« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Antonio Güell : Les bénéfices des satellites pour les citoyens, l’exemple de la médecine

18 décembre 2012

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Transcription :

Intervention d’Antonio Güell, docteur en médecine, spécialiste de la médecine spatiale, Toulouse, France.

Je suis catalan, donc il est logique que je parle le français. Je vais vous parler d’un deuxième aspect de l’espace. Vous avez vu Didier Schmitt (l’orateur précédent) qui est le premier extra-terrestre de la journée, je suis le second. Je vais vous parler des satellites, des satellites dans la vie de tous les jours. Je voudrais tout d’abord remercier les organisateurs de l’Institut Schiller de m’avoir invité pour parler de ce thème, que je considère passionnant.

J’ai été médecin pendant quinze ans. J’étais à la faculté de médecine de Toulouse en neuropsychiatrie, et au bout de quinze ans j’ai absolument changé ma vie, puisque j’ai pris une sous-direction au CNES, chargée des applications spatiales, des applications sociétales, des brevets, des transferts de technologie, etc.

Et c’est à ce titre que j’ai terminé mon travail le premier juillet dernier, puisque je suis maintenant à la retraite. Mais je continue à défendre ce que les satellites, globalement, peuvent amener au citoyen.

Le thème de vos journées, de votre conférence, c’est « un nouveau paradigme pour le service de la civilisation ». Paradigme, c’est un mot qui en français peut correspondre à un ensemble d’idées qui bien souvent peuvent permettre d’aboutir à une idée originale et j’insiste sur le mot « originale ». Et nous verrons que ces idées, il est obligatoire de les mener à terme, il est obligatoire d’innover. Le mot « innovation » est un mot qui m’a toujours guidé dans ma carrière de médecin ou au CNES et vous comprendrez pourquoi.

Ces idées peuvent être soit technologiques, soit méthodologiques, soit humanitaires, soit humanistes. Mais dans tout les cas, elles sont issues de la recherche scientifique de base, comme l’a mentionné Didier Schmitt pour l’exploration spatiale au sens large du terme. Et cette recherche scientifique aboutit systématiquement, du moins dans 95% des cas, à de la recherche appliquée amenant un bien être à la population d’un pays, d’un continent ou à l’ensemble des êtres humains.

Mon exposé sera divisé en quatre parties.

Pourquoi innover dans le domaine que j’ai appelé « santé et satellites » ? Je vous donnerai à ce propos deux exemples concrets : un exemple sur l’environnement et un exemple qui touche 7,5% des personnes présentes dans cette sale et je vous dirai tout à l’heure pourquoi. Ensuite, je donnerai quelques conclusions et recommandations en matière d’innovation.

Étant à la retraite, je consulte auprès de l’Institut de médecine spatiale de Toulouse, qui avait été créé à l’époque où l’Agence spatiale européenne, le CNES et le DLR en Allemagne avaient décidé de participer au projet [de navette spatiale] Hermès qui a été abandonné pour des raisons politiques.

Les premiers thèmes

Je crois qu’il est important de souligner que le monde est en train de changer. Je ne parle pas des conflits qu’on vient d’évoquer lors des interventions précédentes, mais je me place en tant que simple médecin au service de la population quel que soit le pays, le continent ou la langue des habitants. Le monde est en train de changer et il va continuer à changer. Il change sur le plan médical parce que les populations vieillissent, que ce soit en Europe, en Amérique ou au Moyen Orient. Quelle est la conséquence immédiate au niveau de la santé publique ? C’est que les maladies chroniques qui affectaient peu de personnes auparavant vont voir leur incidence doubler voire tripler.

Une étude récente a été transmise au Ministère de la Santé, indiquant que si le gouvernement français, et c’est vrai pour tous les gouvernements du monde, ne faisait rien en termes de lutte conte l’obésité, alors 25% de la population européenne sera obèse dans moins de trente ans. Qui dit obésité dit toutes les maladies chroniques dont le diabète. Déjà, 7% des Français sont diabétiques. 6,2% des Allemands sont diabétiques. 5% des Chinois. Vous multipliez 5% par 1,3 milliards, cela fait beaucoup de monde.

