« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Les leçons du passé

L’actualité brûlante du 75ème anniversaire de l’indépendance de l’Inde

23 septembre 2022

Le 15 août 2022, devant le Fort rouge du vieux Delhi, l’Inde fêtait le 75e anniversaire de son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Quelques jours plus tard, le Cercle de discussion et d’action de Manhattan (antenne de l’Institut Schiller) se réunissait pour évoquer la signification profonde de cet événement historique. A cette occasion, Helga Zepp-LaRouche, Sam Pitroda et Diane Sare ont pris la parole avant de répondre en direct aux questions des internautes, transmises par Dennis Speed.
Nous publions ici le discours de Mme Zepp-LaRouche

C’est une joie de commémorer le 75e anniversaire de l’indépendance de l’Inde, le 15 août 1947, célébré il y a cinq jours. Bien que les médias occidentaux l’aient complètement ignoré, c’est un événement crucial, car avec une culture aussi riche et fascinante, l’Inde est l’un des pays les plus importants du monde.

Il est donc urgent de donner vie à cette histoire, en éduquant les peuples du monde sur sa signification. Il s’agit non seulement d’un événement appartenant à l’histoire, mais aussi des idées qui ont inspiré la lutte pour l’indépendance, puis la victoire sur l’Empire britannique, principalement sous la direction du Mahatma Gandhi. Ces idées sont d’une actualité brûlante pour résoudre les problèmes du monde d’aujourd’hui.

Le rôle et les idées du Mahatma Gandhi, que l’on associe généralement à la notion de non-violence, sont en fait beaucoup plus profonds que ce que la plupart des gens en connaissent. Il ne s’agit pas seulement de ne pas commettre de violence, mais même d’une démarche contraire : une philosophie de l’amour, de l’inclusion de l’autre, qui porte le monde dans l’esprit et le cœur, créant ainsi une harmonie, source de paix.

Les pensées de Gandhi ont eu une influence déterminante sur l’émergence du Mouvement des non-alignés, et la lame de fond que l’on voit monter aujourd’hui (et qui reste ignorée de la plupart des gens en Occident), c’est une véritable renaissance du Mouvement des non-alignés. C’est une réaction directe à cette idée d’un monde unipolaire, que les pays occidentaux ont tenté d’imposer après l’effondrement de l’Union soviétique. Entretemps, la situation s’est beaucoup aggravée, surtout depuis la guerre en Ukraine, du fait que certains cherchent à diviser le monde entre le camp des « démocraties » et celui des « autocraties », contre lequel les premières ont engagé une guerre totale et mortelle. L’objectif de découpler les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’UE, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie – le camp des « démocraties » – pour provoquer une rupture complète avec la Russie (but quasiment atteint du fait des sanctions brutales), mais également pour « réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine » (expression synonyme de rupture économique), le but de tout cela est en quelque sorte de forcer le monde entier à se rallier à une OTAN mondiale.

Mais l’effet boomerang a été total, car les pays en développement, qui n’ont pas tiré grand profit des « démocraties », gardent un souvenir vivant de ce que le colonialisme leur a fait et leur fait encore. Ils ont donc refusé de se laisser entraîner dans la construction de blocs géopolitiques, sachant parfaitement qu’il ne s’agit pas d’un conflit entre les soi-disant « démocraties » et les soi-disant « autocraties », mais plutôt entre ces forces qui veulent maintenir le système colonial et celles qui veulent s’en libérer pour le remplacer par le droit au développement pour chaque nation de la planète. Il s’agit d’une résurgence complète et puissante du Mouvement des non-alignés.

En fin de compte, la conception de la non-violence de Gandhi est l’une des idées les plus importantes aujourd’hui pour éviter l’anéantissement nucléaire de l’espèce humaine. (Il faut y réfléchir, ce n’est pas évident, et si certains ont des questions, on pourra en discuter.) Toujours est-il que les « Occidentaux » doivent découvrir la méthode et la perspective philosophique profonde qui ont permis à Gandhi de vaincre l’Empire britannique (ce qui ne fut pas une mince affaire !), si l’on veut rétablir la paix dans le monde.

Rappelez-vous, le Raj britannique en Inde n’est autre que l’histoire de deux siècles de crimes et de génocides, et de la destruction d’une économie relativement florissante, plongée dans la pauvreté. Shashi Tharoor, un parlementaire indien rencontré lors du Dialogue Raisina du gouvernement indien, en 2016, s’est rendu mondialement célèbre pour avoir dénoncé les Britanniques dans un discours très drôle et hilarant, à l’Oxford Union. En 15 minutes, il a présenté à un auditoire totalement abasourdi l’histoire de 200 ans de colonialisme britannique, fait d’exploitation, de répression et de brutalité extrême contre le peuple indien. Il a exigé des réparations, en précisant très clairement que l’essentiel pour lui n’était pas l’argent que l’Inde devrait recevoir, mais la reconnaissance par les Britanniques de leur culpabilité, ce qui n’est évidemment jamais arrivé. Aucune puissance coloniale n’a jamais présenté d’excuses aux victimes de son colonialisme.

