« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Notre action > Conférences > Face au risque de nouvelle guerre mondiale, les pays européens doivent (...)
Conférence internationale de Strasbourg - 8 et 9 juillet 2023
1ère session
14 juillet 2023
par Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller discours d’ouverture
Excellences, très chers invités, chers amis de l’Institut Schiller !
Quelle joie de pouvoir saluer en personne, ici à Strasbourg, des participants de tant de nations, après avoir été contraints par les circonstances à tenir nos conférences Schiller uniquement en virtuel pendant plus de trois ans ! Mais nous avons fait bon usage de ce temps pour rassembler de nouvelles forces dans le monde entier, qui peuvent intervenir ensemble à ce moment crucial de l’histoire mondiale pour créer un nouveau paradigme pour l’avenir de l’humanité !
Disons-le d’emblée : même si notre continent se trouve dans une crise existentielle, nous ne le laisserons pas sombrer. Nous ferons vivre le meilleur de ce que la culture européenne a produit, aujourd’hui enseveli sous les bulles d’une contre-culture décadente et la barbarie des nostalgiques, et le mettrons à contribution pour bâtir le Nouveau Paradigme !
Nous vivons sans aucun doute le moment le plus dangereux que l’espèce humaine ait jamais connu, car nous sommes extrêmement proches de l’extinction de notre espèce sur cette planète, ce qui serait la conséquence d’une guerre nucléaire mondiale. Et contrairement à la propagande des grands médias transatlantiques, ce danger ne résulte pas de la « guerre d’agression non provoquée lancée par la Russie » ni des « desseins impériaux de plus en plus agressifs de la Chine », mais du jeu avec le feu nucléaire auquel se livrent sans scrupules les forces transatlantiques, tout en cherchant par tous les moyens à imposer leur domination unipolaire sur un monde depuis longtemps orienté vers une direction multipolaire.
Alors que les grands médias sont unanimes à qualifier de « sympathisant de Poutine » quiconque ose penser que l’histoire n’a pas commencé le 24 février 2022, tandis que l’OTAN et le gouvernement américain financent des organisations qui dressent des listes noires, mettant ainsi en péril la vie des personnes qui y figurent, les nations du Sud mondial ont adopté une vision indépendante des choses.
On ne peut mettre en doute l’extension de l’OTAN vers l’Est, se rapprochant en six étapes de plus de mille kilomètres des frontières russes, malgré les promesses contraires, pas plus que les efforts de l’alliance de défense de l’Atlantique Nord pour s’étendre dans la région indopacifique, se muant en OTAN globale.
Mais surtout, les représentants de « l’ordre basé sur des règles » ont franchi le Rubicon en exigeant de plus en plus ouvertement, avec une arrogance sans bornes, que le monde entier se soumette à leurs intrigues et à leurs nouveaux trafics d’indulgence (taxe carbone, échange de quotas d’émission de CO2, etc.), dans l’espoir de prolonger encore un peu l’existence d’un système financier néolibéral en faillite. Nous assistons à un changement d’époque, non pas du genre évoqué par le chancelier Scholz le 24 février 2022, se résumant à une Europe militarisée sous protectorat des États-Unis, mais bien à la fin d’environ 500 ans d’une ère coloniale dont les États du Sud planétaire sont déterminés à se débarrasser définitivement, avec l’aide de la Chine et de son Initiative Ceinture et Route.
Ainsi, le président Ramaphosa a récemment demandé à Paris, lors du sommet financier international, que la communauté internationale finance le barrage d’Inga. « Réalisons-le et nous croirons alors que vous êtes sérieux dans les promesses que vous faites…Selon les estimations, le barrage coûterait 80 milliards et produirait au moins 42 gigawatts d’électricité, ce qui aurait un effet absolument révolutionnaire sur l’approvisionnement en énergie de tout le continent et sur son économie. »
Plus de 30 nations sollicitent leur adhésion aux BRICS, qui comprendront alors les pays les plus peuplés du monde. La tentative, principalement menée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, de « se découpler » de la Chine ou de « dé-risquer » (pour reprendre l’expression absurde en vogue aujourd’hui) leurs relations avec ce pays auquel ils sont inéluctablement liés, ne peut conduire qu’à un suicide économique ou à la formation tout aussi suicidaire de blocs géopolitiques, portant les germes d’une autre guerre mondiale.
