« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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9 novembre 2011
par Helga Zepp-LaRouche
Nous reprenons ici de larges extraits du discours prononcé par Helga Zepp-LaRouche à la conférence de l’Institut Schiller, qui s’est tenue les 13 et 14 février 1999 à Washington. Après avoir exposé son analyse de la situation stratégique, Mme LaRouche s’est penchée sur le type de culture capable de favoriser l’émergence de dirigeants de dimension historico-mondiale, si nécessaires à notre monde en crise. C’est cette partie de son discours que nous reproduisons ci-dessous. En s’appuyant sur La République et le Phédon de Platon, elle opposa la sagesse de Socrate à la mentalité oligarchique qui affecte la plupart de nos élites dirigeantes, pour qui seul le pouvoir compte. Helga Zepp-LaRouche parla aussi longuement de Moses Mendelssohn, le philosophe qui fut à l’origine de la grande renaissance culturelle allemande de la fin du XVIIIème siècle. En remettant au goût du jour les écrits de Platon, Mendelssohn a inspiré toute une nouvelle génération de personnalités d’exception, parmi lesquelles Lessing et Schiller.
Je voudrais mettre l’accent sur une question déterminante pour les Etats-Unis, mais aussi pour les pays en voie de développement - celle de la justice. Je m’appuierai pour cela sur l’exemple européen. (...) Dans notre monde actuel, l’injustice domine. Des milliards de personnes sont privées de leurs droits humains, leur espérance de vie est écourtée faute de biens de première nécessité et le manque d’éducation les prive de la réalisation de toutes leurs capacités humaines.
Le président de la Banque centrale américaine, Alan Greenspan, et d’autres porte-parole du libéralisme sauvage chantent les louanges de la mondialisation - le marché libre, la démocratie, les droits humains seraient les « vaches sacrées » du système actuel.
On pourrait se laisser séduire, si la ruse la plus ancienne de l’oligarchie ne consistait justement à présenter l’injustice comme la plus grande justice. Mon mari, Lyndon LaRouche, dans son essai sur La route vers la reprise, identifie les principes de leadership nécessaires pour sortir l’humanité de la crise actuelle. On les trouve dans le concept de « bon gouvernement » tel que Platon le développe, dans son dialogue La république, comme étant « l’harmonie avec le bien public ». Je voudrais donc étudier de plus près comment Platon traite le « mensonge oligarchique » dans La République, qui est non seulement un traité philosophique d’une grande profondeur, mais aussi une véritable oeuvre d’art. Dans ce dialogue, toutes les questions qui vont être abordées sont d’abord présentées, en germe, dans le premier livre, pour être ensuite élaborées au fil de l’oeuvre. Schiller évoquera quelques siècles plus tard le concept de « moment décisif » qui doit prendre place dans l’exposition et contient, en germe, toutes les idées essentielles au déroulement de la tragédie. C’est comme l’idée du Motivführung (motif générateur) dans la musique classique.
Dès le début du Livre 1, s’instaure une intense discussion sur la justice et l’injustice, chez le sage Céphale où Socrate rencontre des amis, des disciples et d’autres relations. Les remarques de Céphale sur sa mort prochaine permettent d’emblée à Platon d’imposer la gravité nécessaire pour conduire la discussion au niveau adéquat. Nous sommes donc déjà dans le domaine poétique.
Dans la discussion qui suit, le sophiste Thrasymaque, bien connu à l’époque, affirme brutalement que la justice n’est autre que l’avantage du plus fort - c’est l’argument typique d’un oligarque. L’injustice apporte des avantages à ceux qui l’exercent, peu importe si d’autres en souffrent...
Le frère de Platon, Glaucon, demande à Socrate de montrer pourquoi la justice est quelque chose de beau, que tout le monde devrait estimer, aussi bien en soi que pour ses conséquences (357). Glaucon passe en revue tous les préjugés que l’on peut rencontrer sur la nature même de la justice. Ainsi, « ceux qui pratiquent la justice ne le font pas volontairement, mais parce qu’ils la considèrent comme une chose nécessaire et non comme un bien ».
En outre, ils estiment que la vie de l’injuste est bien meilleure que celle du juste. Beaucoup font une distinction entre commettre une injustice, qui est avantageux, et souffrir une injustice, qui est préjudiciable. Et comme « il y a plus de mal à la souffrir que de bien à la commettre », beaucoup sont prêts à accepter des lois et des conventions pour limiter l’injustice. Ainsi, l’origine de la justice serait une sorte de compromis, né de l’impuissance à commettre l’injustice.
Il raconte alors l’histoire d’un homme muni d’une bague qui le rend invisible. Il est alors en mesure de commettre tous les crimes qu’il veut sans se faire prendre. Si un tel homme, malgré ce pouvoir, agissait avec justice, il serait l’objet d’éloges en public, mais serait considéré comme stupide en privé. « Se trouvant mutuellement en présence, ils le loueraient, mais pour se tromper les uns les autres, et à cause de leur crainte d’être eux-mêmes victimes de l’injustice. »
Glaucon propose alors de montrer le juste et l’injuste dans leurs versions les plus extrêmes. Le summum de l’injustice serait alors que l’injuste parvienne à tromper tous ses concitoyens quant à ses méfaits, pour apparaître à leurs yeux comme l’incarnation de la justice. (Qui peut s’empêcher de penser ici à George Soros ou à Henry Hyde [le président de la Commission de la Justice du parlement américain, qui a rédigé l’acte de destitution contre Clinton tout en jurant d’agir pour la cause de la justice et la vérité !]).
Si l’un de ses crimes est découvert et que l’injuste a recours à la violence, alors il fait appel à des amis et à son argent pour se tirer d’affaire. (N’est-il pas surprenant que Platon, il y a plus de 2000 ans, ait si bien connu Henry Hyde ?)