Le vieillissement de la population est donc un facteur de changement. Autre facteur de changement, des nouvelles pratiques sociétales avec tout ce qui est télé-quelque chose et domotique. Cela veut dire qu’on est la maison dans son fauteuil et qu’il suffit d’appuyer sur le bouton d’un ordinateur et tout se fait tout seul. Je ne fais plus rien. Je ne fais que la sieste, manger, dormir, la sieste, manger. Je deviens donc sédentaire, deuxième facteur de changement relativement important.

Nous avons hélas, pour des raisons de crise en Europe, et surtout en Europe du sud, nous avons de moins en moins d’argent. Il faut donc qu’on ait des approches que je qualifierais de pragmatiques et de pratiques.

On assiste également à des évolutions techniques et scientifiques, notamment dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, que ce soit par les réseaux terrestres ou satellitaires, que ce soit au niveau des nanotechnologies ou encore des bio-capteurs ou bio-senseurs. Et ceci va aboutir à la genèse de nouveaux services, à des nouveaux métiers, à des nouveaux emplois. Et enfin, sur le plan médical, je ne sais pas si en Allemagne c’est une réalité, mais en France, en Espagne, en Italie et dans pas mal de pays d’Europe, on assiste à une « démédicalisation » des professionnels de santé. Il y a de moins en moins de médecins, d’infirmières, et ceci va poser un problème. Donc, il est absolument nécessaire d’inclure, dans tous ces changements, des réflexions sur la santé publique et vous verrez ce que l’espace peut amener.

Très rapidement, en termes de nouvelles technologies, et elles apparaissent dans les journaux télévisés, en termes de technologies qui sont en développement et dont les résultats sont de plus en plus positifs, il y a tout ce qui est la robotique, tout ce qui est la télé-chirurgie, tout ce qui est l’imagerie médicale. J’ai fait ma neurochirurgie en 1970-71. Quand j’avais un malade qui était hémiplégique, qui avait eu un accident vasculaire cérébral, je n’avais pas de scanner X, je n’avais pas d’IRM. Comment faire le diagnostique ? C’était un peu comme si j’étais un vétérinaire…

Aujourd’hui, les technologies évoluent. Et aussi, ce qui évolue, ce sont les technologies de l’information et de la communication. Toutes ces évolutions ouvrent des perspectives en termes de consultation dans des sites isolés ; en termes de personnalisation des actes médicaux ; en termes de coaching d’un individu et en termes du suivi de la santé chez soi, sans avoir à se déplacer. Cela veut dire qu’essentiellement dans 5-6, 10 ans, du moins pour les nouveaux professionnels de la santé qui s’intéressent aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et aux transmissions, qu’elles soient satellitaires ou terrestres, le malade de l’an 2020 ira de moins en moins à l’hôpital et ce sera l’hôpital qui viendra chez lui. Parce qu’il aura un certain nombre de capteurs, il aura un certain nombre d’outils, il aura toute une panoplie de systèmes technologiques qui permettront de le suivre et de faire des diagnostics.

Les satellites

J’en viens aux satellites maintenant. Les satellites, c’est comme les fusées. Il faut se l’avouer et ne pas se voiler la face. Les satellites le plus souvent, tout comme les fusées, répondent à des demandes militaires. Dans un premier temps. Mais heureusement il y a, dans ces agences spatiales, que ce soit aux Etats-Unis, en Russie, en Europe, en France et au DLR en Allemagne, il y a des gens qui sont relativement humanistes et qui essayent quand même de trouver des applications civiles à ces premières utilisations satellitaires.

Le premier satellite de télécommunication s’appelait « Astérix ». Il s’agissait d’un satellite qui avait été fait en cachette sur ordre du Général De Gaulle, tout simplement parce qu’un militaire avait expliqué au général que ce satellite permettrait d’écouter et de transmettre des informations très rapidement, alors qu’à l’époque on en était encore au Morse. C’était les années 66-67. C’est ce satellite qui a préfiguré les satellites Télécom 1A, Télécom 1B, etc.

Les satellites de positionnement et de navigation (GPS) ont été développés par les Américains et le ministère de la Défense à l’occasion de la première guerre du Golfe. C’est la première fois qu’on a vu sur le marché sortir un certain nombre de GPS. Aujourd’hui, le marché du GPS et le marché de Galiléo demain est énorme.

