recueilli lors de la conférence de Rio en 1992 et qui disait « sauver la Terre », « sauver la planète », « sauver les enfants sur la terre » et… « sauver l’argent » : je crois que derrière tout ça, il y a aussi des questions économiques qui ne sont pas forcément très reluisantes. Je vous remercie pour votre attention.