« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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15 mai 2013
Lors de la conférence internationale organisée les 13 et 14 avril par l’Institut Schiller à Flörsheim, en Allemagne, Henri Safa et Eduardo Greaves, deux physiciens de premier plan venus de France, ont dessiné les contours d’une vraie politique énergétique viable et anti-malthusienne.
Pour ouvrir le débat, le professeur Henri Safa, membre du conseil scientifique du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a exposé la quintessence de ce qu’il vient de développer tout au long de son nouveau livre Quelle transition énergétique ? (EDP Sciences, 2013, 12 euros).
L’auteur y souligne que l’humanité doit sa survie à son sens aigu de créativité et d’innovation permettant, par sauts qualitatifs et soudains, de passer d’une énergie à une autre, sans pour autant abandonner les formes d’énergies précédentes. Hélas, seulement une partie des habitants de la planète sont en mesure de profiter de ces avancées :
La construction de moulins à eau puis de moulins à vent permet de capter l’énergie mécanique des cours hydrauliques ou des masses d’air en mouvement pour les transformer en énergie utile pour scier du bois ou moudre du grain, tâches pénibles et répétitives. A cette époque, l’homme utilise principalement de la biomasse (bois, paille, huiles végétales ou animales) et de la traction humaine et animale pour ses besoins énergétiques. On estime qu’il dépensait en moyenne de l’ordre de 0,4 tep (tonne équivalent pétrole) par habitant et par an. Il est intéressant de souligner que près de 2 milliards de terriens vivent aujourd’hui encore avec une consommation inférieure à 0,5 tep, soit l’équivalent de ce que consommait un Sumérien (il y a 6000 ans).
Henri Safa souligne ensuite la notion de « contenu énergétique » qui définit la densité de l’énergie potentielle d’un combustible. Ensuite, l’homme va inventer toute une série de technologies permettant de maximaliser la densité des flux d’énergie afin d’effectuer le plus de travail possible avec le moindre effort énergétique, ce qui implique une plus grande productivité avec moins de ressources. Du coup, l’on comprend soudainement pourquoi l’âge de fer est apparu après l’âge de bronze. Car c’est uniquement la conception de fours à haute température qui permit à l’homme d’atteindre le point de fusion du fer (1538°) alors que celui du cuivre (qu’on mélange avec l’étain pour obtenir le bronze) n’est que de 1084°. Ainsi, le concept de densité d’énergie, d’abord pour les ressources, puis pour les technologies, permet de redéfinir l’énergie, non plus comme une simple quantité statique, mais comme le potentiel dynamique requis pour fournir un travail dans un environnement donné.
La Figure 1 montre la différence spectaculaire de densité d’énergie par kilogramme entre différents combustibles. En brûlant, le bois dégage 4 kWh par kilo, le charbon 8000, le pétrole 11600 et le gaz 12500. Rien qu’avec la fission nucléaire, on passe à 1 milliard de kWh, c’est-à-dire une densité 100 000 fois plus élevée ! Ainsi, un seul gramme d’uranium peut fournir autant d’énergie que 5 barils de pétrole ou qu’une tonne de charbon.
S’inscrivant en faux contre les thèses décroissantes, l’auteur rappelle le lien organique existant entre consommation énergétique par habitant et qualité de vie. Cette réalité est assez bien mise en évidence par l’Indice de développement humain (IDH) de l’ONU (Figure 2), une moyenne entre un indicateur de santé (espérance de vie), un indicateur d’éducation (durée de scolarisation) et un indicateur économique (PNB par habitant).
En 2011, cet indicateur allait de 0,286 pour le pays le moins développé (Congo) jusqu’à 0,984 pour le plus développé (la Norvège). La France étant au 20e rang avec un indice de 0,884. Le graphique indique sans ambiguïté qu’en dessous de 3 tep/an, il existe une forte corrélation entre la dépense énergétique et la qualité de vie. Si au-delà, consommer plus peut être en partie du gaspillage, le développement humain restera toujours assoiffé d’énergie. On pourrait tenter d’infléchir cette tendance historique par la contrainte, écrit l’auteur, mais elle serait non seulement fort mal vécue mais intenable, « à moins de sombrer dans un régime vraiment totalitaire ». « De toute manière, poursuit Safa, si dans le futur l’on souhaite accéder à d’autres espaces, aller voir ce qui se passe au-delà de notre planète et de notre système solaire, il nous faudra beaucoup d’énergie. Énormément d’énergie. L’Homme ne pourra pas être éternellement confiné à la Terre. Il rêve toujours d’aller plus haut, plus loin et plus vite. »
Alors qu’il y a peu de temps, transition énergétique signifiait le passage d’énergies de moindre densité (biomasse, charbon, pétrole, gaz) à des énergies plus denses (nucléaire), on entend par transition énergétique ou écologique, en particulier depuis la médiatisation de l’accident de Fukushima, la « sortie du nucléaire ». Or, étant donné leur rendement énergétique extrêmement faible, faire le choix des énergies dites renouvelables revient en premier lieu à choisir le gaz, indispensable pour produire l’électricité car les énergies « durables », trop diffuses et trop intermittentes, sont incapables de fournir à la société l’électricité dont elle a besoin.
En ce qui concerne leur rendement, l’auteur nous rappelle qu’en 1983, à la suite du premier choc pétrolier en 1973, l’Etat français avait fait construire à grands frais à Targassonne, dans les Pyrénées, la première centrale solaire Thémis à concentration solaire. Elle fut raccordée au réseau électrique pour être abandonnée en 1986 par l’exploitant EDF, car « l’électricité issue de cette technologie si attractive offrant une source d’énergie en apparence gratuite ressortait quasiment 20 fois plus cher que le kWh issu des premières centrales nucléaires. L’échec de Thémis n’était ni technologique, ni organisationnel car le projet avait pleinement bénéficié des aides de l’Etat… ». L’échec était « intrinsèquement lié à la quantité d’énergie qui peut être effectivement récupérée du rayonnement solaire ».