Le dernier modèle, le satellite d’observation de la terre, qui a été fait à la demande des militaires pour espionner les armées des uns contre les autres, etc. est utilisé aujourd’hui dans des domaines varié, allant de l’agriculture à l’énergie – on a vu cela ce matin avec le repérage des nappes phréatiques dans certains déserts –, à la télé-épidémiologie. Aujourd’hui, la plupart des satellites sont construits dans des buts civils, que ce soit l’observation, la localisation ou la télécommunication. Le marché annuel des services qui utilisent à 100% les satellites civils, je ne parle pas des militaires, est de 100 milliards d’euros par an, réparti de la manière suivante : 75% au service de la télécommunication, 75 milliards d’euros donc, et 90% de cette somme correspond à des bouquets de télévision (CanalSat, Astra, etelsat, etc.). 23 milliards représentent tout ce qui est GPS et Galiléo, les Tom-tom, les échanges bancaires, l’architecture de précision, etc. Le reste, c’est-à-dire 2%, correspond à l’observation de la Terre.

Figure 1.
Les données médicales seront de plus en plus transmises aux centres de soins par satellite. Ici le satellite ASTRA déjà opérationnel pour le projet DIABSAT. (Crédits : ASTRA).

Comment peut-on expliquer ces différences ? Moi j’ai une explication que j’ai vécue pendant un certain nombre d’années au CNES. Lorsqu’on a défini ces satellites, ils correspondaient toujours à des besoins sociétaux, des besoins qui avaient été exprimés par des utilisateurs potentiels, des agriculteurs, des urbanistes, des gens qui allaient utiliser et qui comprenaient pourquoi le satellite allait amener un plus à leur problématique. Alors que pour l’observation de la Terre, cela a été poussé, pour ainsi dire, par le DLR, le CNES, l’ESA, qui ont envoyé leurs ingénieurs. Lesquels ingénieurs ont fait avant tout de l’imagerie, des techniques d’imagerie qui, une fois bien développées, ont été mises sur des plate-formes et là on s’est retrouvé avec des satellites au-dessus de nos têtes sans savoir trop quoi en faire, C’est la triste réalité aujourd’hui du programme GMES (Programme européen de surveillance de la Terre).

1997 a été une année importante pour le CNES ou mes collègues et concitoyens français, car nous avons eu un ministre de tutelle qui s’intéressait beaucoup au mammouth à l’époque, qui était M. Claude Allègre. Je pense que mes collègues français se rappellent pourquoi il s’intéressait au mammouth et aux éléphants. Il avait demandé au Président du CNES de répondre à la question suivante : « Est-ce que les satellites peuvent aider à la santé publique, oui ou non ? Remettez-moi un rapport dans 6 à 8 mois. » Le Président du CNES m’a demandé de monter un groupe de travail. J’avais deux choix. Soit je montais un groupe de travail dit PUSH, c’est-à-dire avec des ingénieurs du CNES, de l’ESA et du DLR avec qui on collaborait, avec l’ASI. Soit je prenais ces gens là, soit je prenais des utilisateurs, c’est-à-dire des représentants des médecins, de chirurgiens, de corps d’infirmiers, de patients, ce que j’ai préféré faire. Et ces gens là ont cerné quatre thématiques. Je n’en mentionnerai que deux aujourd’hui.

La première thématique est ce qu’on appelle la téléconsultation sur site isolé, vous verrez en quoi cela consiste ; la deuxième est la télé-épidémiologie, je vous en parlerai. Et les autres thématiques, que ce soit l’éducation ou le monitoring à domicile, il s’agit de simple transmission de données ou de la collecte et la transmission de données automatique.

La téléconsultation

La téléconsultation : c’est ce qu’on appelle la santé dans les zones isolées. Quelles sont ici les contributions des satellites de communication ? Qu’entend-t-on par zone isolé ? Il s’agit de zones isolées géographiquement : c’est le fin fond de l’Amazonie, le fin fond d’un désert, c’est l’arrière pays niçois, en vérité très isolé, puisque si l’on veut faire une échographie en urgence, il faut attendre entre sept heures et douze jours ! Et nous sommes à 100 km de Nice. Ou encore la Guyane française où il y a 250 000 habitants français, dont 122 000 qui habitent dans des régions situées à deux heures d’hélicoptère du premier hôpital. Dans l’Amazonie brésilienne, c’est la même chose. Voilà pour la zone géographiquement isolée.

