« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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Conférence du 19 février 2022 - 100 secondes avant minuit
1ere session
5 mars 2022
Lors de la conférence de l’Institut Schiller du 19 février 2022, Harley Schlanger, membre de l’Institut a prononcé un discours pour évoquer la nouvelle ère qui vient dans les relations internationales ; une nouvelle ère dépassant la géopolitique et instaurant un monde de paix par le développement mutuel.
Je voudrais ouvrir cette conférence en vous souhaitant à tous la bienvenue à l’aube d’une nouvelle ère, car il devient de plus en plus évident que l’ère post-guerre froide de domination unipolaire, imposée par les militaires des États-Unis et de l’OTAN - ce qu’on appelle « l’ordre fondé sur des règles » - touche à sa fin.
La question est de savoir si elle laissera place à une ère de paix et de prospérité économique, protégée par une nouvelle architecture stratégique respectant les préoccupations de sécurité de toutes les nations souveraines, ou si les défenseurs désespérés de cet ordre unipolaire y mettront fin par une guerre susceptible d’anéantir l’humanité.
Ce n’est pas une situation qui était imprévisible. Au cours des cinq dernières décennies, dans une série de déclarations, d’articles et d’hebdos, l’économiste et homme d’État américain Lyndon LaRouche n’a cessé d’avertir que l’ordre consolidé le 15 août 1971 par la décision du président Nixon de mettre fin au système de Bretton Woods d’après-guerre et de le remplacer par un système financier spéculatif de taux de change flottants, ne pouvait survivre qu’en recourant à des politiques économiques schachtiennes, ou fascistes, qui nécessiteraient la force militaire pour s’imposer.
Ses prévisions de 1971 furent confirmées par le coup d’État sanglant de 1973 au Chili, qui a renversé et assassiné le président Allende pour amener au pouvoir la dictature militaire de Pinochet. Ce régime a utilisé la force brutale pour imposer les réformes libre-échangistes des « Chicago Boys », dirigés depuis les États-Unis par les réseaux du synarchiste George Shultz, acteur de premier plan dans l’élaboration de la politique économique et stratégique des États-Unis du début des années 1970 jusqu’à sa mort, l’année dernière.
L’opération au Chili a servi à la fois de test pour de nombreux coups d’État similaires visant à un changement de régime, et de modèle pour une transition vers des politiques de libre-échange, telles que la politique de thérapie de choc imposée à la Russie par ces mêmes réseaux après l’effondrement de l’Union soviétique, en décembre 1991, et celles appliquées à l’économie ukrainienne après le coup d’État du Maidan, en février 2014. Les bénéficiaires de ces « transitions » sont en grande partie les pilleurs opérant dans les centres financiers de la City de Londres et de Wall Street.
Parmi les nombreuses déclarations prémonitoires de LaRouche, une autre, publiée dans sa campagne présidentielle le 28 avril 2003 sous le titre « Un monde d’États-nations souverains », comporte des commentaires très pertinents pour comprendre la crise stratégique actuelle.
Dans ce texte, où il examine la politique mise en œuvre après le 11 septembre par l’administration Bush-Cheney, il montre comment celle-ci a rejeté la version « plus soft » du modèle impérial libéral britannique, au profit d’une approche plus directement inspirée de ce qu’il appelle le « modèle impérial romain » (celui des nazis).
Ceci reflète le changement intervenu après l’effondrement de l’Union soviétique, avec la décision de rejeter tout effort pour nouer un partenariat économique mutuellement bénéfique avec la Russie, et de s’engager au contraire à bâtir un ordre mondial unipolaire.
Cette évolution fut annoncée par divers éléments tels que :
1) la déclaration de George H.W. Bush, dans la foulée de la victoire contre l’Irak dans l’opération Tempête du désert, proclamant l’émergence d’un « nouvel ordre économique mondial » ;
2) la thèse arrogante de Francis Fukuyama, selon laquelle la « victoire » remportée sur le système soviétique dans la guerre froide représentait la « fin de l’histoire », le triomphe de la version anglo-américaine du libre-échange et de la « démocratie », imposée par le pouvoir unilatéral de l’armée américaine ;
3) la perspective défendue par le Projet pour un nouveau siècle américain (PNAC), ce groupe de néoconservateurs qui a promu les « guerres perpétuelles » après le 11 septembre (Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Robert Kagan, etc.). Le discours caractéristique de cette faction, sponsorisée par des fonds et des politiques générés par le complexe militaro-industriel anglo-américain, se résume à l’ultimatum adressé par George W. Bush au monde, au moment de lancer ces guerres : « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes. »
Pour LaRouche, l’adoption de cette doctrine de suprématie totale anglo-américaine a démoralisé nos alliés européens. Même s’ils pouvaient résister à la menace inhérente à l’application de cette doctrine – à savoir que si vous contestez cet ordre, vous risquez d’être pris pour cible - ils ont flanché dans l’espoir de réduire le risque de devenir un adversaire virtuellement déclaré des Etats-Unis.
