« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Dénonçons le coup d’Etat silencieux contre la Grèce

Stélios Kouloglou

18 juin 2015

Voici la transcription de l’intervention de Stélios Kouloglou, lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller les 13 et 14 juin 2015 à Paris.

Depuis son élection en janvier, le gouvernement grec doit affronter un coup d’Etat qui se déroule en silence. Le but en est de renverser le nouveau gouvernement. De le remplacer par un gouvernement docile aux créanciers et en même temps de décourager les électeurs « rêveurs » de l’Espagne ou d’autres pays, qui croient encore à la possibilité de gouvernements opposés au dogme germanique de l’austérité. On tue un gouvernement, on assassine l’espoir.

La situation rappelle le Chili du début des années ’70, lorsque le président américain Richard Nixon s’employa à renverser Salvador Allende pour empêcher des débordements similaires ailleurs dans l’arrière-cour américaine. « Faites hurler l’économie ! » fut l’ordre du président américain à la CIA et à ses autres services, avant que les chars du général Augusto Pinochet ne prennent la relève...

En 1970, les banques américaines ont arrêté les crédits vers les banques chiliennes. Une semaine après les élections du janvier 2015, M. Draghi président de la Banque centrale européenne, a coupé, sans la moindre justification, la principale source de financement des banques grecques, remplacée par l’Emergency Liquidity Assistance (ELA), un dispositif plus coûteux devant être renouvelé chaque semaine. Comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des dirigeants grecs.

Et après l’épée de Damoclès il y a aussi la drogue.

Plus de 90 % des versements de nos créanciers leur reviennent pourtant directement -parfois dès le lendemain ! - puisqu’ils sont affectés au remboursement de la dette.
Mais, comme le non-remboursement de la dette équivaut à un « événement de crédit », à savoir une sorte de banqueroute, le déblocage de la dose est une arme très puissante dans les mains des créanciers, un moyen de chantage politique permanent.

Pendant cette guerre non déclarée, d’autres armes économiques sont aussi utilisées, comme les agences de notation. C’est un coup d’Etat moderne, comme on dit en anglais : not with the tanks, but with the banks.

Les médias ont aussi été utilisés pour attaquer le gouvernement, pour évoquer le spectre du Grexit (sortie de la Grèce de la zone euro) ou provoquer la panique. A la tête de l’offensive, on retrouve le journal Bild qui, en 2010, avait inauguré les « Unes » fracassantes dénonçant la « paresse » et la « corruption » des Grecs, invités à vendre des îles pour se désendetter. Ce même Bild publiait un pseudo reportage sur une panique bancaire à Athènes, n’hésitant pas à utiliser une photo banale où des retraités font la queue devant une banque pour toucher leur retraite.

De plus, les médias ont diffusé la théorie du sauvetage de la Grèce, tandis qu’en réalité, par les prêts accordés en Grèce en 2010, ce sont plutôt les banques françaises et allemandes qui ont été sauvées. Ces prêts avec, au début, un taux d’intérêt trop élevé, ont été présentés à l’opinion publique internationale et allemande comme une aide gratuite offerte aux « paresseux » et « corrompus ».

Voyez ce qui se passe en réalité. D’après Libération, depuis 2010, la France a peut-être gagné jusqu’à 2 milliards d’euros grâce à ces intérêts. Même l’Autriche, avec sa faible participation, a gagné 100 millions d’euros jusqu’à maintenant, d’après son gouvernement.
Pourtant, l’opinion publique allemande joue l’innocence. Il n’y a que quelques émissions humoristiques. C’est la façon par laquelle ils osent dire la vérité.

On nous accuse de ne pas vouloir faire passer de réformes. Mais, c’est nous qui, plus que personne, voulons faire passer des réformes. De vraies réformes, pas du chaos.

Ce qu’on exige de la Grèce, c’est l’application de la recette néolibérale. Chacun avec son obsession : les « idéologues » du FMI demandent la dérégulation du marché du travail ainsi que la légalisation des licenciements de masse, qu’ils ont promises aux oligarques grecs, propriétaires des banques. La Commission européenne, autrement dit Berlin, réclame la poursuite des privatisations susceptibles d’intéresser les entreprises allemandes (et cela, au moindre coût). Dans la liste interminable des ventes scandaleuses, se distingue celle effectuée par l’Etat grec en 2013, de vingt-huit bâtiments qu’il continue d’utiliser. Pendant les vingt années qui viennent, Athènes devra payer 600 millions d’euros de loyer, presque le triple de la somme qu’on a touchée grâce à la vente (et qui est directement revenue aux créanciers) !

Le gouvernement d’Athènes continue à jouir d’une grande popularité, malgré ses concessions : ne pas arrêter, comme promis, les privatisations décidées par le gouvernement précédent, ajourner l’augmentation du SMIC, augmenter la TVA.

Mais, en fin de compte, la question qui se pose est plutôt politique. Les élections ont-elles donc du sens, si un pays respectant l’essentiel de ses engagements n’a pas le droit de modifier sa politique ?

La tragédie grecque met en avant le besoin d’un cadre nouveau pour les relations internationales. Un cadre respectant la démocratie, la souveraineté et la dignité nationales de chaque pays, tout en favorisant les relations et les accords économiques qui ne feront pas allusion à la colonisation. Un cadre profitable à tous les acteurs concernés. Récemment, le gouvernement grec a annoncé qu’il solliciterait la participation de la Grèce à la nouvelle Banque des BRICS et que cette demande a déjà été acceptée positivement de la part de la Russie.  Dans ce climat surchargé de menaces et d’ultimatums, c’est vraiment une bouffée de soulagement et d’optimisme pour l’opinion publique grecque.

En position d’infériorité, le gouvernement athénien, abandonné par les forces au soutien desquelles il aspirait, telles que le gouvernement français, ne peut revendiquer la solution du problème majeur auquel le pays est confronté : une dette intolérable. La proposition d’organiser une Conférence internationale, comme celle de 1953 qui soulagea l’Allemagne de la plus grande partie des réparations de guerre, ouvrant la route au miracle économique, a été noyée dans une mer de menaces et d’ultimatums.

Les créanciers veulent qu’il ne reste que deux options au gouvernement de M. Tsipras : se laisser étrangler financièrement s’il persiste à vouloir appliquer son programme ou renier ses promesses et tomber, abandonné par ses électeurs.

Je peux vous assurer que nous résisterons. On ne va pas être soumis.
 
Je ne sais pas ce qui va se passer, mais un excellent article récent de Serge Halimi, paru dans Le Monde diplomatique, nous a fait penser à l’avenir et à la dimension historique de la bataille. Halimi écrivait alors, à propos de la Grèce :

« Et l’avenir fait penser à ce qu’écrivait la philosophe Simone Weil à propos des grèves ouvrières de juin 1936 en France : « Nul ne sait comment les choses tourneront. (…) Mais aucune crainte n’efface la joie de voir ceux qui toujours, par définition, courbent la tête la redresser. (…) Ils ont enfin fait sentir à leurs maîtres qu’ils existent. (…) Quoi qu’il puisse arriver par la suite, on aura toujours eu ça. Enfin, pour la première fois, et pour toujours, il flottera autour de ces lourdes machines d’autres souvenirs que le silence, la contrainte, la soumission. » Le combat des Grecs est universel. Il ne suffit plus que nos vœux l’accompagnent. La solidarité qu’il mérite doit être exprimée par des actes. Le temps est limité. »

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