On peut également parler de zone isolée lors d’une catastrophe naturelle ou industrielle. Je l’ai vécu à Toulouse, lors de l’explosion de l’usine d’engrais AZF, qui a fait 33 morts et 37 000 blessés, et donc nécessité un très grand nombre d’hospitalisations en deux jours. Il y a tout un quartier de Toulouse qui a été effacé. On ne comprend pas pourquoi il n’y a pas eu plus de morts. La seule manière disponible, lors des deux premiers jours, pour que les médecins puissent communiquer entre eux, pour que les secours puissent communiquer avec les hôpitaux, etc., était le satellite. Cela a été considéré comme une zone isolée. Quand il y a un tremblement de terre ou un tsunami, ou encore un coup d’Etat, la première chose qui est prise d’assaut sont les systèmes de télécommunication terrestre.

Quand on a des satellites de télécommunication ou de positionnement, cela se passe bien. C’est pour cela que Hugo Chavez a réussi à s’échapper, il y a sept ou huit ans, lorsqu’il a été enlevé par la CIA et la police secrète espagnole, parce qu’il avait dans sa poche un système GPS offert par son épouse, qui a permis de le localiser très vite.

Autre cas de site isolé : les bateaux, les avions, les expéditions civiles ou militaires. Un avion comme l’Airbus A380, pour certaines compagnies charter, c’est 1052 passagers. Sur 15h de vol sans interruption, il y a toujours un problème à bord, médical, que les hôtesses ne peuvent pas résoudre. Et que les médecins ne peuvent pas résoudre parce que lorsqu’on demande, au moins en France, s’il y a un médecin à bord, le médecin se fait petit, il se planque et va se cacher dans les toilettes et il ne ressort plus. Pour des raisons de responsabilité. Parce que les Français, en matière de responsabilité médicale à bord des avions, copient tout bêtement les Américains.

Et puis, autre notion de site isolé, ce que j’évoquais pour la région de Nice, est tout simplement le manque de professionnels de santé, que ce soit dans des régions géographiquement isolées, des régions hors métropoles ou ailleurs.

Figure 2.
La télé-échographie est réalisée à l’aide d’un bras robotisé qui reproduit les mouvements de la main de l’échographiste grâce à la sonde d’un échographe placée sur le patient. (Crédits : CNES).

Voici quelques outils qui ont été développés pour la santé grâce au spatial. Celui-ci (voir figure) a été développé avec les financements accordés par Didier Schmitt. Il s’agit d’un système d’échographie, avec une sonde que vous voyez là, qui est positionnée sur le ventre d’un patient, ou sur une partie de l’anatomie d’un patient, et la sonde va être actionnée par un « joystick » à distance, à 100, 1000 ou 15 000 km de là, ou dans la pièce d’à coté. C’est de la « télé-échographie » à distance. Ce sont des outils qui existent déjà. En France, trois PME ont été créées pour produire ce type de matériel.

Le projet DIABSAT

Ceci est un autre produit, un simple camion surmonté d’une antenne satellitaire, qui permet de transmettre des images, des données et des fichiers relativement lourds, depuis l’endroit où il se trouve jusqu’aux hôpitaux. Il s’agit d’outils d’urgence médicale, puisqu’on a dit que la première chose qui était rompue et qui disparaissait lors d’une catastrophe naturelle, ce sont les télécommunications. Ce sont des outils qui ont été déployés par la protection civile française. Là vous voyez des containers (figure), c’était lors de la crise d’Haïti en janvier 2010. Et là (figure) c’est un petit outil, qui est aujourd’hui encore plus miniaturisé qu’ici, qui correspond à un ordinateur, des systèmes d’électrocardiographie, de mesures de la pression artérielle, c’est-à-dire de paramètres médicaux, qui sont collectés et transmis automatiquement vers les hôpitaux.

Le projet DIABSAT associe le mot diabète avec satellite. En France, en Espagne, en Italie, dans beaucoup de pays européens, il y a de plus en plus de diabétiques. 80% d’entre eux ne sont pas au courant qu’ils le sont et ne s’en rendent compte que lorsqu’ils ont une complication. Quatre complications sont mortelles. Le fait de devenir aveugle, le fait de faire un infarctus ou un accident vasculaire cérébral, le fait de perdre la totalité de ses reins et toute la sensibilité de ses membres inférieurs.

