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Pourquoi une France gaulliste doit naturellement s’allier aux BRICS

Intervention d’Alain Corvez, Colonel (cr), conseiller en stratégie internationale, ancien conseiller du Général commandant la Force des Nations unies au Sud Liban (FINUL)

13 février 2015

Alain Corvez, Colonel (cr), conseiller en stratégie internationale, ancien conseiller du Général commandant la Force des Nations unies au Sud Liban (FINUL)

Au moment où la politique monétaire de l’Union européenne est au bord de l’éclatement, et sans doute aussi sa construction politique technocratique, parce qu’elle a été basée dès le départ sur des postulats faux, inspirés uniquement par l’idéologie supranationale qui prévaut depuis les origines et que seule la période gaulliste avait contrariée un temps, il est bon de s’interroger sur les raisons profondes de ces échecs, désormais patents, qui ont engendré désindustrialisation et chômage dans la plupart des pays qui composent ce malheureux ensemble de nations.

L’idéologie absolument libérale dont le principe est inscrit dans le marbre des traités européens, vise à supprimer tous les obstacles au commerce en permettant une « concurrence libre et non faussée », c’est-à-dire à supprimer les frontières et les particularismes culturels du continent. Il s’agit de créer un glacis européen entièrement ouvert aux prédateurs de la finance internationale, dont les donneurs d’ordres sont à la City et à Wall Street, glacis qui empêche ainsi la naissance d’une Europe politique qui serait nécessairement une rivale des États-Unis et devrait évidemment se rapprocher de la Russie, économiquement et stratégiquement.

On voit bien que la Commission prépare en secret et sans consulter les États la signature avec le Canada et les États-Unis de traités transatlantiques qui entérineraient cet assujettissement. Heureusement des voix s’élèvent depuis peu en France, à l’Assemblée nationale et au Sénat, pour dénoncer cette forfaiture et des propositions de lois sont déposées dans ce sens.

Cette idéologie a pu s’exprimer grâce à une fausse idée des réalités qui suivirent le dernier conflit mondial : l’horreur de la guerre a fait croire qu’on pouvait se prémunir contre son retour par une entente de type fédéral entre les États européens supprimant les égoïsmes nationaux. Ainsi, d’après ses thuriféraires, l’UE aurait imposé la paix en Europe, alors que la vérité est absolument inverse : c’est parce que les États européens n’avaient plus de raison et d’envie de se faire la guerre que les idéologues de l’Europe supranationale ont pu faire avancer leur projet. Mais les grandes réussites industrielles européennes ne doivent rien à cette UE et tout à des accords entre États qui ont mis en commun leurs projets pour avancer, notamment dans l’aéronautique et l’espace, préservant leurs intérêts nationaux en s’alliant à ceux qui pouvaient les partager.

Imprégné de philosophie humaniste et chrétien convaincu, le général de Gaulle avait une immense culture et son intelligence hors du commun lui faisait envisager l’avenir de la France au sein de l’humanité tout entière. Il rappelait, à tous les pays du monde qu’il visitait, que la valeur suprême était la personne humaine et qu’il fallait d’abord la respecter, quelles que soient sa race et sa culture. Il répétait partout qu’il fallait respecter le droit des peuples à disposer eux-mêmes de leur destin et que le devoir des plus forts était d’aider les plus faibles, de même que les majorités devaient prendre en compte les droits légitimes des minorités.

C’est pourquoi il était acclamé par les foules en Asie, en Amérique Latine et en Afrique quand il dénonçait la politique des blocs et des impérialismes. Nul doute qu’il a été un promoteur de l’idée d’un nouvel ordre mondial s’inspirant de ces principes et qu’il a appelé, à une époque où régnait l’équilibre de la terreur nucléaire, à l’établissement entre tous les peuples de la terre de relations respectueuses des particularismes nationaux, appelant les plus forts à aider les plus faibles.

En 2007 à Munich, le président Poutine avait fait un discours remarquable lors d’une réunion de l’OSCE, affirmant qu’un nouvel équilibre du monde se mettait en place avec la fin des hégémonies et qu’il fallait s’y adapter. Il ajoutait que la démocratie devait s’imposer partout mais qu’elle devait respecter les différences de races, de cultures et d’opinions, et qu’elle ne consistait pas à l’oppression de la ou des minorités par une majorité autoritaire et dominatrice mais à la prise en compte de l’ensemble des aspirations des populations.

Plus récemment, une résolution des Nations unies a appelé la communauté internationale à s’engager dans de nouveaux rapports entre les Etats, reconnaissant les différences mais les respectant, invitant les nations à défendre leurs intérêts justifiés avec modération et à rejeter les extrémismes porteurs de violence.