Dans cette déclaration de 2003, LaRouche affirmait qu’une résistance à ces politiques pourrait émerger de la part de nations suffisamment fortes pour intervenir. Il mentionne la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine, tout en ajoutant que le changement doit venir des États-Unis. C’est ce qui formera plus tard la base de sa proposition d’alliance entre « quatre puissances », Chine, Russie, lnde et États-Unis, qui, ensemble, ont le pouvoir de contrer la concentration du pouvoir entre les mains des cartels mondiaux, responsables des politiques de plus en plus désastreuses imposées par les tenants de l’ordre post-guerre froide.
Le début de la fin
Cet ordre a été ébranlé par divers événements de ces dernières années, à commencer par l’effondrement financier de 2007-2008. La tentative de dissimuler les volumes croissants de dettes impayables de toutes sortes, adoptée sous l’administration Obama et menée par les principales banques centrales, a produit de nouvelles bulles, sans entraîner la moindre reprise économique réelle, ce qui n’avait jamais été leur intention.
La politique du « mur de l’argent » a été conçue pour renflouer les spéculateurs, tout en vidant de sa substance ce que LaRouche appelle « l’économie physique » des nations. Mais il ne faut jamais confondre liquidité et solvabilité.
La dernière « bulle de tout » commença à s’effondrer en septembre 2019, et l’on envisagea alors de protéger les actifs financiers surgonflés et sans valeur inscrits dans les livres des grandes banques, compagnies d’assurance, fonds spéculatifs, etc., grâce au Great Reset (grande réinitialisation), ce qui implique un nouveau système financier mondial sous contrôle des banques centrales, dans lequel les nations doivent abandonner toute souveraineté.
C’est une chose à laquelle la Russie et la Chine ne se plieront pas. De même, la résistance au New Deal vert mondial, basé sur l’idée frauduleuse d’un réchauffement climatique « causé par l’homme », qu’on ne pourrait combattre, selon les élites de « l’ordre fondé sur des règles », qu’en acceptant une politique d’émissions de carbone zéro, en arrêtant tout procédé efficace de production d’énergie utilisant des combustibles fossiles, tels que le charbon, le pétrole et le gaz naturel, et en éliminant l’énergie nucléaire.
Or, lors de la conférence COP26, en novembre de l’année dernière, il y a eu une rébellion. En effet, si beaucoup de gens ont reconnu du bout des lèvres la nécessité d’éliminer la production d’énergie à base de carbone, cette idée a été rejetée dans la pratique. Par exemple, citons la réaction du président du Sénégal et président de l’Union africaine, Macky Sall, qui a déclaré que l’accord signé lors de la COP26 était bon, mais inapplicable. Il rappela que plus de 600 millions d’Africains avaient besoin d’électricité et que celle-ci ne pourrait pas être fournie par les technologies vertes promues par des projets bidons tels que le programme Global Gateway de l’Union européenne.
L’ordre unipolaire a également été ébranlé par les effets désastreux des « guerres perpétuelles » menées par les États-Unis et l’OTAN. À ce jour, des milliards de dollars ont été dépensés, des millions de vies ont été perdues, alors que les sanctions imposées par les fauteurs de guerre continuent de menacer des millions de personnes de famine, de les priver de soins de santé, de carburant, etc. Il y a un tollé moral croissant contre ces guerres, alors que ceux qui les ont lancées cherchent des « moyens plus propres » de tuer, comme avec l’exercice nucléaire Global Lightning qui vient de se terminer.
Venons-en enfin à la crise actuelle, centrée sur l’Ukraine.
Il ne s’agit pas de l’Ukraine, mais plutôt de la demande du président russe Poutine, qui constate que l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, dans l’après-guerre froide, menace la sécurité de la Russie et doit prendre fin, avec un retour aux accords conclus en 2007.
Ce qui a permis à Poutine de poser ses exigences aujourd’hui - pas d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, aucun déploiement d’armes offensives de l’OTAN en Ukraine et résolution diplomatique de la situation dans l’est du pays, fondée sur l’application de l’accord de Minsk – ce sont les progrès scientifiques qui ont permis un renforcement de l’armée russe et l’alliance croissante avec la Chine, l’autre grande cible des unilatéralistes.
La consolidation de cette relation, lors de leur sommet du 4 février, a déclenché une panique générale parmi les ténors de l’ordre unipolaire, comme en témoignent les deux déclarations suivantes.