Avoir rendez-vous avec un ophtalmologiste, un neurologue, un cardiologue ou un néphrologue est un parcours du combattant. A paris il faut au minimum 6 mois, à Toulouse entre 12 et 15 mois pour avoir un rendez-vous avec un ophtalmologiste. On a mis tous les examens qui correspondent à ces quatre spécialités dans ce camion. Ce camion est conduit non pas par un médecin mais par une infirmière, et il va se promener dans des régions rurales, dans des villages ruraux de la région Midi Pyrénées, de la région PACA, en Bourgogne et ailleurs. Nous avons commencé une étude il y a trois ans, qui s’est terminée avec une cohorte de 2000 patients. Aujourd’hui toutes les structures responsables de la Santé publique en France au niveau régional ont commandé entre 1 et 3 camions de ce type pour leurs régions.

Voilà donc un exemple de quelque chose qui va utiliser des techniques satellitaires pour la collecte et la transmission des données vers l’hôpital et qui va être bénéfique. Le coût des quatre examens, amortissement du camion et salaire de l’infirmière inclus, revient à 105 euro. Quatre examens de spécialité à 105 euro, sans avoir à se déplacer, car un des facteurs du « trou » de la sécurité sociale en France n’est pas celui des examens médicaux mais celui des déplacements que font les patients, les déplacements dits « médicalisés ».

Figure 3.
Avec sa parabole sur le toit, un camion itinérant DIABSAT (Crédit photo : CNES).

DIABSAT est un camion qui pourra faire cinq types de tests : étudier le fond de l’œil, les vaisseaux, la sensibilité, les ponts de pression au niveau des pieds et la fonction rénale. Ceci n’est pas du dépistage du diabète, mais du dépistage de complications du diabète, ce qui est différent. Pour le diabète, il faudrait dépister la population entière.

Le programme a commencé en octobre 2010 et doit prendre fin décembre 2012. Jusqu’en juin 2012, il y a eu environ 1000 cas de complications pour 3200 tests effectués. Sur 1000 tests environ, 240 personnes, soit 24 %, ont dû être hospitalisées d’urgence, c’est-à-dire qu’elles étaient soit en train de devenir aveugles, soit en état d’insuffisance rénale aiguë, soit souffrant d’une angine de poitrine ou avaient une artère en train de se boucher, ou soit avaient un mal perforant plantaire, c’est-à-dire un trou dans le pied qui ne guérissait

Résultats pathologiques obtenus :

  • rétinopathie : 19%,
  • néphropathie : micro-albuminuria 27%,
  • artériopathie des membres inférieurs : 21%,
  • neuropathie des membres inférieurs : 15%,
  • risque d’ulcère du pied : 17%.

Coûts :

  • investissement (fourgonnette, équipements médicaux…) : 124 000 €,
  • frais de fonctionnement (12 mois temps plein) : 145 000 €

Voilà donc les pourcentages exacts, le coût de développement d’un camion, avec tout le matériel inclus et les communications satellitaires, et le coût de fonctionnement pour une période de douze mois avec une infirmière à plein temps.

La mousticologie

L’autre exemple que je voulais vous donner, relève de ce que j’appelle la « mousticologie », une spécialité catalane. Il s’agit de toutes les maladies qui sont en relation avec les vecteurs volants, que ce soit les moustiques ou des oiseaux.

Il faut savoir qu’il y a, sur la planète, 3,5 milliards d’individus qui font partie des populations dites « à risque » pour ce qui concerne 4 maladies : toux et fièvres hémorragiques, paludisme (2 millions de morts par an dont la moitié des enfants), les méningites et le choléra. Ces quatre maladies sont dites « environnemento-dépendantes », c’est-à-dire qu’elles sont en relation avec des modifications environnementales du pays considéré, essentiellement des modifications climatologiques. Cela veut dire tout ce qui est proche de l’eau : les pluies, l’hygrométrie, la température, qui sont des facteurs qui vont favoriser l’apparition de populations de moustiques.

Ce matin, un orateur nous a parlé des projets d’irrigation en Égypte entre le canal de suez et le Sinaï. Deux ans après la réalisation de ces projets, est apparu la fièvre de la vallée du Rift (FVR), qui est une fièvre qui est importée par les bovins, par les camelins et les ovins, et qui venait de Maurétanie via le Soudan pour s’installer en Égypte.

