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Entretien avec S.E. Vadim Loukov, ambassadeur itinérant de la Fédération de Russie, sous-sherpa russe au sein des BRICS

6 juillet 2015

Nous reprenons ici, les propos de Vadim Loukov publiés dans la revue Outre-Terre (n°42), avec l’aimable autorisation de Christina Kisling qui les a recueillis.

Outre-Terre : La Russie assure désormais la présidence des BRICS. Quelles sont vos perspectives ? Quelles seront les initiatives d’envergure ?

Vadim Loukov : La présidence russe au groupe BRICS démarre en avril 2015 et repose sur des fondements solides établis ces dernières années par nos prédécesseurs. Je tiens à souligner tout particulièrement le rôle de la présidence brésilienne qui a permis la signature des accords portants sur la création de la Nouvelle banque de développement et du Fonds commun de réserves de change. Ainsi une base financière et institutionnelle importante a été créée pour assurer le développement à venir des BRICS. Les ressources cumulées de la banque et du Fonds atteignent 200 milliards de dollars, ce qui classe les BRICS parmi les grands acteurs de la finance internationale.

La partie russe compte poursuivre le renforcement des positions des BRICS dans le domaine économique et financier. En ce moment nous sommes en train de négocier le projet de Stratégie de partenariat économique jusqu’en 2020, celle-ci étant appelée à coordonner les axes majeurs de la coopération dans plus d’une quinzaine de secteurs de l’industrie, de l’agriculture et des infrastructures. En outre, nous travaillons concomitamment sur la feuille de route de la coopération en matière d’investissements, qui doit rassembler les projets concrets d’investissements capables de servir de références aux gouvernements des BRICS, ainsi qu’à leur Conseil des représentants des milieux d’affaires et leur Forum banquier. La partie russe a déjà proposé en ce qui concerne cette feuille de route quelque 37 projets d’envergure dans les domaines de l’énergie, des hautes technologies et des télécommunications.

En outre, la Russie propose aux partenaires de développer la coopération dans de nouveaux domaines comme l’industrie extractive, l’efficience énergétique ou bien le développement durable. Nous voulons privilégier le facteur complémentarité de nos économies, de nos marchés et de nos ressources naturelles. Un chiffre parle de lui-même : le marché intérieur des BRICS c’est presque trois milliards de consommateurs.

O.-T. : Une coopération entre les BRICS des organisations régionales comme l’Organisation de coopération de Shanghai pourrait-elle introduire un contre-pouvoir dans l’ordre économique mondial ?

V. L. : Parfois on peut entendre les journalistes et hommes politiques occidentaux se plaindre des BRICS qui constitueraient quasiment une menace pour l’ordre économique international. Bizarrement personne ne pose cette question lorsqu’il s’agit des zones de libre-échange créées par les États-Unis, l’Union européenne et certains pays du Pacifique. Ces zones où ne sont admises ni la Russie ni la Chine et dont le fonctionnement n’est pas transparent du tout.

En réalité les BRICS, avec leur coopération au sein des structures régionales africaines, latino-américaines ou eurasiatique, traduisent une tendance naturelle à la transformation du système économique international. Un système qui résulte des mutations fondamentales dans l’économie mondiale après l’émergence de tout un groupe de nouvelles économies. Ceci étant, les pays BRICS ne cherchent point à constituer une sorte de « contrepoids collectif » à qui que soit. Nous vivons dans un monde interdépendant et toute tentative de « mener son jeu économique au détriment de qui que ce soit » serait préjudiciable pour tous les acteurs. L’histoire des sanctions économiques et financières contre la Russie le prouve d’une façon éloquente. L’échange de sanctions et de contre-sanctions touche les économies de tous les participants. La politique des sanctions est un fardeau pour la croissance économique mondiale et pas seulement par rapport à la situation en Russie.

Les partenaires BRICS ont plus d’une fois démontré leur volonté de coopérer dans le domaine économique et financier avec les pays développés. On peut le constater tout particulièrement au sein du « G20 ». Depuis le sommet de Pittsburgh toutes les décisions clés adoptées par le groupe sont le fruit de compromis entre les économies développées et les marchés émergents. D’autre part, les partenaires occidentaux devraient enfin reconnaître le bien-fondé des exigences des BRICS, qu’il s’agisse de la réforme du FMI ou du soutien à un système de commerce international fondé sur des règles.

O.-T. : Quelles sont les perspectives d’avenir de la Nouvelle Banque de développement des BRICS ?

V. L. : Conformément à son statut la Nouvelle banque de développement (NBD) devra se concentrer sur le financement des grands projets dans le domaine des infrastructures et du développement durable. Nous estimons qu’au cours de la présidence russe on devra créer la structure organisationnelle de la banque, y compris son directoire et le « noyau dur » des professionnels de la finance, et initier la formation de son capital social (le capital partagé de la banque sera de 50 milliards de dollars, soit 10 milliards par actionnaire). La banque sera appelée à coopérer avec les instituts financiers des pays membres, avec les banques privées et avec les organisations financières internationales. Sans exclure un éventuel élargissement du groupe des actionnaires à d’autres pays ou à d’autres organisations financières internationales.

O.-T. : La Russie a proposé aux partenaires BRICS (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud) de créer une association énergétique et une banque de combustibles de réserve. Quelle est ici la vision russe ?

V. L. : Nous espérons que la coopération dans le domaine de l’énergie aura de vastes perspectives au sein des BRICS. Vu leurs réserves énergétiques cumulées et l’importance de leur marché énergétique, les BRICS peuvent devenir un acteur à l’échelle de la planète. Nos propositions portant sur la création de l’Association énergétique et de la Banque de combustibles de réserve visent à assurer la stabilité du fonctionnement des complexes énergétiques de tous les pays membres. La partie russe est actuellement en train de mettre au point tous les détails de ces propositions qui seront ensuite soumises à nos partenaires.

Une autre voie prometteuse de coopération dans le domaine de l’énergie serait de coordonner nos positions dans les organisations spécifiques. Les pays BRICS estiment que « l’architecture » de la coopération énergétique internationale doit être réformée. Sa forme actuelle ne reflète pas les rôles changés des « nouvelles économies » et des pays émergents dans la production et la consommation de l’énergie.

O.-T. : Face aux BRICS, la Russie détient tout une palette de compétences – nucléaire, électronucléaire, transport d’énergie électrique, etc. – avec un souci des évolutions de ses spécialités, ce qui est très appréciable dans un partenariat.

V. L. : Chacun des partenaires BRICS veut apporter au « panier commun » les capacités économiques qui pourraient intéresser les cinq pays membres. Chacun privilégiant naturellement ses intérêts nationaux. D’ailleurs tous les acteurs économiques d’autres organisations agissent de la même façon.

Vous avez raison, au sein des BRICS la Russie a des positions fort avancées dans tous les domaines que vous avez énumérés. Il faudrait y ajouter les technologies de communication par satellite, les levés télémétriques de la surface terrestre, l’exploration de l’espace. Ce n’est pas un hasard si un des projets que les sociétés russes ont l’intention de réaliser au sein des BRICS concerne l’exploitation sur bases multilatérales du système russe de navigation par satellite GLONASS. Je suis certain qu’une bonne dizaine de rencontres ministérielles prévues dans le cadre de la présidence russe contribueront à analyser minutieusement tout le potentiel de notre coopération économique, scientifique et technique. Nous attendons que ce travail aboutisse à l’établissement des conditions pour une percée qualitative de la coopération tous azimuts entre les pays BRICS.

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