Face à ce basculement tectonique du pouvoir, qui se produit au maximum une ou deux fois par millénaire, les nations européennes - mais aussi l’Amérique - doivent décider si elles veulent coopérer de manière productive avec ce nouvel ordre mondial émergent ou aller vers un affrontement total, aux côtés de l’OTAN, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, dans une tentative d’opprimer la majorité de l’espèce humaine. Notre choix entre ces deux options sera également le test de notre aptitude morale à survivre : sommes-nous capables, en tant qu’êtres rationnels, de nous doter, avec les États du Sud, d’un ordre qui garantisse notre coexistence à tous et qui, comme le dirait Leibniz, permette le bonheur des générations futures ? Ou sommes-nous des mitraillettes humaines sans âme, haineusement tournées vers la destruction de l’adversaire supposé ?
Il ne s’agit pas là d’une question académique, comme viennent de le démontrer les quatre jours du sommet annuel de l’OTAN à Vilnius. Le gouvernement hongrois y a fait savoir à juste titre qu’il n’était pas question d’accepter l’Ukraine dans l’OTAN tant que la guerre durerait, ce qui va de soi. Cependant, les deux principaux cercles de réflexion berlinois proches du gouvernement, la Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP) et la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), ont récemment présenté les garanties de sécurité possibles pour l’Ukraine en dehors d’une adhésion formelle à l’OTAN. Même s’il ne s’agit que d’idées émanant de groupes de réflexion, et pas nécessairement de la politique du gouvernement de Berlin, ces documents méritent la plus grande attention, car leurs auteurs sont typiques des soi-disant « experts » qui s’expriment à longueur de temps dans les médias et influencent ainsi l’opinion publique.
Il n’y a pas qu’en France que l’on commence à s’inquiéter de voir l’Allemagne renoncer totalement à sa souveraineté (qui n’a jamais été bien vaillante), comme l’a montré l’absence de réaction de Berlin au sabotage du gazoduc Nord Stream.
Il faut maintenant tenir compte du fait que le SWP, qui conseille entre autres le gouvernement, le Bundestag, l’UE, l’OTAN et l’ONU, a été créé à l’initiative du BND (Service de renseignement extérieur), qui, lors de sa fondation sous l’égide de l’occupant américain en 1962, accueillit du personnel du service de renseignement militaire Fremde Heere Ost et de l’organisation Gehlen. Le SWP a d’abord eu son siège à Ebenhausen, une localité proche de Pullach, siège du BND. La DGAP, beaucoup plus importante (2800 membres), a été fondée dès 1955 en collaboration avec et sur le modèle du US Council on Foreign Relation et du Royal Institute for International Affairs britannique (Chatham House). Dans un document du SWP daté du 29 juin 2023, sous le titre : « Du soutien ad hoc aux garanties de sécurité à long terme en tant que membre de l’OTAN », on peut lire qu’en dehors d’une adhésion complète à l’OTAN, il existe deux options qui garantiraient réellement la sécurité de Kiev. La première consisterait à « démilitariser » la Russie en réduisant ses forces armées et son industrie de l’armement à un niveau qui ne lui permettrait plus aucune opération « offensive ». Cela ne serait possible que par des « chocs externes », une défaite sans équivoque de l’armée, un renoncement des dirigeants à la « conception néo-impériale de leur rôle », ce qui nécessiterait un changement de régime, et la dénucléarisation simultanée du potentiel militaire russe, ce qui est toutefois « actuellement irréaliste ». La deuxième option consisterait pour l’Ukraine à se doter elle-même d’un arsenal nucléaire. Dans ce cas, la DGAP a fourni une autre option qui circule sous le nom de « hérisson », symbole d’un armement massif de l’Ukraine, une super-armurerie pour ainsi dire, qui devrait dissuader toute attaque future. En fait également partie la variante proposée par le président de la Commission de la défense britannique, Tobias Ellwood, qui prévoit le soutien d’une coalition de bonnes volontés et d’une force d’intervention puissante, une Joint European Defense Initiative (JEDI). Le groupe allemand Rheimetall a déjà annoncé son intention de construire en Ukraine une usine de chars moderne et d’autres fabriques d’armes. Pendant ce temps, les entreprises d’armement américaines Grumman, Raytheon et Lockheed Martin ont financé des réceptions au champagne à l’ambassade ukrainienne à Washington, notamment pour célébrer le protocole d’accord que le plus grand prestataire de services financiers du monde, BlackRock (qui gère une fortune de 10 000 milliards de dollars), a conclu avec le gouvernement ukrainien. JEDI ne doit donc qu’aider à faire le pont, l’adhésion à l’OTAN étant indispensable à long terme. L’objectif est d’ancrer irrévocablement l’Ukraine dans les structures euro-atlantiques. La priorité est donc d’expliquer de manière proactive à la population ukrainienne « le sens, le but et les objectifs » d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et d’agir contre certaines institutions qui prétendent appartenir à la société civile mais sont en fait contrôlées par l’Etat russe. (Ce n’est pas notre cas, pour information !)