Tharoor a écrit un livre intitulé The Inglorious Empire : What the British Did to India, dont Sam Pitroda nous parlera plus tard, précisant que lorsque les Britanniques ont pris le contrôle de l’Inde, l’économie indienne représentait, selon lui, 25 % de l’économie mondiale. A leur départ, ce n’était plus que 3 %, alors que l’Empire britannique était devenu un immense empire « où le soleil ne se couche jamais ». Tharoor ironise ainsi : « La raison pour laquelle le soleil ne s’y couche jamais, c’est que même Dieu ne peut pas faire confiance aux Britanniques dans l’obscurité. » Ce qu’il décrit dans ce livre, et qui est généralement connu, c’est que les Britanniques ont imposé par la force un épouvantable système de collecte d’impôts, visant à détruire les industries existantes (textile, acier, métallurgie, construction navale…). Par ailleurs, ils ont imposé des droits de douane exorbitants pour les produits indiens, afin que l’Inde ne puisse pas exporter vers la Grande-Bretagne, et d’autres règles de libre-échange du même genre. Ils ont également édicté une loi interdisant la fabrication de locomotives. L’Inde est ainsi devenue de plus en plus pauvre. A plusieurs reprises, les Britanniques ont délibérément aggravé la famine qui touchait le pays, et lors de celle du Bengale en 1943, où quatre millions de personnes sont mortes de faim, Churchill a ouvertement déclaré qu’il détestait les Indiens.

La brutalité britannique, lors des émeutes de Kolkata en 1946, eut un impact particulièrement fort sur Lyndon LaRouche, alors mobilisé en tant que soldat sur le théâtre Chine-Birmanie-Inde, pendant la Seconde Guerre mondiale. L’attitude des Britanniques dans ces émeutes, la brutalité avec laquelle ils les ont réprimées, façonnèrent profondément sa vision et sa compréhension. Il comprit alors la différence flagrante entre l’objectif de Roosevelt, qui était de mettre fin au colonialisme après la Seconde Guerre mondiale et d’augmenter le niveau de vie du secteur en développement (ce qui n’a jamais été mis en œuvre, car il mourut malheureusement avant) et celui, radicalement opposé, de Truman et Churchill, comme en témoigne par exemple la célèbre phrase prononcée, selon le fils de Roosevelt, par Churchill lors d’une discussion : « Je n’ai pas participé à la Seconde Guerre mondiale pour mettre fin à l’Empire britannique. »

Face au monstre qu’était cet Empire britannique, ce qu’a accompli Mahatma Gandhi est littéralement titanesque. Ayant connu bien des évolutions dans sa vie (après des études de droit en Grande-Bretagne, il débute comme avocat à Mumbai avant de s’installer en Afrique du Sud), Gandhi acquit de plus en plus la conviction que la non-violence (en hindi ahimsa, rejet de la violence) doit devenir la loi de notre vie, si l’humanité veut survivre. Albert Einstein a eu exactement la même idée : il était convaincu que le monde ne pourrait éviter la guerre qu’en adoptant une manière de penser fondamentalement nouvelle. Gandhi croyait également en l’unicité de Dieu, quelle que soit l’étiquette caractérisant la religion – chrétien, farsi, hindou, musulman, ou même les intouchables. Cette pensée est extrêmement importante pour l’Inde d’aujourd’hui, où les tensions raciales se ravivent. Il était aussi pour l’abolition du système des castes, l’un des héritages du colonialisme britannique, qui avait transformé une situation structurelle de l’Inde en division absolument brutale entre castes. Gandhi, dans cet esprit, créa plusieurs mouvements de masse, toujours basés sur l’idée de non-violence, ou Satyagraha, qui signifie la force de l’amour et de la vérité.