En modifiant l’environnement, les moustiques ont pu transmettre cette maladie des animaux à l’homme. Jusqu’au jour de Pâques de l’année dernière (2011), sur le territoire français, il y avait un seul département qui était dit à risque pour les maladies liées aux moustiques. Le Journal officiel, via le ministère de la Santé, a publié les noms de quatre autres départements. Au début, il ne s’agissait que des Alpes maritimes, puis s’y sont ajoutés le Var, le Vaucluse et les Bouches du Rhône. Donc, toute la partie sud-est de la France, où on commence à voir les prémices de ce qui pourrait être dans 7-10 ou 20 ans un climat subtropical, avec une multiplication des vecteurs favorisant ce genre de maladies.

Qu’est ce qui est associé à ce genre de changements climatiques et environnementaux ? La population croît de plus en plus, et 50% de cette population est exposé à des maladies associées à des changements climatiques, je vous ai dit lesquelles. On assiste donc à la ré-émergence de toute une série de pathologies, avec des épidémies relativement ponctuelles. Cette ré-émergence entraîne, toutes maladies confondues, quatre à cinq millions de morts par an dans le monde, dont la moitié sont des enfants, ce qui est relativement important. Et une mortalité animale de dix à quinze millions par an. Pour la malaria, liée aux moustiques, 50 % de la population mondiale est exposée, avec 250 millions de cas par an, et 1 millions de morts (OMS 2010). On voit donc que l’impact du changement climatique est relativement important.

On a mis en place une méthodologie baroque, comme à Barcelone où il y a eu un architecte baroque qui s’appelle Gaudi, c’est-à-dire qu’on a fait du baroque en télé-épidémiologie, un mot qui ne figure pas dans le dictionnaire. Il s’agit d’associer un certain nombre de données qu’on recueille au sol – dans le département, dans la ville, dans la région ou le pays donné – avec des données observées à partir de satellites d’observation de la Terre, cette fois ci à l’échelle du pays ou du continent, en termes de végétation, de pluviométrie, d’hygrométrie. On va ensuite combiner ces données, les mettre dans une cocotte minute, et on va sortir une modélisation mathématique qui va nous permettre d’établir des cartes à risque permettant de dire : « Messieurs les ministres du Tourisme et de l’Agriculture du Sénégal, entre les mois de février et de mai 2013, la probabilité qu’il y ait une épidémie de Fièvre de la vallée du Rift, ou de paludisme entre Dakar et Tambacounda est de 80%. Mettez donc en place les programmes d’éradication des moustiques appropriés ».

Figure 4.
Images spatiales du site de Barkédji (Sénégal) délivrées par le satellite Spot 5 à une résolution de 10 m, le 26 août 2003. (Crédits : CNES/ Spot Images).

Voilà un exemple de la FVR appliquée au Sénégal (voir image). Ceci est une image brute d’observation du satellite SPOT. Après traitement de ces données (avec des données du sol, des données vétérinaires, des us et coutumes, sur la hauteur de mares, sur la vitesse de vidange de l’eau) on arrive à établir cette carte.

Figure 5.
Images satellitaires de la même région après traitement (CNES).

Les zones les plus noires sont vraiment des zones où il ne faut plus aller, les zones rouges, les zones à fort risque et les zones jaunes, où on peut se promener en se protégeant bien contre les moustiques. Ces cartes peuvent être faites tous les trois jours et sont fournies aux organismes demandeurs. Même réflexion pour le paludisme urbain. On arrive aujourd’hui à déterminer dans une ville comme Dakar et dans d’autres villes d’Afrique subéquatoriale, les endroits où les moustiques, les anophèles femelles, vont prédominer et où sont les endroits à risques. Ces cartes sont données également à l’Office du tourisme du Sénégal, une fois par semaine. Même chose dans l’exemple du Burkina Faso concernant le paludisme, la malaria, en zone rurale.

Ce type de démarche a pris sept ans. Lorsque je suis allé voir le chef du programme SPOT en lui disant « Michel, je pense que les médecins seraient intéressés d’étudier les images d’observation de la Terre pour leurs pathologies », je croyais qu’il allait me tuer ou me renvoyer du CNES parce qu’il m’a pris vraiment pour un fou ou un baroque. On a mis sept ans à démontrer que c’était valide et aujourd’hui il y a à peu près 22 réseaux qui sont implantés, en Amérique du Sud, en Afrique ou en Asie. Il y a quatre sociétés, des PME-PMI de 7 à 10 personnes, qui ont été créées, qui font uniquement le traitement de ce type d’images. C’est déjà donc une réalité, qui prendra encore plus d’ampleur dans les années à venir.

