« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
Accueil > Notre action > Conférences > Le 75ème anniversaire de la victoire contre le nazisme > Les discours de la conférence
75e anniversaire de la Victoire du 8 mai 1945
18 mai 2020
Jacques Cheminade, président de Solidarité et Progrès, ancien candidat à l’élection présidentielle
Je vous salue tous avec une grande espérance. J’aimerais ajouter quelque chose à nos réflexions, afin de jeter par-dessus bord certains préjugés et de soulever la question de notre « communauté de principe » pour définir notre avenir et au-delà.
La défaite du nazisme et du fascisme ne pourra jamais être oubliée, et les successeurs de ceux qui étaient alors unis dans un combat commun devraient aujourd’hui élever leur conscience politique au niveau qui permit cette victoire. C’est pourquoi je trouve essentiel, pour la compréhension de notre passé commun et surtout pour la réalisation de notre avenir, de soulever la question, trop souvent mal comprise, des relations qui furent celles de la France libre de Charles de Gaulle avec l’administration américaine et le président Franklin Roosevelt, pendant la Seconde Guerre mondiale.
J’ai d’ailleurs écrit un article sur cette question - de Gaulle et Roosevelt - et sur notre sécurité commune au nom de notre avenir commun. Lyndon LaRouche a écrit avec moi (c’est lui qui en a écrit la majeure partie, mais nous avons eu de nombreuses discussions à ce sujet) un livre intitulé La France après de Gaulle (1981). Il existe une « légende noire » sur les relations entre Roosevelt et de Gaulle, dont nous devons dissiper les nuages inutiles et maléfiques. Selon cette légende, Roosevelt et de Gaulle se détestaient, au point de se considérer comme des ennemis. De nombreux Américains disent que Roosevelt considérait de Gaulle comme un « proto-fasciste anti-américain », et de nombreux Français prétendent que Roosevelt était un « impérialiste américain cherchant à s’emparer du monde ». Il est essentiel de s’élever au-dessus de ces querelles vulgaires, mesquines et subalternes. De Gaulle et Roosevelt ont non seulement combattu ensemble pour la même cause, mais ils ont tous deux surmonté les préjugés et les stéréotypes de leur époque et de leur environnement social. Il est vrai qu’ils étaient en désaccord sur de nombreux points pendant la guerre. J’en mentionnerai deux, tout en montrant comment ils furent résolus à un niveau supérieur.
Premièrement, lorsque Roosevelt et Churchill décidèrent de se rencontrer à Casablanca, en janvier 1943, dans ce qui était alors un protectorat français, le Maroc, de Gaulle était furieux parce que cette décision avait été prise sans demander à la France son accord. Il accepta néanmoins de se rendre à Casablanca pour y rencontrer Roosevelt. A l’issue de cette rencontre, Roosevelt déclara que de Gaulle était peut-être un type insupportable, mais qu’il était aussi patriote que tous les Français de l’époque.
Deuxièmement, lorsque les GI américains débarquèrent en France, de Gaulle était à nouveau furieux (il l’était souvent), parce qu’il n’en avait pas été informé. Et il explosa en découvrant que l’administration américaine prévoyait d’instaurer en France un gouvernement militaire (l’Allied Military Government for Occupied Territories, ou AMGOT) doté d’une monnaie créée pour l’occasion (l’AM-Franc), comme si la France n’avait pas de gouvernement établi - son gouvernement, pensait de Gaulle, celui de la France libre. La question fut résolue lorsque Roosevelt et Eisenhower autorisèrent, en août 1944, les Forces françaises libres de De Gaulle à entrer les premières dans Paris.
La plupart des divergences entre de Gaulle et Roosevelt furent résolues parce qu’ils les mirent de côté l’un et l’autre. De Gaulle comprit qu’un certain réseau franco-américain avait tenté d’empêcher ou de saboter toute possibilité de rencontre entre le président Roosevelt et lui-même. Roosevelt comprit que ses services - principalement à l’époque au Département d’État, ou des individus comme Robert Murphy, consul général des Etats-Unis à Alger, et surtout, bien sûr, Winston Churchill lui-même - voulaient le mettre en opposition avec de Gaulle. Il comprit aussi que le peuple américain considérait de Gaulle comme le véritable représentant de la nation française. De Gaulle, qui rencontra Roosevelt à trois reprises entre le 6 et le 9 juillet 1944, déclara que si chacun représentait les intérêts de sa nation respective, ils ne ressentaient aucune hostilité l’un envers l’autre et étaient, au contraire, attachés à des valeurs communes. Après la mort de Roosevelt, de Gaulle souligna que « s’il avait vécu plus longtemps, une fois la guerre gagnée, nous aurions certainement eu le temps d’avoir un long dialogue. Et je suis sûr qu’il aurait compris et apprécié les raisons qui guidèrent nos actions en tant que chef de la France et chef des États-Unis ».
