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Conférence internationale de Strasbourg - 8 et 9 juillet 2023

L’Humanité et l’Afrique ont besoin de science

2ème session

7 août 2023

Dora Muanda, enseignante, biologiste ; directrice scientifique de la Semaine des sciences et technologies de Kinshasa (République démocratique du Congo)

L’Humanité a besoin de l’Afrique, l’Afrique a besoin de la science et permettez-moi de rajouter que la science a besoin des femmes ! (rires, applaudissements)

Non pas qu’il n’y ait pas de science en Afrique, non pas qu’il n’y ait pas de femmes en science, mais dans les deux cas, il n’y en a pas assez, il y a un manque de visibilité. Pour preuve, sur toutes les productions et publications scientifiques globales, moins d’un pourcent sont issues de pays africains. Pourtant, la crise sanitaire, humanitaire et climatique nous ont clairement démontré à quel point les défis sont complexes et interconnectés. Quel que soit le niveau de défi auquel l’humanité fait face, nous avons besoin de toutes les perspectives de solutions possibles.

Se passer de l’expérience, du ressenti, du savoir et du savoir-faire de la partie sud de la planète, est un luxe qu’on ne peut plus simplement se permettre. Surtout si l’on veut construire un monde où chacun pourra se développer. Qu’importe la vision qu’on a derrière le mot « développement », il faut reconnaître que les sciences et les technologies restent un levier puissant pour l’émergence d’une nation. En 2023, une nation qui ne maîtrise pas ses technologies se tire littéralement une balle dans le pied.

Alors dans ce contexte, comment agir concrètement, surtout lorsqu’on fait partie de la triple minorité d’être africaine, noire et scientifique.

« Hello the world ! », je m’appelle Dora Muanda et je dirige le pôle scientifique de la Semaine des sciences et des technologies en République démocratique du Congo.

Voici le logo de notre événement.

On a mis en place cet événement avec ma collègue Raisa Mahlouf, qui est aussi une des rares physiciennes noires et congolaises. Nous avons décidé ensemble de monter la« Semaine des sciences et des technologies en RDC », car c’est le pays d’où nous venons. Nous nous sommes rencontrées en Belgique, où que j’ai grandi. Je suis né au Congo et j’y retourne régulièrement pour ce festival scientifique.

L’idée est partie d’un constat très simple : l’enseignement, au Congo, se fait quasi-totalement de façon magistrale, quel ce soit le niveau. Il s’agissait donc de trouver un moyen, de faire en sorte que nos élèves passent par la manipulation et l’expérimentation.

Voici quelques diapositives montrant ce que nous faisons à Kinshasa.
[Mme Muanda a illustré son discours par de nombreuses photos que nous vous invitons à retrouver retrouver dans la vidéo de sa présentation]

L’objectif de la Semaine de la science est de promouvoir une culture scientifique au sein de la jeunesse congolaise, et d’y raccrocher le monde scientifique, académique et entrepreneurial.

Le format d’un festival scientifique est assez pratique parce qu’il ne permet pas seulement de toucher ceux qui sont encore à l’école ; les enseignants peuvent venir avec leurs élèves et on met à leur disposition du matériel. On leur fait faire des expériences et on ne travaille pas que sur les sciences. Pour être honnête, une chose qui est souvent reprochée aux scientifiques, c’est de ne pas savoir communiquer sur ce qu’ils font. Donc, on leur apprend d’une part à faire des manipulations scientifiques, puis ils doivent produire un poster scientifique et être capable d’expliquer un principe complexe de manière simple, en peu de temps et pour différents publics, car on a des enfants depuis la maternelle jusqu’à l’Université qui viennent visiter le village scientifique. Ainsi, les élèves que nous formons ne doivent pas seulement être capables de faire la manipulation et de faire travailler leurs « compétences douces » en communication.

L’idée de ce festival scientifique c’est de renforcer les apprentissages scolaires et la qualité de l’enseignement. Et d’autre part, c’était important pour nous, de créer un espace où les scientifiques peuvent sortir de leur laboratoire et communiquer sur ce qu’ils font. Parce que tant que les scientifiques congolais (parce qu’il y en a) ne communiquent pas, ne publient pas, on ne pourra pas savoir ni comprendre qu’ils existent et ce qu’ils font.

