« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Notre action > Conférences > Créer un avenir commun pour l’humanité et une renaissance de la culture (...)
Hussein Askary
5 juillet 2016
Voici la transcription et la vidéo de l’intervention de Hussein Askary, responsable du Moyen-Orient à l’Institut Schiller, lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller des 25 et 26 juin 2016 à Berlin.
Retour au programme de la conférence avec les liens aux autres interventions.
Lorsqu’on prononce le mot « islamique » de nos jours, cela évoque, par association, des images de terrorisme, d’extrémisme et de fondamentalisme. Ces associations ont aujourd’hui une certaine base dans la réalité, mais cette réalité est presque entièrement une construction d’institutions politiques, stratégique et du renseignement cherchant à maintenir le monde divisé et soumis. L’islam militant, à part la création des Frères musulmans en Égypte, est un phénomène relativement nouveau qui a fini par défrayer la chronique lorsque les Britanniques, les États-Unis et l’Arabie saoudite se sont mis à financer, armer et entraîner les Moudjahidin en Afghanistan pour combattre l’Armée soviétique.
Cependant, le pays et la société musulmane sont également à blâmer en partie pour avoir négligé l’incroyable héritage scientifique, philosophique et artistique de la culture islamique. On entend souvent des discours évoquant avec plein de nostalgie et de fausse fierté les « grandes réalisations de l’Islam ». Cependant, on trouve assez rarement des études ou des controverses sur comment, quand et par qui furent réalisées ses prouesses. Partout dans le monde arabo-musulman on rencontre des hôpitaux ou des écoles Ibn Sina (Avicenne), ou des écoles Al-Kindi ou Arrazi. Mais combien d’arabes ou de musulmans savent réellement ce que ces géants intellectuels ont accompli et connaissent le contenu de leurs doctrines philosophiques ? Et quel contexte culturel a permis qu’ils fassent leurs percées ?
Pour l’instant, il n’est guère possible d’apporter une réponse satisfaisante à ces interrogations, et ceci pour la simple raison qu’au niveau recherche, on n’a pas fait nos devoirs.
Ma démarche ici, c’est de lancer le mouvement en traçant quelques pistes. Et vue les horreurs commises au nom de l’Islam, et les horreurs infligées à la société arabo-musulmane et à des minorités vivant en son sein, c’est un enjeu majeur.
Comme je l’ai documenté à maintes occasions, la Renaissance islamique, dont l’âge d’or s’étend de la fin du VIIIe jusqu’à la fin du XIIIe siècle, n’avait rien d’exclusif. Bien que l’arabe fût la lingua franca dans une région qui s’étendait de la Chine à l’Espagne, j’oserais affirmer que la Renaissance islamique n’était pas un phénomène religieux bien que l’islam somme explicitement les croyants à « rechercher, du berceau au tombeau, le savoir ».
La Renaissance islamique était plutôt un phénomène culturel, assez unique dans l’histoire, car fondée sur une véritable synthèse des cultures arabes, perses, grecques, égyptiennes, indiennes et chinoises pour ne nommer que celles-là.
A partir du IXe siècle, c’est à Bagdad, [sous les Abbassides] que des scientifiques musulmans, chrétiens et juifs se retrouvent dans « La maison de la sagesse » pour approfondir, vérifier et traduire en arabe des manuscrits scientifiques et philosophiques grecs, indiens, chinois et tant d’autres cultures. La même chose avait lieu [sous les Omeyyades] à Damas et à Cordoue en Andalousie (Espagne).
Un objet d’apparence exotique incarne à merveille cette belle synthèse culturelle. Il s’agit de « l’horloge à éléphant », un automate réalisé par Al-Djazari qui a vécu entre 1136 et 1206 dans le nord-est de la Syrie actuelle. « Al-Djazari » signifie « l’île », c’est-à-dire l’îlot géographique délimité par les cours des fleuves Tigre et Euphrate en Mésopotamie (Irak).
