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Châteaux de sable contre tsunami financier

5 septembre 2019

Les tentatives de déstabilisation que l’on observe aux quatre coins du monde s’inscrivent dans le contexte de l’effondrement du système financier transatlantique. L’imminence d’une crise des liquidités se précise au fur et à mesure que se confirme l’impossibilité de refinancer la dette mondiale sur fond de récession généralisée. Les banques centrales essaient de se débrouiller avec le seul outil dont elles disposent, à savoir la planche à billets (assouplissement quantitatif), tout en dévaluant la monnaie ainsi créée à coups de taux d’intérêt négatifs. Cela ne peut qu’aggraver le problème, aboutissant à une hyperinflation qui détruira non seulement l’économie réelle et l’épargne populaire, mais également les banques que l’on prétend renflouer.

La tentative de sauver le système en créant une nouvelle bulle géante faite d’investissements dans « l’économie verte » ne fonctionnera pas davantage. Entre-temps, on doit de toute urgence stopper le processus de désindustrialisation en cours « au nom de l’environnement », avant qu’il ne provoque des dégâts irréparables.

Il est utile de se rappeler que la plupart des problèmes économiques actuels ont leur origine dans la suppression du système de Bretton Woods le 15 août 1971, il y a tout juste 48 ans. Contrairement à l’étalon-or britannique, le système de Bretton Woods était essentiellement un système de crédit, l’or servant de référence aux parités établies entre le dollar et les autres monnaies nationales, à ajuster le cas échéant par décision souveraine en fonction des valeurs économiques physiques. Le système bancaire était réglementé, protégeant les établissements qui accordaient du crédit aux entreprises et aux ménages et interdisant aux banques de dépôt ordinaires de se livrer à des activités de trading. Les paris sur produits dérivés étaient également interdits. Supprimer le système de Bretton Woods et, à terme, les régulations bancaires a permis de privatiser la création d’argent et du crédit, transférant ainsi la souveraineté économique des gouvernements aux marchés financiers. Il est temps de renverser cette décision fatale.

Si le monde court à sa ruine, c’est la faute à la Chine ...

Toutefois, bien que les acteurs et commentateurs financiers traditionnels ne peuvent plus nier l’imminence d’une récession mondiale, il leur est nécessaire de « rationaliser » celle-ci en trouvant une cible les disculpant de toute responsabilité. La Chine, avec le succès de son projet « une ceinture une route » est la candidate idéale.

Accusée d’expansion impérialiste, elle l’est aussi d’être responsable d’une accumulation de dettes internationales insoutenables, présentée comme « piège de la dette » aux pays qui rejoignent l’Initiative une ceinture une route. Or, la dette détenue par la Chine est principalement constituée de crédits investis dans l’économie réelle, privilégiant les progrès scientifiques susceptibles de générer de nouvelles technologies, ainsi que la mise en place d’une plateforme moderne d’infrastructures permettant d’accroître la production et les échanges à l’échelle mondiale. Comme le soulignent les dirigeants des partenaires commerciaux de la Chine en Asie et en Afrique, il n’y a aucun « piège de la dette » mais un apport de crédit tout à fait appréciable pour les aider à échapper au statut colonial imposé par le système financier actuel. Ironiquement, ceux qui crient au piège de la dette ne trouvent rien à redire aux milliards de dollars de dettes créés dans le cadre de l’assouplissement quantitatif afin de renflouer des institutions financières défaillantes et préserver la valeur nominale d’actifs financiers sans valeur réelle, ou encore à la politique d’austérité dictée par le FMI et les banques centrales, qui étrangle le crédit destiné aux secteurs productifs, provoquant des problèmes systémiques d’endettement comme en Argentine.

En outre, le déclin drastique de l’industrie dans les économies transatlantiques, qui s’est traduit par des niveaux de croissance quasi nuls, voire par une contraction comme en Allemagne au 2ème trimestre, a été dicté par les politiques du marché, notamment les accords de libre-échange favorisant la délocalisation dans des pays à bas salaires et acculant les capacités industrielles restantes à se consacrer à l’exportation. Par conséquent, ceux autrefois employés dans l’industrie ont vu fondre leur pouvoir d’achat, les forçant à vivre à crédit.

Cette réalité n’a pas été imposée par la Chine, mais par les intérêts financiers basés à la City, à Wall Street et à Bruxelles, qui profitent du crédit bon marché mis à disposition par les banques centrales pour se livrer à des activités spéculatives, ou par les grandes sociétés pour racheter leurs propres actions. Loin d’être un signe de prospérité, la bulle boursière qui s’est ainsi formée est un fruit pourri, sur le point de tomber d’un arbre malade.

La solution consiste à rompre avec le système néolibéral et ses bulles spéculatives et à rebâtir l’économie réelle. A cette fin, la perspective de développement de la Chine n’est pas le problème, mais une partie de la solution.

Les banques accros aux taux d’intérêt négatifs

Malheureusement, c’est le choix inverse qui a été fait. A l’heure actuelle, un quart de toutes les obligations au monde (soit une valeur de 15 000 milliards de dollars) se négocient à des taux d’intérêt négatifs alors que les banques centrales misent sur d’autres réductions de taux et plus d’achats d’actifs afin d’éviter une crise de liquidité. Aussi irrationnelle qu’inutile, cette approche finira par détruire le système en tentant d’éviter sa faillite.