A l’opposé, nous dit Platon, se situe la personne qui, bien que parfaitement juste, offre l’apparence de la plus grande injustice et fait l’objet de diffamation toute sa vie. Nous connaissons bien sûr de telles personnes. LaRouche en est une, les victimes de l’affaire Fruemenschen aussi. (L’affaire Fruemenschen est une sale opération du FBI visant à encourager des élus afro-américains à commettre des délits pour les poursuivre ensuite en justice et les détruire politiquement. ndlr)
Glaucon pose la question de savoir lequel est le plus heureux, de celui qui, voulant se comporter en juste, finira torturé, enchaîné et même cloué au pilori, ou de l’autre qui, cherchant seulement à paraître juste, fait bientôt partie des dirigeants de la cité ? Ceux-ci font des affaires, ont des relations avantageuses, se font de bons profits ; ils n’ont nullement mauvaise conscience devant leur conduite injuste. En raison de leur influence et de leur manque de scrupules, ils sont souvent les gagnants. Ils vont même jusqu’à offrir des sacrifices aux dieux pour donner l’impression que ceux-ci leur accordent plus de faveurs qu’aux justes. C’est pourquoi on dit que l’injuste vit mieux.
Un autre frère de Platon, Adimante, l’avocat du diable, fait alors valoir que l’important, ce n’est pas la justice mais la réputation de justice (364). On dit que la tempérance et la justice sont belles, mais en même temps « difficiles et pénibles ». Au contraire, l’intempérance et l’injustice sont « agréables et d’une possession facile, honteuses seulement au regard de l’opinion et de la loi ».
Les gens sont prêts à honorer les méchants, poursuit Adimante, du moment qu’ils sont riches et puissants, par contre ils « méprisent et regardent de haut les bons qui sont faibles et pauvres », tout en admettant qu’ils sont meilleurs que les autres.
Mais le plus incompréhensible est que même les dieux semblent réserver l’infortune aux hommes vertueux, et le sort contraire aux méchants. Que penser, cher Socrate, de tous ces discours ? Quel effet produisent-ils sur l’âme du jeune « doué d’un bon naturel, qui les entend » et peut en tirer sa propre conclusion ? « Quelle route, demande Adimante, doit-on suivre pour traverser la vie de la meilleure façon possible ? »
Et, aujourd’hui, que répondrait à cela un enfant intelligent ? En parlant récemment avec des jeunes, je leur ai demandé ce qu’ils voulaient faire de leur vie. Ils ont répondu&nsp; : « Le savoir, c’est le pouvoir, donc je le veux. Et l’argent aussi. Si possible, les deux. » Ce n’était pas des jeunes méchants, mais leur réponse est typique de l’effet que la société actuelle produit sur la jeunesse.
Etre juste et apparaître injuste ne vous apporte que des ennuis, poursuit Adimante. Mais être injuste et avoir la réputation de justice vous apporte une vie « divine ». Quand l’apparence l’emporte sur la vérité, mieux vaut garder l’apparence.
Mais, pourrait-on objecter, il n’est pas toujours facile de cacher sa méchanceté. Certes, répond avec ironie Platon, mais « pour ne pas être découverts, nous formerons des associations et des hétairies [sociétés secrètes], et il y a des maîtres de persuasion pour nous enseigner l’éloquence publique et judiciaire. » Aujourd’hui, nous parlerions de publicistes et de directeurs de relations publiques qui, grâce à un mélange de persuasion et de violence, nous permettent d’échapper au châtiment.
Si les poètes, plaide Adimante, décrivent les dieux comme étant « susceptibles, par des sacrifices ou des offrandes, de se laisser fléchir », cela nous encourage à agir injustement tout en leur offrant des sacrifices avec le produit de nos injustices. En langage moderne, on dirait « peu importe que je gagne de l’argent en me livrant à l’usure, au trafic de drogue, à la spéculation ou au trafic d’armes, à condition de faire un don à la Croix-Rouge. Pourquoi devrions-nous donc préférer la justice à l’injustice qui nous assure une réussite parfaite auprès des dieux et des hommes ? ».
Selon Adimante, à part ceux qui s’abstiennent de l’injustice « parce qu’ils ont reçu les lumières de la science, personne n’est juste volontairement. C’est la lâcheté, l’âge ou quelque autre faiblesse qui fait qu’on blâme l’injustice, quand on est incapable de la commettre. » Et il demande à nouveau à Socrate de montrer que la justice est « le plus grand bien de l’âme », et l’injustice le plus grand de ses maux.
Socrate développe alors un contre-argument sur la justice et propose d’élargir la question au niveau de l’Etat. « Peut-être donc, dans un cadre plus grand, la justice sera-t-elle plus grande et plus facile à étudier. Par conséquent, si vous le voulez, nous chercherons d’abord la nature de la justice dans les cités ; ensuite nous l’examinerons dans l’individu. » (368)
S’ensuit une belle description de la naissance d’une cité à partir de la nécessaire division du travail. De là se développe une collaboration entre agriculteurs, charpentiers, tailleurs, etc., entre celui qui construit la charrue et l’agriculteur, qui à son tour produit le coton pour le tailleur, et ainsi de suite. Dans une cité saine, l’adhésion au bien public bénéficie à tout le monde.
A cette cité où tout le monde travaille pour le bénéfice de tous, il oppose l’Etat dit « atteint d’inflammation », où règnent le luxe et la cupidité, sources de transgressions contre les droits d’autrui ou même de cités voisines.
Mais pour comprendre comment la justice et l’injustice arrivent dans la cité, il faut commencer par l’éducation. Doit-on accepter que les enfants écoutent des fables, « forgées par les premiers venus, et recevoir dans leurs âmes des opinions le plus souvent contraires à celles qu’ils doivent avoir, à notre avis, quand ils seront grands ? ».
Notre devons donc d’abord « veiller sur les faiseurs de fables », choisissant les bonnes compositions et rejetant les autres. Pour Platon, il faut surtout blâmer le mensonge et la laideur.
Ceci évoque immédiatement pour nous les bandes dessinées américaines ou les films d’Hollywood. Le Washington Post a récemment consacré un article aux effets produits sur les jeunes par toute une année de tapage médiatique sur la destitution et l’affaire Lewinsky. L’un d’entre eux commentait : « J’ai vraiment perdu toutes mes illusions sur le monde des adultes. A présent, je m’aperçois qu’on ne peut croire personne. Je ne peux pas faire confiance à mes parents, parce qu’ils pourraient faire la même chose. » Et il est vrai que ces républicains du Congrès, avec leur campagne, ont empoisonné l’esprit des adolescents américains, c’est là leur crime.