Al-Djazari, considéré comme le « père de la robotique », était un vrai esprit universel : mathématicien, artiste, artisan, musicien, ingénieur en mécanique, etc. Son œuvre la plus connue s’intitule « Le livre de la connaissance des procédés mécaniques ». Le titre original, en arabe, est plutôt « Combiner la science avec le travail profitable en mécanique ».
Dans ce manuel, il décrit une bonne centaine d’inventions qu’il a fait en mécanique et comment les réaliser. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas seulement les inventions en tant que telles, mais la façon de penser d’Al-Djazari, pour qui cette créativité au service de l’humanité incarnait un véritable dialogue de cultures et le véritable message de l’Islam.
Examinons un instant, la plus connue de ses inventions, la légendaire « l’horloge à éléphant », en réalité, d’une clepsydre, c’est-à-dire une horloge, inventée dans l’Antiquité grecque, qui se sert de l’écoulement de l’eau pour indiquer le temps.
Décrivons-en brièvement le fonctionnement. En bas, à l’intérieur du corps de l’éléphant indien, un réservoir d’eau sur laquelle flotte une bassine percée d’un petit trou par lequel l’eau finit par lentement la remplir. Lorsque la bassine atteint un certain degré de remplissage, elle descend avec force et actionne une corde qui déclenche, au sommet de l’automate, le relâchement d’une bille métallique. Cette dernière, à son tour, provoque toute une série d’actions mécaniques : le phénix (au sommet de la coupole) siffle et tourne sur lui-même. La première des quinze ouvertures s’éclaire, le personnage du balcon lève le bras gauche et abaisse le droit, semblant par ce geste libérer l’aigle de gauche. Celui-ci se penche en avant, ouvre le bec et lâche la bille qui tombe dans la gueule toute proche d’un des dragons. Le poids de la bille produit un déséquilibre dans le corps de la bête qui bascule lentement, atteint le vase où la bille disparaît. Elle roule et tombe finalement sur une cymbale. L’heure sonne. Pendant ce temps, le cornac frappe sur la tête de l’éléphant de sa main droite puis de sa main gauche et reprend ensuite sa position de repos.
On compte les heures en dénombrant les boules que l’on trouve dans la cymbale (deux boules représentent une heure). Quand vingt-quatre heures se sont écoulées, on remet les boules dans la tour de l’horloge et on remplit d’eau le réservoir de la clepsydre qui recommence son cycle. [1]
Al-Djazari a placé au sommet un phénix, référence à l’Égypte ancienne. Il s’agit de la divinité égyptienne Bénou, également adoré en Grèce. Je vous rappelle que durant certaines périodes, la culture grecque et égyptienne ne faisaient qu’une comme cela ressort des dialogues de Platon où de la collaboration entre Archimède et Ératosthène, le doyen de la librairie d’Alexandrie. Alors que les dragons incarnent la Chine, l’éléphant et le cornac tapant sur la cymbale réfèrent à l’Inde. L’architecture et l’ameublement de la construction sont persans et arabes et bien sûr, la clepsydre sort du génie des hydrauliciens de la Grèce antique.
Ainsi, avec cet automate magnifique, Al-Djazari réussit à capter la quintessence philosophique de la Renaissance islamique de son époque : la grande diversité culturelle de la civilisation humaine n’est pas source de discorde mais au contraire le fondement même de son unité.
Selon le Coran (S49/V13), Allah le Très Haut dit : « Ô hommes ! Nous vous avons été créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. (…) »
Pouvons-nous faire renaître cet esprit aujourd’hui. Voilà la grande question ?
[1] L’horloge offerte à Charlemagne en 807 par les ambassadeurs d‘Haroun-al-Raschid (766-809) devait ressembler à celle-ci. Le chroniqueur royal de Charlemagne, Eginhard, la décrit ainsi dans ses Annales regum francorum : « Une machine qui, actionnée par la force motrice de l’eau, marque les heures par un nombre approprié de petites boules de bronze qui retombent sur un timbre d’airain ; à midi, 12 cavaliers sortent par 12 fenêtres qui se referment ensuite derrière eux »