« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

Accueil > Notre action > Conférences > Face au risque de nouvelle guerre mondiale, les pays européens doivent (...)

Conférence internationale de Strasbourg - 8 et 9 juillet 2023

L’Inde peut-elle jouer un rôle constructif dans l’instauration de la paix et la réduction du fossé entre le Nord et le Sud ?

1ère session

14 juillet 2023

Discours de Mrutyuanjai Mishra, auteur et journaliste


[La version texte, préliminaire, est plus courte et moins développée que la version orale, finale, du discours - ndlr]

Nous avons tous appris à utiliser l’expression « pays du premier monde », dérivée de la pensée anthropologique française basée sur la division de la société en trois couches prédominantes, la noblesse, le clergé et la bourgeoisie. Mon pays d’origine, l’Inde, a longtemps été qualifié de « pays du tiers monde » parce qu’il n’était pas aligné sur les pays capitalistes de l’OTAN pendant la Guerre froide, sans pour autant l’être directement sur le bloc soviétique communiste. Les pays du bloc soviétique étaient désignés comme les pays du « second monde ».

Curieusement, l’Inde a coopéré avec succès avec les deux blocs et a conservé une approche indépendante de sa politique étrangère. La pensée critique étant devenue cruciale au XXIe siècle, le terme « tiers monde » est devenu obsolète car il était considéré comme néocolonialiste d’attendre des pays dits arriérés qu’ils se modernisent, se libéralisent et deviennent comme les « pays du premier monde », représentés par les 31 et bientôt 32 membres de l’OTAN, si la Suède rejoint l’alliance d’ici un mois environ.

Nous devons donc nous habituer à l’expression « Global South » [Sud planétaire], qui englobe les deux pays les plus peuplés du monde, l’Inde et la Chine, ainsi que la plupart des pays pauvres de l’hémisphère Sud. Si l’Inde et la Chine ne se situent pas nécessairement dans l’hémisphère Sud, c’est le cas de la plupart des pays pauvres et des pays à revenu intermédiaire d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique.

Le pouvoir d’achat des pays du Sud est en hausse et aujourd’hui, les pays dits BRICS constituent une part substantielle de l’économie mondiale, tandis que la part de l’économie mondiale des pays dits « du premier monde » diminue progressivement. Un nouvel ordre mondial est en train de se mettre en place.

Certaines forces dans le monde ne veulent pas d’une montée pacifique du Sud planétaire et cherchent constamment à imposer un état de guerre à la planète, obligeant le Sud pauvre à mobiliser davantage de ressources dans le secteur de la défense, car il doit souvent faire l’expérience d’un voisinage déstabilisé. Même si l’Inde connaît une croissance économique solide, elle est entourée de pays qui sont moins performants économiquement, comme le Pakistan et le Sri Lanka, par exemple.

Mais progressivement, nous verrons que le Sud planétaire tentera d’exercer son influence et, s’il est organisé et intelligent, il sera en mesure d’établir un programme de stabilité politique et de développement pour tous ses citoyens sur la scène mondiale.

Prenons un exemple récent : malgré la pression constante des pays occidentaux, deux tiers de la population mondiale vivent encore dans des pays neutres ou qui soutiennent directement la Russie dans la guerre en Ukraine. Ils se préoccupent davantage des questions de pauvreté et de sécurité alimentaire et d’améliorer le niveau de vie de leurs millions de citoyens.

Le bloc dirigé par les États-Unis et l’Union européenne, y compris tous les pays de l’OTAN, représente environ 36 % de la population mondiale. Principalement unis et cohérents dans leur soutien militaire à l’Ukraine, ces pays ont approuvé les sanctions économiques contre la Russie.

Parallèlement, près d’un tiers de la population mondiale vit dans un pays qui est resté neutre jusqu’à présent. Menés par l’Inde, ces États non alignés (dont le Brésil, l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud et les Émirats arabes unis) feront tout pour éviter de prendre parti, tout en cherchant à éviter l’instabilité politique et économique.

D’ici 2030, on prévoit que sur les quatre plus grandes économies du monde, dans l’ordre : la Chine, l’Inde, les États-Unis et l’Indonésie, trois se trouveront dans le Sud. D’ores et déjà, le PIB en termes de pouvoir d’achat des nations des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), dominées par le Sud, dépasse celui du groupe des sept (G-7) de l’hémisphère Nord.

Subrahmanyam Jaishankar, le ministre indien des Affaires extérieures (en fait, le ministre des Affaires étrangères), a récemment déclaré : « L’Europe doit sortir de l’état d’esprit selon lequel ses problèmes sont ceux du monde, mais les problèmes du monde ne sont pas ceux de l’Europe. »

Ces commentaires virulents de M. Jaishankar sont intervenus alors que les pays européens s’efforçaient de convaincre l’Inde d’adopter une position ferme face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Regardons les choses en face.

Même si des millions d’Indiens et de Chinois sont sortis de la pauvreté, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer le niveau de vie de millions d’autres personnes, tant en Inde qu’en Chine et dans le reste du Sud. D’où la nécessité d’adopter une nouvelle vision d’un monde sans guerre, où la coopération devient un pilier essentiel de l’interaction sociale, plutôt que la concurrence. Qui sait, si l’expansion constante de l’OTAN et l’encerclement de la Russie n’avaient pas eu lieu, nous aurions probablement connu la paix en Europe. Au lieu d’augmenter le nombre de pays assemblés dans une alliance militaire privilégiée, nous pourrions créer une alliance pour la stabilité économique et la croissance pacifique. C’est cette entreprise qui requiert aujourd’hui l’attention du monde entier.

Votre message