Puisque, selon Platon, les enfants ne peuvent faire la différence entre événement réel et analogie, et que les impressions qu’ils acquièrent dans leur jeunesse restent généralement intactes et indélébiles dans leur esprit pendant toute leur vie, il est important que les premiers récits qu’ils entendent soient vertueux.
Etonnamment, Platon rejette même les fables d’Homère et d’Hésiode qui décrivent les dieux comme étant en partie jaloux et irrationnels. Même le grand tragédien Eschyle tombe dans cette catégorie, parce qu’il écrit que « "Dieu fait naître le crime chez les mortels quand il veut ruiner entièrement une maison ». Mais si le bien et le mal viennent tous deux des dieux, comment pourrait-on alors absoudre les dieux ?
S’il est vrai qu’Homère, Eschyle et Sophocle furent les nécessaires prédécesseurs historiques de Platon, celui-ci représente néanmoins une véritable percée par rapport à eux. Il est en effet le premier penseur à avoir développé le concept d’idée sous une forme rigoureuse, clairement reproductible. Les tragédiens comme Eschyle ne postulaient pas une compétition barbare entre dieux et mortels mais, d’une certaine manière, la jalousie des dieux à l’égard de l’homme traduit un soutien indirect à l’ordre dominant.
Platon est le premier à concevoir Dieu comme exempt de tout défaut, essence du bien et du bien seulement. Il ne participe aucunement aux péchés de l’homme. Dans le Timée, Platon l’appelle « le père de toute chose » ; dénué de toute jalousie, il veut que toute chose lui ressemble le plus possible.
Cette pensée remonte à deux siècles et demi avant l’avènement du Christ. Il s’agit donc d’une véritable percée dans le développement de la pensée humaine. Dieu est la source de tout bien, de la vérité et de la justice et ceci permet à l’homme de développer à son tour une passion pour la vérité et la justice - l’agape.
Cette idée de Platon est à son tour le précurseur nécessaire de celle développée plus tard par l’apôtre Paul dans la Première Epître aux Corinthiens, à savoir que si « je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ». Le fait que Socrate, dans son raisonnement, arrive au même résultat que la foi chrétienne, mais bien avant la Révélation, comme l’ont constaté saint Augustin et plus tard Abélard, signifie qu’il n’existe pas de contradiction entre foi et raison.
Pourquoi ne doit-on pas suivre la voie de Thrasymaque ou raisonner comme Glaucon ou Adimante, mais plutôt développer une passion pour la vérité et la justice ? N’est-ce pas la question que nous devons encore nous poser aujourd’hui, dans un monde qui semble entièrement dominé par l’injustice ? Le système oligarchique actuel n’aurait jamais été possible si la corruption - l’apparence d’être juste plutôt que la justice elle-même - n’avait pas imprégné toute la société.
Je voudrais examiner cette question du point de vue d’un autre dialogue de Platon, Phédon, une discussion entre Socrate et ses amis après la condamnation à mort du philosophe et peu avant son exécution. A ce Phédon de Platon, j’ajouterai l’oeuvre du même nom de Moses Mendelssohn, dont la première partie est une traduction du dialogue de Platon, et la deuxième une puissante élaboration de ses propres idées sur le sujet, parue presque deux mille ans après l’original.
Le Phédon de Platon, où il traite de l’immortalité de l’âme, est peut-être le plus touchant de ses écrits, car on voit Socrate, qui incarne la justice, accusé par ses ennemis de l’oligarchie de mépriser les dieux et de corrompre les jeunes, et condamné à mort pour cela. Il vit donc là ses dernières heures.
Alors que ses amis sont bouleversés, Socrate est calme et serein, comme un immortel qui sait que là où il va, il sera heureux. Phédon, un jeune homme que Socrate a sauvé de l’esclavage, fait un récit touchant de ces dernières heures.
« En ce qui me concerne, les sentiments que sa présence éveillait en moi étaient vraiment extraordinaires. J’avais beau penser que j’assistais à la mort d’un ami, je ne ressentais pas de pitié ; car il me semblait heureux à en juger par sa manière d’être et ses discours, tant il montrait d’intrépidité et de bravoure devant la mort, si bien que je me prenais à penser que, même en allant chez Hadès, il y allait avec la faveur des dieux et qu’arrivé là-bas, il y serait heureux autant qu’on peut l’être. (...) Je ne ressentais pas non plus le plaisir d’assister à un entretien philosophique comme ceux dont nous avions l’habitude car c’est de philosophie que nous parlions. Mais j’étais dans un état d’esprit véritablement étrange, et j’éprouvais un mélange inouï de plaisir et de peine, à la pensée qu’il allait mourir dans un instant. Et tous ceux qui étaient présents étaient à peu près dans les mêmes dispositions que moi, tantôt riant, tantôt pleurant. »
Mendelssohn écrit ici : « Bientôt, nous le perdrons pour toujours ».
Platon n’aurait pas pu trouver meilleur cadre poétique pour discuter de l’immortalité de l’âme. La question existentielle du sens de la vie se pose ici de manière particulièrement pressante : à travers sa mort physique, son âme va-t-elle disparaître aussi ?
Je voudrais présenter les arguments qui plaident en faveur de l’immortalité de l’âme, non pas exactement comme le fait Platon dans son Phédon, mais aussi du point de vue des arguments de Moses Mendelssohn - le « Socrate du XVIIIème siècle » comme on l’appelait alors.
Il faut savoir qu’une centaine d’années avant Mendelssohn, Leibniz avait déjà traduit des parties de ce dialogue, car il admirait Platon et surtout son Phédon, dont il trouvait les arguments en totale conformité avec ses propres pensées sur ce sujet.
