« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller
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21 janvier 2022
par Fred Haight
. Nous avons déjà parlé du sens de l’héroïsme de Beethoven, ainsi que de la puissance et de l’optimisme exprimés dans sa troisième symphonie, son unique opéra Fidelio et l’ouverture d’Egmont.
Cependant, l’étude de la tragédie est, paradoxalement, un élément important dans toute recherche d’une issue positive pour la société. Il ne s’agit ici pas de la manière habituelle dont les gens utilisent le terme aujourd’hui, par exemple dans le sens d’une catastrophe naturelle, mais de ce qui se passe lorsque les défauts d’un dirigeant et d’une société entraînent échec et trahisons.
Heinrich Joseph von Collin a écrit sa pièce, Coriolan, en 1804, l’année où Napoléon s’est couronné empereur. Cette même année, Beethoven a rayé la dédicace de sa troisième symphonie à Bonaparte, se lamentant que Napoléon ne serait plus qu’un tyran parmi d’autres, et qu’il piétinerait les droits des hommes. La même année, Schiller crée sa dernière pièce, Guillaume Tell, qui célèbre l’ancien triomphe des Suisses ordinaires sur la menace d’assujettissement par l’Empire des Habsbourg.
L’année suivante, en 1805, l’armée française a occupé Vienne, entraînant la fuite de nombreux dirigeants de la ville. Von Collin était un opposant à l’occupation française et il semble également avoir appartenu à des réseaux diplomatiques. Il était non seulement familier de Shakespeare, mais également un classiciste au sens de l’étude approfondie de la Grèce et de la Rome antiques. En 1807, sa pièce fut jouée avec en prélude un morceau composé par Ludwig van Beethoven. La pièce de Von Collin est une réécriture pour un public allemand de l’histoire de Gaius Marcius Corialanus, sur laquelle Shakespeare a également écrit une pièce Coriolanus. Nous utiliserons la pièce Coriolanus de Shakespeare, complétée par les écrits historiques de Tite-Live et de Plutarque, pour donner un bref compte-rendu de cette tragédie d’un chef militaire imparfait et d’une République romaine imparfaite.
Gaius Marcius Coriolanus a été promu général après avoir fait preuve d’un grand courage personnel en battant les Volsques dans la ville de Corioli, et a reçu le nom honorifique de Coriolanus. Il s’est efforcé de briguer un poste politique plus élevé, mais il avait un défaut majeur, celui de mépriser les gens ordinaires, les plébéiens. Coriolanus était loins d’être le seul dans ce cas. Il y avait en effet dans l’Empire romaine une profonde division entre plébéiens [1] et patriciens [2]. Pour être promu, il lui fallait gagner leur approbation, mais il refusait absolument d’obéir au rituel standard consistant à leur montrer ses blessures de guerre. Pire encore, c’était un spéculateur, qui accumulait les céréales alors que le peuple mourait de faim et n’hésitait pas à insulter le peuple en le traitant de « corbeaux picorant des aigles ». En conséquence, Coriolanus, le héros de guerre, finit par être a été exilé de Rome. Son ego blessé, il devient si enragé qu’il se rend chez ses anciens ennemis, les Volsques, et propose de prendre la tête de leur armée pour attaquer Rome. Ensemble, ils marchent sur Rome. Les Romains sont si effrayés qu’à l’approche de Coriolanus et des Volsques, ils envoient la mère de Coriolanus, sa femme et ses enfants pour le dissuader et, à force de supplications, l’amènent à céder. Ainsi, celui qui fut un héros mais qui s’avéra incapable de résister à son égo fait dorénavant figure de traître, tant pour les Romains que pour les Volsques, que se trouvaient aux portes de Rome.
Dans la pièce de Shakespeare, il est assassiné. Dans celle de von Collin, il se suicide.
La pièce de Shakespeare Jules César, aborde cette même problématique caractéristique de la République romaine (et qui pourrait rappeler d’autres Républiques modernes ...) : un gouffre béant entre le peuple et ceux qui sont au pouvoir - les plébéiens et les patriciens. Les patriciens n’avaient aucun respect pour les plébéiens, et les plébéiens étaient inconstants, ayant perdu tout sens de loyauté envers les patriciens. En 1804, cette histoire résonne puissamment dans les esprits, alors que la Révolution française sombre dans la terreur, que les « sans-culottes » décapitent en masse tout ce qui s’apparente à l’ordre haï et qu’un grand général, qui avait promis de libérer le peuple, devient un tyran.
L’interprétation de l’Ouverture de Coriolan proposée ici est dirigée par Wilhelm Furtwangler, et a été enregistrée en 1943, en plein cœur d’une tragédie une tragédie encore bien plus sombre.
[1] Citoyens du peuple, ne jouissant pas des droits réservés aux patriciens.
[2] Classes « supérieures », généralement des familles installées de longue date et détenant diverses prérogatives politiques et religieuses.