Quel cauchemar ! L’Ukraine, en grande partie détruite, doit être transformée en pays surarmé, en « hérisson » – ou plutôt en vache à lait perpétuelle pour le complexe militaro-industriel des deux côtés de l’Atlantique, dans un conflit « gelé » pouvant être réactivé à tout moment. Ce serait un franchissement permanent des lignes rouges de la Russie, qui doit entre-temps être « ruinée » (selon Mme Baerbock), ou durablement affaiblie (Lloyd Austin, RUSI, Jeans Stoltenberg, etc.).
Pas la moindre pensée de mettre fin à la guerre par la diplomatie, d’entamer des négociations de paix ou d’offrir une vision positive pour la population ukrainienne, et encore moins d’instaurer un ordre de paix pour le monde entier ! Quel esprit laid et destructeur se dégage ici, aucune émotion humaine n’influence la pensée, froide comme un robot guidé par un algorithme vermoulu !
Mais l’arrogance d’appartenir au camp des « bons », et donc de pouvoir proposer impunément les choses les plus horribles, rend également aveugle. La réalité n’est pas du tout que l’économie russe s’effondre, bien au contraire. La croissance économique s’élevait en mai à 5,4 %, alors que l’Allemagne est officiellement en récession. Contrainte par les sanctions, la Russie a dû reconstruire à son avantage de nombreux secteurs de production sur son propre territoire et réorienter le commerce en panne, de l’Occident vers l’Asie, où se joue de toute façon la musique de l’économie mondiale. Le secteur financier transatlantique, quant à lui, est assis sur une bulle de deux millions de milliards de contrats de produits dérivés en suspens (soit un 2 suivi de 15 zéros), c’est-à-dire en fin de compte un endettement désespéré du système. Les banques centrales, apparemment désorientées, oscillent entre QE et QT (assouplissement et resserrement quantitatif).
Mais c’est Josep Borell, haut-représentant de l’UE pour la politique étrangère, qui a tiré la sonnette d’alarme en déclarant lors d’un récent discours à l’Académie diplomatique européenne de Bruges que l’Europe était un jardin, tandis que le reste du monde était en grande partie une jungle susceptible d’envahir ce jardin.
Cette vision ne peut susciter beaucoup de sympathie chez les peuples d’Asie, dont certains ont une culture vieille de 5000 ans et qui, avec les autres pays du Sud, sont depuis longtemps en train de mettre en place un nouvel ordre économique mondial (et qui considèrent désormais M. Borrell comme un bouffon que l’on n’a plus forcément envie de recevoir), ni chez les entreprises allemandes, dont près de la moitié quittent en hâte le pays à cause de la mauvaise gestion de leur gouvernement et d’un prix de l’énergie devenu inabordable.
Cette comparaison de jardinage totalement déplacée nous rappelle la dixième scène de l’acte II du Don Carlos de Schiller, lorsque le marquis de Posa, qui se considère comme un citoyen du monde et qui a à cœur de libérer les Flandres du joug espagnol, se retrouve face au roi Philippe II, le souverain absolu de l’Espagne, le « royaume dont on disait alors que sur lui, ‘le soleil ne se couche jamais’ ».
Philippe dit ici de façon très similaire :
« Regardez autour de vous dans mon Espagne. Le bonheur du citoyen y fleurit dans une paix sans nuage ; et ce repos, je l’offre aux Flamands. »
Et Posa répond :
« Le repos d’un cimetière ! Et vous espérez (...) arrêter le printemps universel qui rajeunit la face du monde ? Seul dans toute l’Europe, vous voulez vous jeter au-devant de cette roue des destinées du monde qui poursuit incessamment son cours ? (...) Vous ne le ferez pas ! »
En Allemagne, par exemple, la majorité absolue de la population n’a plus confiance en son gouvernement et selon les derniers sondages, 79 % sont mécontents de sa politique. Ici, en France, nous avons récemment vu ce qu’il en était du tissu social dans ce « jardin ». Aucun mur ne serait assez haut pour le protéger, Monsieur Borrell ?
Eh bien, voyons à quoi ressemblent ces murs aux frontières extérieures de l’UE : le pape François a qualifié à juste titre les centres d’accueil pour réfugiés, dans les pays riverains de l’Europe, de camps de concentration, entourés de hauts murs protégés par les barbelés de l’OTAN, et dont les conditions ignobles devraient dissuader les migrants de s’aventurer dans des embarcations de fortune en Méditerranée, devenue depuis longtemps un horrible charnier.