Mendelssohn n’a traduit que la première partie du Phédon de manière précise, avant de présenter, sous forme de dialogue socratique, ses propres arguments pour convaincre ses contemporains de l’immortalité de l’âme. Dans le troisième dialogue, écrit-il, « J’ai dû avoir recours aux modernes et j’ai fait parler Socrate presque comme un philosophe du XVIIIème siècle. Je préférais commettre un anachronisme plutôt que de négliger des arguments susceptibles de contribuer quelque peu à la conviction. »
Dans la deuxième partie du dialogue, où il développe ses propres arguments, il souligne que l’immortalité de l’âme touche à tous les domaines. Ceux qui la nient remettent tout en cause et tout ce qui est considéré comme bon et vrai est passé par-dessus bord.
Quels arguments utiliserait un Socrate de notre temps pour le prouver à ses amis ? demande-t-il.
« Si notre âme est mortelle, alors notre raison n’est qu’un rêve que nous envoie Jupiter pour nous tromper, nous les malheureux ; alors, la vertu perd tout l’éclat qui la rend, à nos yeux, divine ; alors, le beau, le sublime, moral autant que physique, n’est pas l’empreinte de la perfection divine ; alors (puisque rien d’éphémère ne peut contenir le plus faible rayon de perfection divine), nous avons été mis ici, comme du bétail, pour chercher de la nourriture et mourir ; alors, dans quelques jours, peu importera que j’aie été l’ornement ou la honte de la Création, que je me sois efforcé d’augmenter le nombre de bienheureux ou de misérables ; alors, le mortel le plus blâmable a le pouvoir de se dérober à la domination de Dieu et un poignard peut dénouer le lien qui lie l’homme à Dieu. Si notre esprit est éphémère, alors les plus sages législateurs et donateurs nous ont trompés, ou se sont trompés ; alors toute l’espèce humaine a convenu d’entretenir un mensonge (...) ; alors, un Etat d’hommes libres et pensants n’est plus qu’un troupeau de bêtes dépourvues de raison, et l’homme - je suis horrifié de le considérer dans cet état de bassesse - l’homme privé de l’espoir de l’immortalité est l’animal le plus misérable de la Terre, qui doit, pour comble de malheur, méditer sur son état, craindre la mort et désespérer.
« Lorsqu’ils éprouvent l’amitié, lorsqu’ils discernent la vérité, pratiquent la vertu, adorent le Créateur, lorsqu’ils veulent se laisser ravir par la beauté et la perfection, alors le terrible souvenir de l’anéantissement surgit, tel un spectre, dans leur âme et les plonge dans le désespoir.
« Ma conception de Dieu, de la vertu, de la dignité de l’homme et de la relation qu’il a avec Dieu, ne laisse aucun doute sur son destin. »
Mendelssohn donne alors plusieurs preuves de l’immortalité de l’âme, la plus importante étant qu’à la différence de la matière, l’âme est indivisible. Sans le dire explicitement, il reprend la notion de Leibniz selon laquelle l’âme est une monade. En tant que monade, chaque âme contient en soi la totalité de l’univers dans son éternité ; elle détient l’éternité en germe.
Particulièrement intéressant est l’argument qu’il développe dans la troisième discussion, à propos de la différence entre l’homme et l’animal. « [Les animaux] montrent, dans la façon dont ils acceptent cette instruction, que leur vie ici-bas n’a pas pour objectif un progrès continu vers la perfection, mais que leur but ultime serait plutôt d’atteindre un certain degré d’adaptation et qu’ils ne s’efforcent jamais d’eux-mêmes d’aller au-delà, vers des choses plus élevées, et ne sont jamais motivés par eux-mêmes. »
LaRouche, dans son dernier écrit, La voie vers la reprise, se réfère aussi au concept de Cuse selon lequel l’animal, quand il joue avec l’homme, participe de l’espèce la plus élevée.
« Mais nous avons de bonnes raisons d’assumer, dit le Socrate de Mendelssohn, que cette poursuite continuelle de la perfection, cet accroissement, cette croissance de l’excellence intérieure est réellement le destin d’êtres de raison, de même que l’objectif final le plus élevé de la Création. Nous pouvons dire que le vaste système cosmique incommensurable a été créé pour qu’il y ait des êtres doués de raison qui progressent, étape par étape, se perfectionnent et trouvent dans cet accroissement leur bonheur.
« Qu’ils restent immobiles au milieu du chemin ou, plus encore, qu’ils soient soudainement précipités dans l’abîme et que tous les fruits de leurs efforts soient perdus, il n’est pas possible que l’Etre suprême s’en réjouisse ou qu’Il l’ait intégré dans son projet d’univers qu’Il a trouvé si bon.
« En tant qu’êtres simples, ils sont éternels, leur perfectionnement est continuel et a des conséquences illimitées ; en tant qu’êtres de raison, ils aspirent à une croissance sans fin et à un plus grand perfectionnement. (...) En tant qu’objectif final de la Création, on ne peut leur imposer d’autre but et on ne peut les gêner intentionnellement dans la recherche ou la possession du perfectionnement. » Mendelssohn fait alors dire à Socrate cette phrase remarquable : « Le but de la Création dure aussi longtemps que la création elle-même, les admirateurs des perfections divines aussi longtemps que l’oeuvre dans laquelle ces perfections sont visibles". »
Par contre, si on nie l’immortalité de l’âme, alors la jouissance immédiate, dans l’ici et le maintenant, sera pour l’homme le bien suprême. « Car quel motif, quelle considération serait suffisamment puissant pour lui faire courir le moindre risque pour sa vie ? L’honneur ou la gloire posthume ? S’agit-il du salut de ses enfants, de ses amis, de sa patrie ? Et même s’il en allait du salut de tout le genre humain, pour lui, la piètre jouissance de quelques instants est tout ce qui peut le consoler, c’est donc d’une importance sans limite. Comment pourrait-il y renoncer ? »
Suivant « le raisonnement de ces sophistes », la vie est, par rapport à tous les autres biens, infiniment précieuse. Pour Mendelssohn au contraire, si la tyrannie menace l’existence de la nation, si la justice risque d’être bafouée, si la vertu risque d’être atteinte et la religion et la vérité persécutées, « alors utilise ta vie pour l’objectif pour lequel tu l’as reçue, meurs pour que le genre humain puisse conserver ces voies précieuses vers le bonheur. (...) Le mérite d’avoir fait avancer le bien avec tant d’abnégation donne à ta vie une valeur inexprimable qui, en même temps, sera d’une durée éternelle. » Mais, poursuit-il, si l’individu pense que tout est fini après sa courte vie, il est insensé de croire qu’il serait prêt à sacrifier sa vie pour le bien de sa nation ou de l’ensemble du genre humain. On débouche forcément sur un conflit entre la nation et le citoyen.