C’est déjà très compliqué d’avoir des financements publics dans le domaine de la recherche et de l’innovation, mais en plus, si les scientifiques n’ont pas d’espace, de fenêtre pour communiquer sur ce qu’ils font avec les citoyens et les politiques, s’il n’y a aucun espace pour créer des ponts avec le monde de l’entreprise, ça sera d’autant plus compliqué pour le monde politique d’investir en masse dans le domaine de la recherche scientifique.

C’était donc important pour nous d’offrir un espace d’expérimentation aux élèves et à leurs enseignants, et un espace de communication et d’information pour nos scientifiques.

En dix ans, on a accueilli près de 60 000 visiteurs. Nous avons pu atteindre ce chiffre parce que nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de l’Enseignement primaire, technique et professionnel et le ministère de la Recherche. Ainsi, ils peuvent organiser les écoles pour qu’ils viennent par tranche horaire dans le village scientifique. Comme ça on peut gérer les flux pour qu’il n’y ait pas d’accident.

Notre modèle, c’est que nous formons chaque année un groupe de 50 élèves minimum et pendant l’événement, ce sont les élèves que nous avons formés qui vont à leur tour former les élèves visiteurs. Parce que nous croyons à notre label « l’enseignement par les faits ». Nous croyons que nous aurons plus d’impact si les élèves qui viennent dans le village des sciences avec leurs enseignants voient que ce sont des enfants de leur génération, des élèves comme eux, qui leur ressemblent, qui pratiquent les sciences, les maîtrisent et qui s’amusent autour des sciences. Ça permet de démystifier le fait que la science soit quelque chose de très éloigné et de très élitiste. Tout le monde peut y avoir accès. Et puis, ça permet d’ériger des « rôles modèles ». On ne peut pas devenir ce que l’on ne peut pas visualiser. Quand vous allez sur internet, vous voyez que la plupart des vidéos de scientifiques impliquent souvent des personnes blanches, et qu’il y a plus d’hommes blancs qui expliquent la science que de femmes. Des femmes noires qui expliquent la science sur Youtube, c’est vraiment une denrée rare. Du coup, c’est important de créer ces rôles modèles afin que nos enfants puissent voir que la science, c’est une communauté à laquelle ils ont accès. Ils peuvent en faire partie, ils y sont éligibles.

En parlant de représentativité, pendant le COVID, nous avons dû revoir notre modèle. Nous n’avons pas pu faire une Semaine de la science en présentiel et nous avons donc produit des vidéos de vulgarisation scientifique pour continuer une diffusion de contenus scientifiques. Nous avons produit ces capsules vidéo et nous les avons mises sur notre chaîne Youtube afin d’augmenter la visibilité des chercheurs noirs sur internet. Une fois cela fait, on s’est rendu compte d’un autre problème, c’est que pour regarder ces vidéos sur Youtube, il faut avoir une connexion internet… Or les connexions coûtent très cher. Donc, pour contourner ce problème, nous nous sommes associés de nouveau avec le ministère de l’Enseignement pour que nos capsules puissent être diffusées à la télévision pendant la journée, puisque les élèves étaient chez eux, à la maison.

Après ça, nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas forcément de téléviseur dans tous les foyers. On n’arrivait donc pas à atteindre un certain milieu. Dès lors, on a essayé de produire des leçons sous forme de podcasts. Ce sont de petites histoires scientifiques qui ont été diffusées à la radio. Parce que, dans toutes les communautés, même les plus pauvres, on trouve au moins une radio. C’est comme cela qu’on a pu atteindre, avec de la diffusion scientifique, même les communautés les plus refoulées.

En quelques chiffres :
— nous avons accueilli quelque 60 000 visiteurs ;
— nous avons formé 400 élèves (chiffres de l’année passée) ;
— nous avons fait notre dixième édition en avril. Le rapport n’est pas encore en ligne (cela se fera incessamment sous peu), mais les chiffres sont encore plus élevés ;
— nous avons chaque année 17 formateurs que nous formons en amont et qui nous aident ensuite à encadrer les élèves qui participent à la Semaine de la science ;
— nous avons invité une centaine d’exposants, c’est-à-dire des entrepreneurs qui ont leur entreprise à Kinshasa, mais parfois personne ne le sait. Cela peut paraître bizarre, mais ici (en Europe), lorsqu’on a besoin de quelque chose, on peut taper sur le moteur de recherche de Google. A Kinshasa, il y a absolument tout, seulement personne ne sait où ! Ce sont des bruits de quartiers, c’est le bouche-à-oreille, on sait ou on ne sait pas, mais ce n’est pas aussi évident de trouver tout ce que l’on cherche. Le festival de la science permet donc de donner une fenêtre au secteur privé.