Après la mort de Roosevelt, sa politique sera abandonnée et de Gaulle écarté. En juillet 1955, de Gaulle déclara à Douglas Dillon, l’ambassadeur américain à Paris : « Je me rappellerai toujours de mes difficultés avec le président Roosevelt. Et rétrospectivement, je considère que nous avions tous deux raison. » Et il ajouta plus tard : « S’il [Roosevelt] avait vécu plus longtemps, l’histoire du monde aurait été si différente. » De Gaulle avait toujours une photo dédicacée de Roosevelt sur son bureau, à La Boisserie.
Il y a au moins quatre leçons à tirer de ces moments décisifs. Premièrement, il faut toujours défendre la cause de sa nation, quels que soient ses sentiments personnels ou ses inclinaisons temporaires sur les personnes. Non pas comme une chose en soi, mais comme un engagement pour un avenir meilleur et plus humain pour l’humanité entière.
Deuxièmement, ne faites jamais confiance aux services qui tentent de vous flatter ou de vous embrouiller. Roosevelt avait raison de craindre l’amateurisme et le manque de fiabilité des services français, fortement soumis à l’influence britannique. De Gaulle les craignait également. Roosevelt méprisait les intrigues qui l’entouraient et les penchants de la bureaucratie du département d’État ; de Gaulle aussi. Les pires ennemis se trouvent parfois à l’intérieur de votre propre gouvernement, comme on l’a déjà dit. Les dernières tentatives d’assassinat contre de Gaulle dans les années 1960 en sont la preuve.
Troisièmement, n’abandonnez jamais le combat et n’oubliez jamais que votre mission est de gagner, pour la cause de votre nation, du monde, de l’humanité et de la créativité humaine. Ne vous identifiez jamais à la défaite, quitte à passer pour « une tête de mule », continuez ! Pourquoi est-ce si important aujourd’hui ? Parce que de Gaulle et Roosevelt ont quelque chose de très profond en commun : tous deux étaient guidés par leur mission, contre toute attente, et n’étaient pas, comme les hommes politiques d’aujourd’hui, des animaux de cirque. Et parce qu’ils nous ont appris à mettre de côté les questions mesquines et à faire de notre mieux, au profit de l’autre, et, plus profondément, à pratiquer la méthode de la coïncidence des opposés (coincidentia oppositorum), comme l’ont développé Nicolas de Cuse et Helga Zepp-LaRouche, pour atteindre un niveau plus élevé permettant de dépasser les conflits géopolitiques apparents, ce qui est la condition même de politiques créatives.
Quatrièmement, qu’il ne faut jamais faire confiance à ceux qui veulent nous détourner de notre mission – diviser pour régner, ce que Churchill a toujours essayé de faire (il avait malheureusement un don pervers pour faire de mauvaises choses). Regardons toujours au-dessus de la mesquinerie de l’Empire britannique. C’est un piège, et c’est le dernier dont nous devons nous débarrasser. Souvenez-vous de ce qu’avait dit Churchill à propos de la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’on lui demandait quels avaient été ses pires moments, il répondit : « La croix la plus lourde que j’ai dû porter, c’est la Croix de Lorraine. »
Pour gagner notre avenir, nous devons le regarder comme si nous y étions déjà, inspirés par ceux qui, dans notre passé, nous ont donné un avenir. C’est ce que fit Roosevelt en 1933, avec la loi Glass-Steagall, et ce que de Gaulle fit également en 1945. C’est ce que fit Kennedy, dans la crise des missiles de Cuba (de Gaulle fut alors le premier à le soutenir). Ne pensez jamais que Roosevelt était anti-français ou que de Gaulle était anti-américain.
C’est à nous tous, qui en sommes les fils et petits-fils, de nous laisser inspirer par eux et par leur combativité commune, à l’occasion du 75e anniversaire du 8 ou du 9 mai, car c’est aujourd’hui notre avenir même qui est en jeu, comme jamais auparavant. Et comme l’a compris Lyndon LaRouche, nous sommes confrontés à notre destin tragique. Faisons de cette tragédie une opportunité.
Lors de son Appel du 18 juin 1940, son fameux appel depuis Londres, s’adressant à ceux qui étaient désespérés par la défaite française, de Gaulle les exhorta à ne plus l’être. Ce n’est pas un conflit européen, leur dit-il, c’est une guerre internationale de civilisation. La puissance industrielle des États-Unis n’a pas encore donné toute sa force sur le champ de bataille. Nous sommes destinés à vaincre, aidez-moi. Aidez-moi, aidez-moi !
Je devais le dire en ce 9 mai, car nous devons rassembler nos meilleures sources d’inspiration pour nous lever et nous battre. Ayant entre nos mains les contributions amicales, exigeantes, inestimables et exemplaires des écrits et de la vie de Lyndon LaRouche, avec ses idées profondes et son profond engagement émotionnel, nous avons tout cela entre les mains pour créer un creuset universel (un melting-pot), nourrissant l’ensemble, physiquement et moralement.
Tel est notre défi en ce 9 mai.
.