La nation, par exemple, n’est-elle pas en droit de demander au citoyen de se sacrifier pour la sauver ? Or le citoyen, s’il croit au principe mentionné, peut - et même doit - souhaiter la défaite de sa nation, ne serait-ce que pour prolonger sa propre vie de quelques jours. Selon cette logique, poursuit Mendelssohn, tout être sensé serait en droit de provoquer la destruction du monde entier, si cela peut l’aider à rester en vie. N’est-ce pas la moralité d’un George Soros, d’un Michel Camdessus ou d’un Wolfenssohn ? C’est en tout cas la philosophie du système financier de Londres et de Wall Street.
Qui est donc ce Moses Mendelssohn, qui s’est avéré si prophétique vis-à-vis de la situation actuelle ?
Il est né en 1729 dans le ghetto juif de Dessau, à une centaine de kilomètres de Berlin. Son père, Mendel Dessau, dirigeait une petite école hébraïque pour garçons venant tous, comme lui, de familles pauvres. Sa mère s’appelait Suschen.
Moses, le meilleur élève de cette petite école, commence très tôt, parallèlement à l’enseignement religieux dispensé, des études personnelles. Il apprend l’hébreu, non en mémorisant des textes liturgiques, mais en étudiant rigoureusement la grammaire. Grâce au grand rabbin de Dessau, David Frankel, il obtiendra un exemplaire du Guide des égarés de Moïse Maimonide, ouvrage écrit en 1190 et démontrant de manière fondamentale la cohérence entre la foi et la raison.
Mendelssohn assimile ces idées avec enthousiasme, car elles lui ouvrent un monde complètement différent de celui présenté dans les arguments légalistes des exégèses talmudistes. Il accompagne son maître, David Frankel, à Berlin et saisit aussitôt l’occasion de faire les études séculaires auxquelles il n’avait pas accès dans le ghetto. Il faut savoir que la condition des Juifs en Europe au XVIIIème siècle était misérable. Ils étaient isolés, pauvres, méprisés et sans aucun droit.
Mendelssohn commence alors à explorer tous les domaines de la connaissance. Il se penchera sur l’histoire du protestantisme, sur la littérature, la philosophie, les sciences exactes et les langues. Il apprend l’allemand, le latin, l’anglais et le français. Il accueillera chez lui Israël Samoscz, un jeune mathématicien doué qui avait dû quitter la Pologne et qui lui apprendra les mathématiques et les beaux-arts. Ils ont des discussions animées sur la théorie esthétique. Il lit Leibniz de même que L’essai sur l’entendement humain de Locke.
En 1750, Mendelssohn obtient un poste de professeur chez Isaac Bernhard, un riche marchand juif père de quatre enfants. Avec ses nouveaux revenus, il peut s’offrir des leçons de musique et assiste à des concerts et représentations théâtrales. Quand les enfants ont grandi, Moses devient comptable dans l’entreprise de Bernhard. Il s’est souvent plaint de cet emploi ennuyeux qu’il n’aimait pas du tout.
Par la suite, il devient associé de l’entreprise de Bernhard, ce qui lui assure de bons revenus pour le reste de sa vie. Dans les Lettres sur la perception, il commence à traiter des questions esthétiques. Probablement, aucun juif avant lui n’avait maîtrisé la langue allemande de manière si élégante ni développé un style artistique si élevé.
Moses Dessau décide aussi de changer de nom pour s’appeler, dans la tradition juive, le fils de son père, ce qui donne en allemand Moses Mendelssohn (fils de Mendel).
De nombreux jeunes intellectuels, auteurs et éditeurs sont attirés par ce jeune comptable qui écrit des traités de philosophie passionnés, dans la tradition de Leibniz, ce qui est, à l’époque, tout à fait exceptionnel pour un juif. L’un de ces intellectuels est Gotthold Ephraim Lessing, le poète qu’il rencontrera alors qu’ils ont tous deux 25 ans. Il se développera entre eux une collaboration et une amitié très fécondes.
Dans l’un de ses premiers écrits, les Observations philosophiques, Mendelssohn appelle les Allemands à se libérer de l’influence française et à suivre leur propre tradition philosophique. Mendelssohn montre son manuscrit à Lessing, qui le confiera aussitôt à un imprimeur pour le faire publier. Le livre fait sensation. C’est la première fois qu’un juif publie un livre en allemand.
Comment se présente la vie philosophique et intellectuelle à Berlin à cette époque ? Le roi FrédéricII, qui déteste Leibniz, se vante d’être un élève de Voltaire qu’il voudrait faire venir à la Cour. Il invite donc également certains adversaires déclarés de Leibniz à rejoindre la Cour et l’Académie des sciences de Berlin, qui avait été créée par ce dernier en 1701, sous FrédéricIer.
A l’époque, Berlin était un repaire pour les libéraux, païens, athées et autres agents britanniques. La noblesse était complètement pourrie et s’adonnait à un style de vie frivole. La philosophie des Lumières française et britannique était utilisée pour contrer Leibniz et promouvoir Newton, tandis que des opposants à Leibniz, comme Euler et Maupertuis, étaient nommés à l’Académie.
Lessing et Mendelssohn partent en guerre contre les Lumières. Dans son Traité sur les preuves dans les sciences métaphysiques, Mendelssohn défend le concept leibnizien du « meilleur des mondes », que Voltaire avait ridiculisé dans Candide.
Il écrit que du caractère nécessaire de Dieu découle la multitude incommensurable de la Création qui permet le plus haut degré de liberté, et que de la beauté et de l’ordonnancement du monde, on peut conclure à l’existence de Dieu.