Ce n’est donc guère étonnant que la Russie, qui compte consacrer 40 milliards d’euros à un ambitieux programme d’exploration spatiale, s’intéresse aux moteurs nucléaires. Vladimir Popovkine, le chef de l’Agence spatiale russe (Roskosmos) affirme que la création d’un réacteur compact d’une puissance théorique d’un mégawatt « ouvre des possibilités totalement nouvelles dans l’espace (…) Pour comparaison, les panneaux solaires de la Station spatiale internationale développent environ 100 kilowatts. Mais la station est en orbite. Pour un vol vers Mars, par exemple, il faudrait une surface de panneaux solaires comparable à une dizaine de terrains de football », explique-t-il.
En réalité, si le solaire prospère, c’est uniquement parce que l’Etat oblige EDF à racheter le MWh solaire à 600 €, soit quinze fois son prix réel ! « Du coup, les investisseurs financiers se précipitent dans ce qui peut apparaître comme une pure machine à fric à rentabilité garantie. La valeur réelle du produit étant réduite à 6 % du prix de rachat, 94 % de l’activité revient à une opération purement financière entièrement à la charge de la collectivité. »
L’ensemble de ces considérations oblige le lecteur à accepter ce qui s’impose : l’électricité d’origine nucléaire, surtout sous la forme de centrales nucléaires de 4e génération et, par la suite, produite grâce à la fusion thermonucléaire, jouera un rôle majeur dans l’édification de notre avenir.
Sur ce que pourront apporter les réacteurs de nouvelle génération, le professeur Safa estime que « dans le domaine de la sûreté, il s’agira de faire aussi bien (ou mieux, si possible) que l’EPR, qui définit un standard pour les décennies à venir. Parallèlement, la 4e génération devra garantir une production d’énergie dans une vision à long terme, avec deux objectifs majeurs.
« Le premier est la durabilité des ressources. Les réacteurs actuels font un véritable gâchis de matière première en brûlant seulement une très faible partie de l’uranium. En régime de croisière, les systèmes de 4ème génération fabriqueront autant de matière fissile qu’ils en consommeront. Il faudra pour cela les alimenter en uranium naturel [mais] les ressources s’en trouveront multipliées par 140. Avec un parc mondial composé de réacteurs RNR (réacteurs à neutrons rapides), les réserves en uranium passeraient de quelques centaines d’années à plus de vingt mille ans. Les RNR pourront aussi brûler du thorium 232, autre élément très abondant dans certaines parties du monde. La crainte d’une pénurie de combustible sera derrière nous !
« Un autre grand objectif consiste à minimiser les déchets nucléaires. Lorsqu’ils absorbent un neutron rapide dans le cœur d’un RNR, les “actinides mineurs”, éléments les plus dangereux car hautement radioactifs et à vie longue, peuvent être soit fissionnés, soit transformés en d’autres éléments à vie courte. À la sortie d’un système de 4ème génération, ne resteront que les déchets ultimes, c’est-à-dire les produits de fission dont la durée de vie ne dépasse guère trente ans.
« Enfin, ces réacteurs de demain seront “multi-applications”, c’est-à-dire capables de produire de l’électricité, mais aussi de la chaleur (notamment pour des applications industrielles ou encore le chauffage urbain), de l’hydrogène et de l’eau douce (par dessalement de l’eau de mer). »
Entretien accordé par Henri Safa à place-publique.fr (septembre 2009)
Le chercheur vénézuélien Eduardo Greaves (Institut de physique nucléaire d’Orsay) a fait le point sur les recherches sur le thorium. Ce métal, trois fois plus abondant que l’uranium, pourra un jour devenir une importante source d’énergie pour l’homme.
Rappelons que pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans la course contre la montre engagée avant le régime hitlérien pour développer l’arme atomique, les jeunes chercheurs des laboratoires d’Oak Ridge aux Etats-Unis avaient mis au point un réacteur aux sels fondus associé au thorium. Cette approche impliquait une double révolution. D’abord, au lieu d’utiliser le combustible sous forme solide, on le mélangeait avec des sels fluorés. Ensuite, au lieu de produire du plutonium 239 avec de l’uranium 239, on utilisait le thorium 232. Fertile, ce dernier se transmute en uranium-233 qui lui est fissile et peut donc servir de combustible dans une centrale. Après la Deuxième Guerre mondiale commença la Guerre froide qui a vu le nucléaire confisqué pour les buts de la guerre : produire du plutonium. Or la filière du thorium n’en produit pas, ce qui explique son abandon à l’époque.
Aujourd’hui, souligna Eduardo Greaves, la Guerre froide est terminée. Après les accidents de Tchernobyl et Fukushima, il est plus que temps de changer nos habitudes. Au lieu d’additionner les systèmes de sécurité supplémentaires des modèles anciens, pourquoi ne pas changer radicalement la conception même des réacteurs. Le thorium offre des avantages intéressants. Il produit 300 fois moins de déchets que les centrales actuelles et permet, tout comme les réacteurs à neutrons rapides, de brûler les déchets nucléaires existants. Le fait que le combustible soit liquide et que la centrale opère à pression atmosphérique ambiante lui donne également une sécurité intrinsèque incomparable.
C’est d’ailleurs pour cela que le Japon (avec le projet Fuji), la Chine, mais également l’Inde s’intéressent à cette filière, alors que l’Allemagne a abandonné cette perspective et qu’en France, pays qui dispose de chercheurs excellant dans ce domaine, faute d’une volonté politique affirmée, la recherche manque cruellement de crédits budgétaires.