Tout d’abord, dans un article du 4 février, « Russia and China Rise from their Knees to Challenge U.S. Dominance » (Agenouillées jusqu’ici, la Russie et la Chine se relèvent pour défier la domination étatsunienne), le Daily Telegraph écrit :
Le message [du communiqué publié] est tout sauf routinier. À un moment d’immense tension internationale, la Russie et la Chine affirment l’arrivée d’une nouvelle ère géopolitique. Désormais, la domination de l’Occident mondial dirigé par les États-Unis ne sera plus considérée comme acquise - ni tolérée.
Et cette réponse hystérique de Fred Kempe, le président de l’Atlantic Council, l’un des plus importants groupes de réflexion ([think tank) pro-guerre, dans une déclaration publiée le 6 février, intitulée « L’audacieux pacte Poutine-Xi » :
C’est énorme, les deux principaux régimes autoritaires de notre époque ont déclaré une cause commune sans précédent – peut-être même une alliance de sécurité de facto – avec l’ambition de forger un nouvel ordre mondial pour remplacer celui façonné par les États-Unis et leurs partenaires après la Seconde Guerre mondiale.
Pourtant, en dépit de toutes les animosités historiques et des différences considérables qui subsistent entre les deux pays, jamais peut-être dans leur histoire, ils n’ont été aussi proches. Et jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, les principaux régimes autoritaires n’ont été, en leur temps, aussi alignés stratégiquement ou personnellement proches, à un moment où tous deux sont en train de contempler en profondeur leur héritage.
Ce qui unit la Russie et la Chine reste, principalement, leur opposition aux États-Unis. Ils se sont cyniquement appropriés les concepts qui définissent la politique étrangère américaine - démocratie, droits de l’homme et développement économique - bien que leurs actions soient ridiculement incompatibles avec leur rhétorique.
Ce que n’accepteront jamais les rédacteurs de l’impérial Daily Telegraph et autres Fred Kempe en tout genre, ce sont les exigences posées par Poutine dans ses traités comportant des garanties de sécurité juridiquement contraignantes, rendues nécessaires en raison des promesses non tenues et des actions hostiles à l’encontre de la Russie. À commencer par le refus de respecter la promesse de ne pas étendre l’OTAN vers l’est, réitérée à plusieurs reprises lors de pourparlers en 1990 et confirmée encore récemment par l’ambassadeur américain en Russie de l’époque, Jack Matlock, qui était présent lorsque ces engagements ont été pris.
Il est également clair que la position de M. Poutine en a enhardi d’autres. C’est ainsi que l’ancien ministre français des Affaires étrangères Roland Dumas a déclaré dans une interview cette semaine qu’il était présent lorsque la promesse a été faite aux dirigeants russes. Prétendre que ces promesses ne comptent pas parce qu’elles n’ont pas été écrites noir sur blanc est le genre d’argutie qui sape la crédibilité de ceux qui les ont faites. Peut-être est-ce la raison pour laquelle M. Blinken se croit obligé de rabâcher sans cesse le même laïus sur l’intention de Poutine d’envahir l’Europe et la nécessité de s’unir pour protéger la sécurité européenne. Il est clair, dans les récentes visites du président français Macron et du chancelier allemand Scholz à Moscou, qu’ils n’ont pas été influencés par ces propos.
En revanche, alors que nous vivons un moment des plus turbulents, pris entre l’espoir et la peur, les mots prononcés par un représentant chinois aux Nations unies peuvent toucher tous les peuples. Ce diplomate a décrit la tension autour de l’Ukraine non pas comme quelque chose d’inhérent à la situation de ce pays, mais comme la conséquence du refus des États-Unis et de l’OTAN de renoncer à l’esprit de la guerre froide, faisant écho à l’insistance d’Helga Zepp-LaRouche sur le fait que la sécurité d’un pays ne peut se faire au détriment de celle d’un autre.
C’est ce que signifie l’appel à une nouvelle architecture de sécurité. C’est pour cela que Lyndon LaRouche, sa femme Helga et l’Institut Schiller se battent depuis plusieurs décennies. Et maintenant, il est de notre ressort, en tant que citoyens des nations, de s’assurer qu’une telle architecture garantissant la sécurité mutuelle puisse pleinement voir le jour.
L’ère unipolaire est terminée, même si Antony Blinken et ses acolytes faucons de guerre n’ont pas encore compris le message. Prenons ici la résolution de la remplacer par une ère dédiée à l’engagement de protéger chaque vie humaine, de défendre les droits souverains de chaque nation et de donner à chaque enfant la possibilité de réaliser son potentiel dans un monde de paix, de développement et de bénéfice mutuel pour tous.
Merci