Mendelssohn développera aussi une nouvelle théorie de l’esthétique, selon laquelle les beaux arts, sans bien sûr sermonner, doivent avoir un effet moral sur le public. Dans un échange de lettres entre Lessing, Mendelssohn et Nicolai - un éditeur ami des deux hommes - à propos du Trauerspiel, une forme de tragédie, ils discutent de la forme de composition que l’art doit adopter pour éveiller passion et compassion.
Mendelssohn affirme que, dans une oeuvre d’art parfaite, le public voit représentée sur scène la destinée humaine et acquiert, en la voyant ainsi dominée, une grande expérience. Si bien que lorsque l’individu aura à prendre une décision morale, il choisira la bonne voie car il aura intériorisé ces expériences.
Lessing à son tour pense que la représentation théâtrale de la tragédie permet de former et d’exercer le sentiment de compassion, ce qui est très fructueux car les meilleurs hommes sont ceux qui éprouvent le plus de compassion.
Mendelssohn soutient, pour sa part, qu’un tel exercice est riche d’enseignements pour la raison car, à l’heure de prendre une décision morale, il faut réfléchir très vite au problème, chose bien difficile à réussir sans entraînement préalable. Par contre, pour une personne exercée, la prise de décision morale est aussi simple que de jouer du piano pour un pianiste accompli. La plus grande vertu, pour Mendelssohn, est celle qui élimine toute lutte avec l’accomplissement du devoir, car la connaissance et l’exercice auront transformé le devoir en passion.
Vous avez sans doute reconnu, dans ces idées de Lessing et Mendelssohn, celles que Schiller reprendra dans son concept de beauté morale et d’âme belle, notamment dans Le théâtre en tant qu’institution morale. Guillaume de Humboldt qui avait la chance, avec son frère Alexandre, de compter parmi les invités les plus assidus de la maison de Mendelssohn et d’assister aux cours qu’il donnait à ses enfants, s’est inspiré de cette idée d’un art investi d’un but moral.
On peut dire que Lessing et Mendelssohn ont, plus que quiconque, influencé les deux géants de la période des classiques de Weimar, Schiller et Guillaume de Humboldt. En faisant revivre Platon et les classiques grecs et en défendant Leibniz contre les aberrations des « Lumières », ils ont en effet jeté les bases de la période classique allemande.
En riposte, l’oligarchie déploiera Emmanuel Kant, que Mendelssohn avait baptisé le Alleszermalmer, ce qui veut dire, littéralement, le « pulvérisateur ». Les Critiques de Kant sont des attaques vicieuses contre Leibniz et Mendelssohn. Dans sa Critique du Jugement, où il nie le but moral de l’art, Kant s’en prend directement à la théorie esthétique de Mendelssohn. « Une arabesque arbitraire jetée sur le mur par un artiste serait plus belle qu’un morceau d’art dans lequel on reconnaît l’intention morale de l’artiste. » Schiller, en lisant cet essai, devint si furieux qu’il écrivit sa propre théorie esthétique. Selon lui, pour émettre de telles idées, Kant avait dû avoir une enfance bien malheureuse.
Dans sa Critique de la Raison pure, au chapitre sur le paralogisme, Kant attaque directement la preuve par Mendelssohn de l’immortalité de l’âme et de l’existence de Dieu, en soutenant que celles-ci ne peuvent être prouvées, mais doivent être reléguées au rang de postulats. Pour Kant, l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme sont res fidei, des questions de foi. En attaquant l’existence de l’âme individuelle en tant que monade et en niant qu’on puisse connaître Dieu par la raison, Kant a probablement contribué plus que tout autre à créer les idéologies pernicieuses du XXème siècle, allant du néo-kantisme à l’existentialisme, au nihilisme et à l’école de Francfort.
Mais Mendelssohn avait un autre avantage décisif sur Kant - et même sur Hegel - comme le note Goethe dans Dichter und Wahrheit, qui est qu’il s’exprimait dans un allemand clair et compréhensible. On ne peut pas dire autant de Kant. Si vous avez lu Kant et Hegel, vous êtes certainement d’accord avec moi...
Certes, Mendelssohn n’était pas le seul inspirateur du renouveau de la tradition classique grecque - il avait été lancé par Leibniz et ses réseaux - mais il a contribué de manière décisive à l’étendre. Il avait étudié le grec classique et lisait Homère, Xénophon et, plus tard, toutes les oeuvres de Platon, dans la langue originale.
En 1776, Mendelssohn fait donc paraître sa propre version de Phédon, un mélange de Platon et d’un leibnizien du XVIIIème siècle, qui est une attaque directe contre les Lumières françaises et une défense de la tradition platonicienne. Déjà bien connu à l’époque, Mendelssohn devient dès lors célèbre et son Phédon sera rapidement traduit en hollandais, italien, français, russe, hongrois, suédois, danois et anglais. Le livre est si populaire que les éditions se succèdent.
Il enthousiasme Herder et Winckelman, pour qui c’est l’un des meilleurs livres de Mendelssohn. Goethe, les frères Humboldt, Schiller et Heine l’étudient à fond. Le philosophe Sulzer proposera que Mendelssohn soit nommé membre de l’Académie des Sciences de Berlin, mais Frédéric le Grand refuse, avant tout parce que Mendelssohn est juif, mais aussi pour d’autres raisons. Par exemple, Mendelssohn avait fait une magnifique traduction du monologue de Hamlet et Frédéric détestait autant ce drame que son auteur Shakespeare. Il avait en outre eu l’« indélicatesse » de rédiger une critique de la poésie de Frédéric, déplorant à la fois qu’il écrive en français et la philosophie qu’il transmettait dans ses poèmes, à savoir la négation de l’immortalité de l’âme.
Mendelssohn soutenait qu’un Etat ne devait promulguer aucune loi allant à l’encontre de la loi naturelle, au risque de sombrer dans la barbarie. Cela, Frédéric pouvait à la rigueur l’accepter, mais le fait qu’un Juif de Dessau osât donner des leçons au roi à propos de sa langue maternelle était tout simplement intolérable pour l’oligarchie de l’époque !
A la suite d’une plainte d’un certain M. von Justi, la revue littéraire de Mendelssohn sera interdite et l’auteur cité devant la Cour où il se défend avec éloquence. Il rencontrera Maupertuis et, étrangement, sa revue sera de nouveau autorisée. Commencent alors pour lui de nombreux ennuis qui vont lui rendre la vie difficile et je suis convaincue que ce n’est pas un hasard...