Dans ses Lettres philosophiques, Friedrich Schiller exprime la même idée, lorsqu’il dit que l’on s’enrichit de tout ce qu’on aime, qui devient une partie intégrante de soi, alors qu’on s’appauvrit de tout ce qu’on déteste. Martin Luther King, qui s’était rendu en Inde pour étudier la démarche de Gandhi et la non-violence, arrivait à la même conclusion :

« L’ultime faiblesse de la violence est qu’elle est une spirale descendante, engendrant la chose même qu’elle cherche à détruire. Au lieu de diminuer le mal, elle le multiplie. Par la violence, vous pouvez assassiner celui qui hait, mais vous n’assassinez pas la haine. En fait, la violence ne fait qu’augmenter la haine. Rendre la violence pour la violence multiplie la violence, ajoutant une obscurité plus profonde à une nuit déjà dépourvue d’étoiles. L’obscurité ne peut pas vous sortir de l’obscurité ; seule la lumière peut le faire, seul l’amour peut le faire. »

Lorsque Lyndon LaRouche et moi sommes allés en Inde pour la première fois en 1982, nous avons rencontré Indira Gandhi. Cela se reproduira une autre fois par la suite. Après son assassinat, nous avons continué à travailler avec Rajiv Gandhi. Pendant de nombreuses années, nous avons gardé des liens d’amitié avec plusieurs membres de son cabinet, tels que KR Ganesh, Ganesh Shukla, ou encore l’économiste Arjun Kumar et Jayshree Sengupta. En 2001, nous avons rencontré le président KR Narayanan ainsi que le Premier ministre Vajpayee, du BJP, puis beaucoup d’autres encore au fil des ans.

Avec Indira Gandhi, nous avons discuté d’un plan de développement sur 40 ans, car il faudrait environ deux générations pour transformer l’Inde en État moderne. D’abord construire des infrastructures de base dans tout le pays, car au début des années 1980, dans de nombreuses régions de l’Inde, il n’y avait même pas de routes, seulement des chemins de terre. Ensuite, offrir une éducation universelle à tous les enfants (vous avez sûrement déjà vu ces belles photos de Lyn avec des enfants), mais beaucoup d’entre eux ne peuvent pas suivre l’école à temps plein, car bien souvent, ils doivent aider leurs parents aux champs pendant la moisson.
Alors, naturellement, il faut de grands projets, car au début des années 1980, il y avait un fossé entre la population urbaine scolarisée au niveau européen (environ 50 millions d’Indiens) et les 750 millions de ruraux moins instruits. Ce programme a donc plu à Indira Gandhi et elle a commencé à le mettre en œuvre immédiatement. C’était une dirigeante absolument formidable, et je chérirai toujours les discussions que nous avons eues ensemble, car lorsque l’on rencontre une personne exceptionnelle de ce genre, cela vous marque pour toute votre vie. J’ai été très heureuse de discuter avec elle de la Jeanne d’Arc de Schiller [La Pucelle d’Orléans], qu’elle avait beaucoup aimée quand elle était étudiante à Paris. Elle avait pris Jeanne d’Arc pour modèle, et je dois admettre que cette pièce de Schiller a eu également un impact profond sur ma vie politique.
Avec Indira Gandhi, nous avons aussi discuté de la grande période Gupta, où de très beaux drames ont été écrits. Sans oublier l’importance de Pānini, le grand philologue qui vécut vers 700 avant J-C à Puné. Pānini soulignait que dans le langage, la structure de l’expression est dérivée du verbe transitif. À cette idée est associée toute une tradition de savants comme Cues, Kepler, Leibniz, Gauss, qui ont défini les phénomènes élémentaires en fonction de la forme du verbe transitif. Par opposition à ceux qui mettent l’accent sur le nom, dans la tradition des empiristes et des nominalistes comme Bacon, Descartes et Newton qui, comme tout le monde le sait, rejetait également l’existence de l’hypothèse. Alors que la première tradition affirme que nous vivons dans un univers en développement néguentropique, pour le second groupe, l’univers est entropique, en voie d’extinction en quelque sorte.

Wilhelm von Humboldt, un philologue très célèbre en Allemagne au début du XIXe siècle et ami de Friedrich Schiller, parlait 40 langues. Il était arrivé à la conclusion que le sanskrit est la langue la plus riche, dont découlent pratiquement toutes les langues indo-européennes. Lyn était très intéressé, dans ce contexte, par l’étude des racines de la pensée scientifique primitive, puisque le sanskrit transmettait les hymnes védiques, d’abord seulement oralement, puis plus tard par écrit. On trouve un indice extrêmement intéressant à ce sujet dans les écrits de Bal Gangadhar Tilak, l’auteur, entre autres, de The Orion et de The Arctic Home in the Vedas. Dans ses livres, il montre que les premiers hymnes védiques, qui contiennent des informations calendaires très importantes (comme la coïncidence de l’équinoxe de printemps avec la constellation d’Orion) doivent être datés d’avant 4000 av J-C. Dans The Arctic Home in the Vedas, écrit en 1903, Tilak rapporte comment la description astronomique trouvée dans la littérature védique fournit des données très précises sur la datation des différentes périodes des écrits védiques. Il révèle également que le début de la civilisation aryenne doit remonter à quelques milliers d’années avant la plus ancienne période védique, et qu’elle a connu à la fois la période glaciaire et interglaciaire. Cela signifie que la civilisation aryenne est antérieure de plusieurs milliers d’années à toutes les civilisations mésopotamiennes et égyptiennes.