Dans un entretien avec le Wall Street Journal, Olli Rehn, membre du conseil d’administration de la BCE, estimait que, pour être efficace, la banque de Francfort devrait surpasser les attentes en matière de réduction des taux et d’assouplissement quantitatif. Cela place la BCE face à un dilemme, car si la réunion du conseil d’administration du 12 septembre ne suit pas ses conseils, les analystes financiers prévoient une vente massive.

Olli Rehn est considéré comme un « faucon » monétaire et proche du président de la Bundesbank, Jens Weidmann. Sa déclaration serait donc motivée par le ralentissement de l’économie allemande, mais plus encore par les crises à la Deutsche Bank et à la Commerzbank.

Le 17 août, l’action de Deutsche Bank a plongé au niveau record de 5,8 euros. Rappelons que sa capitalisation boursière est de 12 milliards d’euros, contre 22 milliards de produits dérivés niveau III inscrits au bilan. Sa « bad bank » est censée absorber sept fois plus d’actifs que son capital. En outre, pour vendre ses obligations subordonnées, l’ancienne mégabanque doit offrir une rémunération de 13,5 %.

Aux Etats-Unis, où le rendement des bons du Trésor à 10 ans atteint déjà son minimum historique, on incite la Réserve fédérale à effectuer une série de réductions des taux ou bien d’annoncer une réduction spectaculaire lors de la prochaine réunion du conseil d’administration.

Signalons qu’une politique de taux négatifs est simplement une autre forme d’inflation, dans la mesure où les emprunteurs remboursent moins que le montant emprunté. Une étude publiée en février dernier par les services du FMI examinait les limites d’une telle politique pour suggérer que, afin d’éviter que les déposants ne retirent leur argent des banques faute de rémunération, les espèces devraient également être dévaluées aussi. Un tel système est techniquement réalisable, conclut l’étude, mais à condition de le doter d’un cadre juridique approprié.

... sed perseverare diabolicum

Cette stupéfiante obstination dans le déni de réalité et les choix désastreux qui en découlent ne serait pas complète sans les deux propositions faites lors de la rencontre des banquiers centraux à Jackson Hole, du 22 au 24 août 2019.
La première avait été exposée avant la rencontre dans un article de Bloomberg consacré à une note du mega-fond de gestion d’actifs privés Black Rock défendant l’idée d’un « changement de régime » dans la politique monétaire. La deuxième, avancée par le gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney, propose de remplacer le dollar par une « monnaie hégémonique synthétique ». Ces deux propositions, tout à fait complémentaires relèvent d’une dictature néomalthusienne mondiale pilotée par la City de Londres, ou si l’on préfère, ce que Lyndon LaRouche appelait le nouvel « Empire britannique ».

Mark Carney BoE
Bank of England

Black Rock et Mark Carney sont à l’avant-garde du projet consistant à promouvoir un renflouement du système financier via une « bulle verte » géante, créée par la reconversion de l’économie mondiale en mode « amis du climat » ; les propositions faites à Jackson Hole ne sont que les instruments d’une telle utopie politique.

La proposition de Black Rock consiste à mettre en place une institution rassemblant gouvernements et banques centrales, afin d’injecter directement l’argent entre les mains de bénéficiaires publics et privés. L’article le qualifie d’« aller simple » et s’en remet à l’« indépendance » des banques centrales. L’un des auteurs de la note, l’ancien directeur de la Banque nationale suisse, Philip Hildebrand, en parle en ces termes dans l’article de Bloomberg  : « On va assister à un changement de régime dans la politique monétaire dont le seul précédent connu, en terme d’ampleur, est celui qu’on a vu entre l’avant-crise et l’après-crise, un mélange de responsabilités et d’activités monétaires et fiscales. »

Ceux qui espéraient mettre un terme à l’indépendance des banques centrales et retrouver la souveraineté sur les politiques monétaires feraient mieux de déchanter. Cette proposition mettrait les gouvernements directement sous la coupe des banques centrales. La monnaie qui sera émise par ce mécanisme n’ira pas aux activités productives, mais viendra alimenter directement une dette financière de plusieurs quadrillions que même le Quantitative Easing n’a pas réussi à assécher.

La seconde proposition, présentée par Carney lors de cette conférence des banquiers, appelle à construire un « monde multipolaire » de monnaies « basées sur le virtuel plutôt que sur le physique », suivant le modèle Google baptisé Libra. C’est « le secteur public qui serait le plus à même de fournir cette monnaie, peut-être à travers un réseau de monnaies virtuelles de banques centrales », monnaie qu’on appellerait Synthetic hegemonic Currency (SHC).

« Une Synthetic hegemonic Currency pourrait diminuer l’influence prédominante du dollar américain dans le marché global […] L’influence du dollar sur les conditions financières mondiales pourrait décliner si une architecture financière était développée autour d’un nouveau SHC, venant supplanter la suprématie du dollar sur les marchés de crédits ».

On attend de voir s’élever contre de telles mesures la voix de ceux qui accusent la Chine d’hégémonisme…

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