En 1783, il écrit une oeuvre majeure sur la question des Juifs, Jérusalem, ou pouvoir religieux et judaïsme, dans laquelle il soutient la thèse de son ami, l’historien Christian Wilhelm Dohm, sur l’égalité sociale des Juifs. Dohm revendiquait la pleine intégration civile des Juifs et le plein droit de faire des affaires. Il proposait que la religion juive jouisse des mêmes droits que le christianisme et que les Juifs puissent entrer dans la fonction publique.
Le Jérusalem de Mendelssohn n’a pas reçu le même accueil spectaculaire que son Phédon, mais les nobles idées qu’il renfermait ont néanmoins été louées par les esprits progressistes de l’époque. On y trouve une polémique contre la thèse de Thomas Hobbes selon laquelle le pouvoir absolu de l’Etat est le seul moyen de refréner « la guerre de chacun contre tous ». A l’opposé, Mendelssohn promeut le « bon Etat », dans lequel le citoyen est amené par son éducation à oeuvrer pour le bien commun. La force d’un tel Etat repose sur le fait qu’il peut, par exemple en cas d’agression étrangère, compter sur ses propres citoyens.
Mendelssohn défend une tolérance religieuse prônant une égalité de traitement pour toutes les religions. Pendant toute sa vie, Moses Mendelssohn restera proche de Lessing, dont le célèbre drame, Nathan le Sage, est un éloge de Mendelssohn et propage les idées de Leibniz. Mendelssohn figure incontestablement, avec Lessing et Winckelmann, parmi les fondateurs des classiques allemands.
Depuis lors, la famille Mendelssohn fait partie intégrante de la tradition classico-humaniste de la culture allemande, comme ce fut le cas de tant de Juifs après lui. A la fin du XVIIIème siècle et tout au long du XIXème, sa famille se trouvait au coeur d’un réseau humaniste qui contribua de manière décisive à l’émancipation juridique des Juifs et à leur intégration dans la culture allemande.
Pourquoi vous ai-je parlé de tout cela aujourd’hui ? Tout d’abord pour souligner que l’histoire juive n’a pas commencé avec l’Holocauste et ne se limite en aucun cas aux douze années allant de 1933 à 1945. L’un des points forts de l’histoire juive est son apport à l’avènement de la plus récente période de culture classique que nous ayons connue, qui donnait de l’homme la très belle image d’un être fier, capable de se perfectionner.
Si l’on écarte les milliers d’années de l’histoire juive réelle et, surtout, si on ignore le rôle unique joué par les Juifs dans la période classique allemande en nous cantonnant aux souvenirs de la terrible période nazie, on dérobe aux Juifs, et à toute l’humanité, quelque chose d’essentiel.
Moses Mendelssohn est un très bon exemple de ce type d’individu. En sortant des confins du ghetto juif, reprenant le meilleur de la culture humaniste depuis Platon jusqu’à Leibniz et Bach, il nous offre un modèle de ce que toute minorité opprimée peut faire aujourd’hui.
Si l’on considère tout ce que l’humanité a produit jusqu’à présent et qu’on y ajoute sa propre contribution créatrice à l’émergence d’une nouvelle renaissance, les divisions de la société disparaîtront. Un immense défi se pose à chacun de nous : l’humanité se trouve face à la menace d’un retour à un âge des ténèbres. Faute de surmonter la crise financière qui va s’aggravant, il est fort possible que les civilisations européenne, américaine et japonaise soient englouties. Faute de renverser le système de valeurs qui a mené à cette crise, il est fort possible que le Mémorial de Lincoln à Washington, par exemple, se retrouve en Sibérie ou dans le sous-continent indien, comme artefact d’une civilisation qui n’a pas su survivre, comme on se rend au Mexique pour visiter la culture aztèque, etc.
Peut-être pensez-vous que j’exagère ? Lorsque les Américains ont réussi à mettre un homme sur la Lune - un fait que beaucoup de jeunes prennent aujourd’hui pour de la science fiction - aucun citoyen de cette nation fière de sa technologie ne pouvait imaginer que les Etats-Unis allaient subir un déclin industriel pendant les trente années suivantes ou qu’un Américain devrait occuper deux ou trois emplois dans le secteur des services pour avoir des revenus décents pour sa famille, alors qu’un emploi industriel suffisait alors.
La même chose vaut pour l’Allemagne. A l’époque du « miracle économique », qui aurait pu imaginer qu’une telle bande d’idéologues, comme les Verts, arriverait au pouvoir pour mettre en oeuvre - volontairement - un nouveau plan Morgenthau, en démantelant l’industrie et transformant l’Allemagne en paysage de verdure ?
L’existence de l’espèce humaine au cours des dernières dizaines de milliers d’années témoigne incontestablement du fait que l’homme se différencie de façon unique de toutes les bêtes par sa capacité à faire des découvertes scientifiques et technologiques qui se traduisent par l’augmentation de son pouvoir sur la nature et par la croissance démographique. Considérée sur des centaines de générations, il n’y a aucun doute que cette caractéristique est le propre de l’homme.
Mais ce progrès n’est pas automatique ; chaque nouvelle étape ne mène pas forcément à court terme à la suivante. Que cela se produise ou non est avant tout une question culturelle. Si la culture est dominée par des valeurs moins élevées ou négatives, non seulement il n’y aura pas de nouveaux progrès, mais même les technologies disponibles ne seront plus utilisées parce qu’une clique oligarchique quelconque aura décidé de défendre ses privilèges et de priver la population des bénéfices de ces technologies. Une telle société est vouée, tôt ou tard, à sa perte.
Dans ce sens, sur la question du nucléaire, le gouvernement allemand me rappelle les Aztèques qui connaissaient la roue mais ne l’utilisaient que pour accomplir des rites et jamais pour le travail productif.
Aujourd’hui, nous disposons des technologies nécessaires pour nourrir l’ensemble de la population mondiale et lui assurer un niveau de vie relativement décent. Il n’y a strictement aucune raison de ne pas partager ces technologies avec l’Afrique, la Chine, l’Amérique latine et tous les pays où elles font défaut.