Non, Monsieur Borrell, cette Europe n’est pas un jardin, c’est un continent que des dirigeants politiques compétents comme Charles De Gaulle et Konrad Adenauer voulaient sortir des décombres de la Seconde Guerre mondiale pour bâtir un avenir meilleur, et qu’une caste politique totalement décadente, ayant délaissé son devoir de paix, est en train de conduire à une nouvelle catastrophe qui risque de dépasser de loin les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
Et si de vastes parties du monde en dehors de l’Europe peuvent ressembler à une jungle, c’est parce que l’Europe n’a pas développé l’Afrique au cours des siècles passés. Au contraire, des familles bien connues du monde transatlantique ont bâti leur fortune sur le commerce des esclaves, profité du commerce de l’opium ou tirent avantage de cet héritier moderne du colonialisme, l’économie casino, dans laquelle les riches déterminent les règles de notre « ordre fondé sur les règles ».
Ou peut-être que d’autres régions sont des jungles parce que les armées d’intervention transatlantiques s’y sont installées, comme l’OTAN l’a fait en Afghanistan pendant ces 20 ans durant lesquels rien n’a été construit, avant de quitter un pays en ruines. Ou comme en Irak, une nation en pleine modernisation, renvoyée à l’âge de pierre sous les bombardements, et dont Madeleine Albright estimait que la mort de 500 000 de ses enfants était un prix raisonnable à payer pour avoir le droit de continuer à ruiner ce pays. Et on pourrait allonger la liste des raisons qui font que certains pays ne sont pas des jardins, comme la Syrie, le Yémen, la Libye, Haïti, etc.
Mais il y a une solution. Les nations du Sud, dont l’existence vient d’être révélée par le G7 et qui représentent l’écrasante majorité de l’humanité, sont en passe de se débarrasser des chaînes du colonialisme moderne et créent une nouvelle monnaie internationale, de nouvelles banques de développement, un nouveau système de crédit. Plus de 30 pays ont demandé à devenir membres des BRICS-Plus. L’OCS, l’UA, l’ASEAN, l’UEEA, le Mercosur et d’autres organisations ont commencé à effectuer leurs échanges commerciaux en monnaies nationales. 151 pays coopèrent avec la BRI de la Chine, qui fête cette année son dixième anniversaire et qui, au cours de cette décennie, a réussi à faire en sorte que le nom de « pays en développement » s’applique aux pays du Sud.
Nous autres, en Europe, et même en Amérique, devons abandonner la tentative, de toute façon condamnée d’avance, d’endiguer l’ascension de ces pays par le découplage ou le « dé-risquage », et substituer la coopération à l’affrontement, qui ne profite qu’au complexe militaro-industriel.
L’Allemagne, la France, l’Italie et toutes les autres nations européennes doivent rejoindre le nouveau paradigme des relations internationales. Nos entreprises, que l’ancien paradigme ruine, peuvent non seulement aider à construire le barrage d’Inga, mais aussi à réaliser le projet Transaqua, qui fournira de l’électricité à 12 autres États africains, et nous pourrions coopérer avec la Chine pour équiper tous les pays du Sud d’un système ferroviaire rapide, construire des ports, des voies navigables, reverdir les déserts par le dessalement à grande échelle de l’eau de mer, construire de nouvelles villes.
Et pendant que nous y sommes, nous pourrions aussi rénover nos propres infrastructures vétustes, au lieu d’enrichir l’industrie de l’armement et d’appauvrir la population, réparer les écoles, remettre en route le système de santé, intensifier la coopération internationale sur le projet de fusion ITER via un crash programme, afin de parvenir plus rapidement à l’exploitation commerciale de l’énergie de fusion, nous épargnant toute la pollution de l’environnement et la destruction des paysages avec ces innommables éoliennes. Et nous pourrons reconstruire l’Ukraine en tant que pont entre l’Europe centrale et la Russie dans le cadre de la Nouvelle Route de la soie.
Nous nous engageons à mettre l’Europe - et l’Amérique - sur cette voie. Rappelons-nous ce que Posa a dit au roi Philippe, et que nous, avec Schiller, disons aujourd’hui aux nombreux Borell :
"Abandonnez cette apothéose contre nature qui nous anéantit ! (…) Vous voulez planter pour l’éternité et vous semez la mort. Cette œuvre de contrainte ne pourra survivre à celui qui l’a entreprise. (...). Donnez-nous ce que vous nous avez pris. Soyez généreux comme le fort, et laissez le bonheur tomber de vos mains, laissez les esprits mûrir dans votre large édifice. Rendez-nous ce que vous nous avez pris ; devenez, parmi des millions de rois, un roi ! »
Nous n’avons plus besoin de rois aujourd’hui, mais en modifiant les mots de Posa, nous pouvons dire : « Faites fleurir un jardin parmi des millions de jardins ! »