Nous avons invité des conférenciers internationaux, l’idée étant de faire dialoguer nos scientifiques avec des scientifiques internationaux, et nous avons organisé trois concours à l’échelle nationale. L’idée est de stimuler la créativité de nos élèves, de nos enfants, de notre jeunesse, en leur faisant utiliser les sciences et les technologies.

Le premier concours que nous avons organisé, c’était un concours de poster scientifique. On a demandé à toutes les provinces du Congo de produire, par groupe, un poster scientifique. Ils pouvaient s’inscrire pour traiter un problème local, un problème qu’il voyait dans leur environnement, que ce soit l’érosion, le plastic ou la gestion du lac Kivu par exemple, et proposer une solution écrite sous forme de poster scientifique. Ils devaient défendre leurs idées. Avec des banques comme sponsors, on a pu ainsi sponsoriser l’idée de jeunes face à un problème local ainsi que les solutions qu’ils voulaient y apporter. Voilà un exemple de concours que nous avons organisé.

Cette année, nous avons eu la participation de 12 des 26 provinces. On a eu des jeunes qui ont accepté d’organiser des activités scientifiques dans leurs communautés. Puisque nous ne pouvons pas nous dédoubler, nous sommes à Kinshasa. Nous créons ainsi une communauté de jeunes qui diffuse les sciences et qui font la promotion de la culture scientifique au sein de leur propre communauté.

Susciter le goût des sciences au sein de la jeunesse, c’est se donner une chance de produire des citoyens capables d’innovation. Qui mieux que les Africains, et de manière plus générale les locaux, peuvent trouver des solutions innovantes aux problèmes auxquels ils sont les premiers à faire face ?

Si l’on veut que la RDC puisse jouer un jour son rôle sur l’échiquier mondial, cela ne se fera pas par hasard. C’est un travail que nous devons organiser en tant que société, en tant que nation, avec une vision à long terme. C’est un plan qui doit se faire de manière intentionnelle, autant à travers le secteur public que le secteur privé, et au niveau politique, bien sûr.

L’Humanité a besoin de l’Afrique, et je ne parle pas seulement du continent africain mais aussi de ses ressources minières. L’Humanité a besoin de l’Afrique : je parle des Africains. L’Humanité a besoin des Africains, de leurs perspectives par rapport aux défis mondiaux.

Les Africains ont besoin d’investir en eux à travers l’éducation, la science et la technologie. Et les sciences, pardonnez-moi d’insister, ont besoin de la perspective des femmes pour que le monde de demain soit aussi équitable pour la moitié nord que pour la moitié sud, et pour l’entièreté de l’humanité sur l’ensemble du globe.

Je suis enseignante. Je ne vais pas vous laisser sans un petit devoir à faire à la maison. La première cellule de l’humanité, ce sont vos familles. Si vous êtes grand-parent et que vous avez parfois des problèmes avec tout objet ayant un écran ou un mot de passe, n’appelez pas seulement votre petit fils pour venir régler cela. Si vous avez le choix, impliquez aussi votre petite-fille. Car si vous n’appelez que les garçons pour régler les problèmes de routeur, de Wifi, de tablettes, etc., cela envoie un message inconscient aux filles qu’elles ne sont pas « éligibles » pour cette communauté de chercheurs qui chipotent sur la technologie. N’hésitez donc pas à impliquer vos filles au sein de vos familles, même lorsqu’il s’agit de petites réparations technologiques.

Si vous êtes parent et que vous avez des enfants en âge scolaire, ils doivent souvent faire des devoirs, des recherches, des présentations, n’hésitez-pas à les encourager à sortir de leur zone de confort. Tiens, est-ce que tu as déjà pensé à présenter une personnalité africaine ? Un chercheur africain ? C’est un exercice que j’aime bien faire dans mes classes qui, en Belgique, sont souvent diversifiées, et chaque fois que je leur demande, par exemple, de faire un travail sur un scientifique qui vient du pays de leurs parents, j’ai systématiquement la même réponse : « Madame, dans mon pays, on ne fait pas de science ! » Quel triste constat. Donc le moyen de changer la perspective du monde, c’est d’encourager nos enfants à aller chercher un peu plus loin que tout le contenu scientifique qu’on leur amène à l’école. C’est un devoir qui commence dès que vous rentrez à la maison.

Merci pour votre attention.

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