On peut trouver dans l’histoire de nombreux exemples de sociétés en stagnation, voire en régression, et de cultures disparues. Chaque fois que perdurent des formes dévastatrices d’oligarchie, comme en Mésopotamie, dans l’Empire romain, Byzance, ou chez les Aztèques, les sociétés s’effondrent. Elles se condamnent elles-mêmes par leur manque d’aptitude morale à survivre.
Friedrich Schiller donne un exemple d’une telle culture dans ses Lettres esthétiques, en se référant à l’échec de la Révolution française, si tragiquement influencée par les Lumières. Il arrive à la conclusion que toute amélioration dans le domaine politique ne peut découler que du progrès moral de l’individu.
La question centrale de la morale de chacun coïncide avec celle de son identité. Situez-vous vos intérêts propres en premier lieu dans vos besoins matériels quotidiens, dans des petits problèmes limités à votre famille et à votre bien-être immédiat, ou cherchez-vous votre identité dans le sens de l’existence de l’humanité - du point de vue du passé, du présent et du futur ?
Nous devons comprendre que notre existence découle de milliers de générations nous ayant précédés, parmi lesquelles se sont inlassablement succédés des individus créateurs qui ont développé des idées qualitativement nouvelles, ont fait des découvertes décisives au niveau de l’art, de la science et de la philosophie, menant à la richesse réelle et potentielle que nous connaissons aujourd’hui. Considérez la beauté du patrimoine culturel de la Renaissance et des périodes classiques, ou le pouvoir dramatique de la grande musique classique ! Réfléchissez à la formidable capacité de l’homme à explorer l’espace et à comprendre, de manière toujours plus profonde et exacte, comment l’univers fonctionne.
Cette grande beauté est le fruit de l’oeuvre d’êtres humains qui ont consacré leur vie à un objectif allant bien au-delà de leur existence mortelle. Si vous ressentez le noble désir de faire vôtre ce legs de l’histoire universelle en étudiant ces idées, en reproduisant les découvertes des grands esprits qui nous ont précédés, et si vous avez la passion d’enrichir ce savoir pour laisser aux générations futures davantage que ce que vous avez reçu de vos prédécesseurs - alors vous êtes véritablement humain.
De cette façon, nous immortalisons le passé. Nous l’enrichissons en y apportant du nouveau. De cette façon, nous pouvons changer le passé, tout comme nous pouvons incontestablement changer le présent et l’avenir. Nous créons ainsi quelque chose qui reste après notre existence mortelle. Si nous contribuons de cette manière à la condition future de l’humanité, notre identité repose dans la « simultanéité de l’éternité » - et nous sommes devenus de véritables individus de dimension historique et mondiale.
De ce point de vue, la question des droits de l’homme n’est pas celle de la démocratie. Il s’agit plutôt d’assurer à chaque enfant l’accès à une éducation lui permettant de développer cette dimension historico-mondiale. Dans cette optique, pour sa propre nation, le gouvernement chinois a fait davantage pour les droits de l’homme que bien d’autres gouvernements au monde, car il a affranchi de la pauvreté des millions de citoyens. Le Pape Jean-PaulII avait raison de dire, lors de sa dernière visite en Afrique, que face à des hommes qui doivent se battre pour leur simple existence matérielle quotidienne, il est difficile de parler de droits de l’homme.
Dans son essai La route vers la reprise, Lyndon LaRouche écrit que trois groupes s’affrontent actuellement dans le monde. Premièrement, les intérêts bancaires anglo-américains ou l’oligarchie du Commonwealth anglo-américain, qui ne représentent en rien la population américaine. Deuxièmement, le « front pour la survie » regroupant trois pays - la Chine, l’Inde et la Russie - qui ont décidé de travailler ensemble pour sortir « vivants » de cette crise et, troisièmement, pour reprendre l’expression de LaRouche, le « Club des pauvres de l’Euroland », parce que l’euro est en réalité une monnaie faible.
Le défi qui nous est posé est de faire adhérer la population américaine au « Front pour la survie ». Vous qui êtes ici, et les millions d’Américains à travers tout le pays, devez vous battre pour les intérêts de l’espèce humaine tout entière. Dans votre vie quotidienne, le bien-être des hommes en Afrique, en Amérique latine et en Chine doit être aussi important que celui de votre famille. Le sort de l’humanité doit former le noyau de votre identité.
Pensez à tous les enfants du monde à qui, sans vous, il reste si peu de chances. Prenez l’ensemble de l’histoire humaine, tous les grands esprits qui ont contribué à notre savoir actuel, et intégrez ce savoir dans votre propre pensée. Prenez à coeur votre responsabilité pour l’avenir.
Pourquoi pensez-vous que mon mari ait une si grande influence dans le monde ? Dans la période récente, j’ai eu le privilège de pouvoir beaucoup voyager et j’ai pu constater que les idées de LaRouche constituent vraiment la ligne de démarcation entre ceux qui se préoccupent de sauver leur pays et sa population, et ceux qui s’intéressent à la spéculation et aux intérêts oligarchiques. Lorsque j’étais au Mexique, en décembre dernier, ma présentation sur le pont terrestre eurasiatique, lors d’une conférence à laquelle assistait l’ancien président mexicain Lopez Portillo, a suscité un grand débat sur l’avenir politique du pays. Le président Zedillo a même engagé une polémique avec Lopez Portillo sur la voie que devait suivre leur pays - le pont terrestre eurasiatique ou l’Alena et la dépression ?
En Russie, un grand nombre d’articles sur LaRouche ou d’interviews de lui ont paru ces dernières semaines. La question la plus souvent posée est : que doit-on faire, d’après vous, pour l’économie russe ? En Chine aussi, au cours de la période récente, de nombreux articles ont cité LaRouche.
Si son influence est si forte à l’échelle mondiale, c’est que de plus en plus de gens reconnaissent que le monde a besoin des idées de LaRouche - du « Socrate de notre époque ».
La tâche qui nous revient est évidente et je suis optimiste, à condition que vous réussissiez à chasser les traîtres de Washington...