« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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29 juillet 2015
Le Plan d’action conjoint (JCPA), conclu le 14 juillet à Genève entre l’Iran et le groupe P5+1, pourrait être salué comme un grand changement positif de la politique mondiale, si ce n’était le manque de transparence et de bonne volonté de la part des grandes puissances, en l’occurrence Washington et le président Obama en personne, ainsi que Londres, qui poursuivent conjointement leur politique de changement de régime au Moyen-Orient et de provocation à l’égard de la Russie et de la Chine.
A première vue, le JCPA est un pas important vers une solution diplomatique aux problèmes de sécurité bien épineux au niveau mondial. S’il est prouvé qu’il respecte bien les termes de l’accord, l’Iran bénéficiera d’un relâchement des sanctions terriblement contraignantes imposées par les Nations unies, les États-Unis et l’UE. L’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), dont le directeur général, Yukia Amano a signé le 14 juillet une « feuille de route » avec le vice-président iranien Ali Akbar Salehi, se chargera des vérifications. Les inspecteurs de l’AIEA se verront accorder un accès régulier aux sites nucléaires iraniens.
La condition la plus importante en échange est que l’Iran devra amputer de 98 % ses stocks d’uranium enrichi, et réduire le nombre de centrifugeuses de 19 000 à 6000 pour au moins 15 ans. L’Iran renonce aussi à enrichir l’uranium à plus de 3,7 % pendant la même période et à construire des installations d’enrichissement ou de production d’eau lourde. Une seule usine d’enrichissement sera conservée, utilisant des centrifugeuses de première génération. Les autres installations seront converties pour éviter tout risque de prolifération.
Les négociations, qui ont traîné pendant plus de dix ans, étaient cependant fondées sur une fausse prémisse : l’idée que l’Iran travaillait à fabriquer une arme nucléaire. Même les agences de renseignement américaines ont reconnu dans leurs « rapports d’évaluation » de 2007 et de 2011 que cette affirmation ne pouvait être prouvée. L’Iran a toujours nié sa volonté de développer l’arme nucléaire et le guide spirituel suprême, l’Ayatollah Khamenei, a même publié un décret religieux, une fatwa, interdisant le développement d’armes nucléaires ou chimiques.
Cependant, l’Iran a toujours insisté sur son droit à développer et utiliser la technologie nucléaire, et ses négociateurs et dirigeants politiques ont annoncé à juste titre qu’ils avaient gagné cette bataille le 14 juillet. D’autre part, le président Obama a déclaré qu’il avait remporté une victoire majeure en empêchant l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire.
En tout état de cause, la collaboration des responsables russes et chinois avec l’équipe américaine du secrétaire d’État John Kerry a beaucoup contribué à la conclusion d’un accord. Désormais, si les sanctions économiques sont réellement levées, l’Iran pourra devenir une puissance économique et un marché régional majeurs. Au-delà, la stratégie de la Nouvelle route de la soie de coopération entre l’Est et l’Ouest se verra propulsée dans une toute nouvelle dimension.
Au-delà des manœuvres politiques, l’accord conclu avec Téhéran comporte des aspects positifs et négatifs. Côté positif, le JCPA a prouvé que la diplomatie est plus efficace que la guerre pour résoudre les conflits et les litiges, contrairement au choix fait par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’OTAN depuis au moins la Guerre du Golfe de 1991.
Pour le coté négatif : la première déclaration de Barack Obama sur le JCPA contenait des menaces contre l’Iran, comprenant le recours à la force militaire, « au cas où » le pays ne respecterait pas tous ses engagements. Ceci montre que l’objectif d’Obama n’est pas de défendre la paix mais de redorer son image ternie d’homme de paix, et de laisser derrière lui un legs plus ou moins symbolique, que pourra renverser tout président ou Congrès à venir.
Le monde n’a pas oublié qu’en dépit du fait que l’Irak de Saddam Hussein s’était entièrement plié aux inspections de l’ONU sur les armes de destruction massive, et en dépit du fait qu’il n’en possédait pas, ce que Washington et Londres savaient parfaitement, le pays a été envahi en 2003 et son président pendu par la suite, provoquant un chaos et des conflits sanglants qui se poursuivent encore aujourd’hui.
Le président libyen Mouammar Kadhafi avait lui aussi cédé et remis aux autorités internationales son arsenal d’armes nucléaires, sans obtenir en contrepartie d’assurance contre une invasion de l’OTAN, réalisée avec l’aide des terroristes islamistes qui l’ont exécuté en 2011, plongeant le pays dans le chaos.
Pendant ce temps, l’hystérie générale que ce plan a déclenchée en Israël et en Arabie saoudite n’augure rien de bon pour la région. Les deux pays ont juré de bloquer tout accord, s’engageant dans une guerre par procuration contre l’Iran et ses alliés dans l’ensemble de la région. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu n’a pas caché sa volonté d’utiliser la force militaire contre les installations nucléaires iraniennes. Mais sans le soutien des Etats-Unis, il ne le fera pas, et tous les experts en sécurité en Israël connaissent les conséquences catastrophiques que cela pourrait entraîner.
Face aux desseins d’Israël et de l’Arabie saoudite, il est essentiel que les Etats-Unis et l’UE refrènent les ardeurs de leurs deux alliés.
Bien que le JCPA ait été accueilli en Iran, et même en Europe et aux Etats-Unis, comme une grande percée – ce qu’il est effectivement, du moins potentiellement – la route vers la paix est encore longue et semée d’embûches.