Ce n’est pas la version officielle de l’histoire telle que la présentent les Britanniques, qui essaient toujours de faire paraître l’histoire plus courte qu’elle ne l’est, en s’efforçant de supprimer les apports des autres civilisations. Mais une autre contradiction est apparue, avec la découverte d’une ville engloutie à 36 mètres sous la mer, retrouvée en 2001 dans le golfe de Cambay. Localisée à environ 30 km à l’ouest du Gujarat, elle pourrait remonter à 9500 ans. Les archéologues y ont retrouvé des ossements humains, des outils en pierre, des objets de céramique et des éléments de sculpture. Avec la datation au radiocarbone, ils ont identifié que ces artefacts ont 9500 ans et que cette ville existait donc à la fin de la dernière période glaciaire. D’une superficie de 7,5 km sur 3,5 km, c’était une ville gigantesque, de 5000 ans plus vieille que toute autre ville connue en Mésopotamie ou ailleurs.

Le Rigveda, l’un des premiers témoignages de la civilisation humaine, mentionne un fleuve baptisé Sarasvati, censé couler de l’Himalaya à la mer d’Arabie, à travers la région où se trouve cette ville. Pendant longtemps, les traces de ce fleuve n’étant plus visibles, les gens pensaient que ce n’était qu’une invention. Mais il y a quelques années, la NASA a pu faire des images depuis l’espace, permettant d’identifier le lit d’un fleuve exactement là où le situent les écrits. Ce fleuve avait disparu à cause des mouvements tectoniques, qui en ont effacé les traces. Or, le Rigveda parle de civilisations développées, parmi lesquelles les villes dites harappéennes en Inde, au Pakistan et peut-être même en Afghanistan.

Cela signifie que l’on doit étudier beaucoup plus cette région du monde, l’un des berceaux de l’humanité, et que nous appartenons bien davantage à la culture humaine universelle qu’on ne le pense généralement.

Pour revenir au début, permettez-moi de reformuler l’urgence de la philosophie de Gandhi. Nous sommes confrontés à une situation incroyable, avec la menace d’une guerre nucléaire qui, si elle se produisait, conduirait à l’anéantissement de l’humanité. Nous nous rapprochons de plus en plus vite de l’explosion du système financier par l’hyperinflation. Nous assistons à une famine mondiale, et même Kissinger, à 99 ans, bien qu’il ait largement contribué à l’état du monde tel qu’il est aujourd’hui, met en garde contre l’imminence d’une troisième guerre mondiale. Nous avons donc, en même temps, deux situations complètement différentes : d’une part, le monde occidental, qui cherche à rester un facteur dominant, et de l’autre, la renaissance du Mouvement des non-alignés, les pays BRICS, l’initiative « la Ceinture et la Route » et l’Organisation de la coopération de Shanghai. Une grande partie des pays du Sud tente en effet de bâtir un nouvel ordre économique mondial, tout en travaillant très activement à un nouveau système de crédit, comme le New Bretton Woods que Lyndon LaRouche a défini, il y a déjà longtemps, comme la solution absolument nécessaire. Pour éviter une troisième guerre mondiale, nous avons proposé de créer une architecture globale de sécurité et de développement, qui s’avère être la même idée que l’initiative de sécurité mondiale et le programme de développement international proposés par Xi Jinping.

En cela, le Panchsheel, contenant les cinq principes de la coexistence pacifique, qui était en harmonie avec la pensée du Mahatma Gandhi, est une partie essentielle et non négociable. Car même si cela peut paraître très difficile, comment arrêter une machine de guerre ? D’autant plus s’il s’agit d’une guerre en cours, en Ukraine, qui risque d’échapper à tout contrôle ? Et les tensions montent aussi à propos de Taïwan. Alors... la méthode de Gandhi, la non-violence, est-elle toujours l’outil pour amener la paix ?

Je conclurai avec la réponse de Nehru au journaliste [Rustom Khurshedji] Karangia, qui lui avait justement posé la question en 1960 : « Ses pensées, ses méthodes et ses solutions [de Gandhi] ont aidé à combler le fossé entre la révolution industrielle et l’ère atomique… Après tout, la seule réponse possible à la bombe atomique n’est-elle pas la non-violence ? »

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