En conclusion je dirais que l’utilisation des satellites pour aider la médecine, dans le domaine des épidémies, ou dans le domaine de la désertification médicale et des sites isolés, c’est une réalité aujourd’hui. C’est une très bonne réponse à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment pour tout ce qui est en relation avec l’environnement et le changement climatique.

En termes de prospection, il faut maintenant transférer tout ce savoir faire dans toutes les régions françaises ainsi que dans d’autres pays et continents et il ne faut pas s’obséder par le prix. En vérité, le prix des télécommunications via satellites n’est plus 15 dollars les 10 secondes comme c’était le cas avec INMARSAT il y a sept ou huit ans. Aujourd’hui, on est à 0,5 euro si on utilise GLOBALSTAR ou plutôt RAYA. Il faut intégrer ces outils et ces approches dans les systèmes de soins, et les adapter aux besoins des patients. Ce sont eux, et les médecins, qui décident, ce ne sont pas les ingénieurs et encore moins les agences spatiales.

La conclusion de la conclusion ? Si l’on veut avoir un nouveau paradigme en termes de recherche spatiale et sociétale, il faut innover. C’est le mot clef, surtout dans la santé.

Innover, n’est pas facile, car lorqu’on est conservateur on ne veut pas innover (regardez ce qui se passe en France entre MM. Copé et Fillon…) Il faut changer. Il faut avoir envie de changer. Avoir envie de changer une procédure, une approche, une mentalité. Faire comprendre, comme on a tenté de le faire ici, que l’Iran est en mauvaise posture uniquement parce que 5-6 personnes le veulent, des chefs d’Etat qui le veulent pour des raisons qui ne sont pas très claires.

Il faut avoir une approche utilisateur. Ce n’est pas aux ingénieurs, aux fabricants de satellites, aux polytechniciens ou aux énarques dans des cabinets de décider. Ce sont les utilisateurs : les fermiers, les diabétiques, les agriculteurs, les psychiatres. Et cela, dans les mentalités, n’est pas au point.

Il faut aussi avoir une approche intégrative. Parce que tout ce que j’ai mentionné, on a rien inventé, tout existe. Il suffit d’intégrer. On a quelque chose qui est vraiment extraordinaire en Allemagne et en France, c’est le programme Airbus. Airbus, c’est de l’intégration. Un bout est fabriqué en Angleterre, un autre en Allemagne, un autre en Espagne, et puis il y a deux sites qui se partagent l’intégration, c’est Hambourg et Toulouse, et ces deux villes connaissent un développement économique extraordinaire. Donc il ne faut pas oublier cette approche intégrative et éviter de réinventer ce qui existe.

Et puis il faut avoir des idées révolutionnaires. Plus une idée est révolutionnaire, plus elle risque de passer. Il faut avoir des idées révolutionnaires et ne pas avoir peur de les exprimer. Je reviens au spécialiste des mammouth dont je parlais tout à l’heure. Ce spécialiste, je connaissais très, très bien son cabinet, avait à peu près 10 idées par jour. Cela fait 40 idées par semaine et 120 par mois. Il en sortait 1 par mois, révolutionnaire, mais c’est déjà très bien. Et puis il faut être responsable et authentique, être honnête. Il ne faut pas demander de l’argent pour satisfaire les actionnaires mais pour mettre en œuvre telle ou telle innovation.

Si l’on regarde l’ensemble de ces données en termes d’applications spatiales, je rajoute à la santé, à la défense et à la sécurité d’autres domaines comme l’agriculture, l’eau, l’énergie, le transport aérien, terrestre ou maritime. Pour le spatial appliqué au domaine de la santé, ont été créées en France 47 PME à la date du mois de juillet dernier, employant environ 1250 personnes, c’est-à-dire environ une trentaine d’employés par entreprise. Et pas loin d’un milliard d’euro de chiffre d’affaire annuel. Quand on s’intéresse à « citoyenniser » l’utilisation des satellites, dans un but citoyen et humain, on peut faire de très belles choses.

Merci de votre attention.

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