Cette résolution (N° A/RES/68/127, adoptée par l’Assemblée générale le 18 décembre 2013) encourage les nations à défendre leurs intérêts avec modération par le dialogue et le respect des différences afin de bâtir « un monde contre la violence et l’extrémisme », ainsi que l’avait proposé le président iranien Rouhani lors de son discours à la 68e session de l’ONU le 24 septembre 2013, initiateur de cette résolution.

Il faut noter le peu d’écho que cet important événement a eu dans les médias occidentaux.

De même, les différents accords de coopération que les BRICS et d’autres États d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, concluent pour organiser leurs échanges économiques, politiques et stratégiques sont peu ou pas rapportés en Occident, qui doit trouver ces ententes dirigées contre lui et cherche à minimiser leur importance.

Pourtant ces accords n’ont d’autre but que de résister à la domination du système dollar dirigé par les États-Unis et proposent à tous ceux qui y verraient un intérêt, de se joindre à eux dans un système « gagnant-gagnant ». Alors qu’elle pourrait se joindre à ces efforts pour organiser un nouveau monde plus harmonieux, la superpuissance américaine y voit une activité hostile et s’efforce de construire des alliances opposées, en Asie où elle cherche à contrer la Chine et son « collier de perles » , aux Amériques en créant un marché commun américain, en Europe en voulant nous lier par des traités léonins. Mais elle va plus loin en alimentant des tensions guerrières partout dans le monde, qui ont pour but de pérenniser sa tutelle sur de nombreux pays. L’arme nucléaire étant détenue par les protagonistes des camps qui s’affrontent ainsi, l’inquiétude ne peut que grandir chez les amoureux de paix lorsqu’on observe ses positions belliqueuses, comme en Ukraine où elle veut forcer la main aux Européens, qui réalisent enfin la proximité du danger de l’affrontement avec la Russie et semblent chercher une issue honorable pour tous. Ce qui se passe au Moyen-Orient à feu et à sang serait trop long à décrire ici, mais les experts savent l’origine des terroristes islamistes et comment cette engeance de mort a servi jusqu’ici les intérêts des États-Unis et d’Israël, qui n’ont toujours pas abandonné l’idée de renverser le pouvoir légal en Syrie avec ces mercenaires fanatisés.

Pourtant, le deuxième mandat du président Obama avait soulevé des espoirs que j’avais indiqués dans un article publié par la Revue Défense nationale [1] , où je mentionnais les déclarations encourageantes de Chuck Hagel, encore simple sénateur du Nebraska avant qu’il ne prenne ses fonctions à la Défense.

Il faut donc promouvoir les accords économiques et stratégiques avec ce monde multipolaire qui n’est plus une chimère, mais une réalité qui se renforce chaque jour, accords « gagnant-gagnant » qui apporteront à notre planète l’harmonie de relations équilibrées, où les inévitables conflits d’intérêts seront résolus par le dialogue et la conciliation en affirmant « la paix est toujours possible », au lieu de « l’option militaire est sur la table ».

Notre continent européen doit organiser des échanges constructifs avec son bassin méditerranéen et son proche et moyen Orient, et se tourner vers son extrême orient asiatique pour lequel la Russie est la passerelle incontournable. Dans un tel système « gagnant-gagnant », la Chine, dont la puissance économique et stratégique croît patiemment mais inexorablement, ne doit pas être regardée comme une menace, mais comme un partenaire qui a besoin de se fournir en sources d’énergie qui lui font défaut et avec lequel on doit équilibrer nos échanges.

En conclusion, voici quelques citations du Général de Gaulle qui attestent qu’il est le précurseur de la promotion de cet état d’esprit, à une époque où pourtant, les rapports de force dans le monde laissaient peu de chances à l’établissement d’ententes cordiales entre tous les États du monde :

Charles De Gaulle

Discours prononcé le 22 novembre 1944 à l’Assemblée consultative au sujet de l’organisation du monde après la victoire finale sur l’Allemagne :

«  nous sommes devenus plus attentifs que naguère aux réalités pratiques, nous nous déclarons toujours fidèles à cette conception morale et humaine de la politique en vertu de laquelle chaque peuple, s’il est capable de porter la charge de la liberté, a le droit strict de le faire pourvu qu’il n’en use pas pour nuire aux autres.

« (…) Nous considérons que dans le monde, tel qu’il évolue, c’est-à-dire de plus en plus réduit dans ses dimensions, aussi bien pour ce qui concerne les échanges de la paix que pour les actions de la guerre, les droits de chacun intéressent les droits des autres. »

S’adressant aux universitaires mexicains lors de son voyage au Mexique en mars 1964, il leur délivra ce message philosophique et politique, d’une frappante actualité cinquante ans après, démontrant une fois encore l’immense visionnaire qu’il était :

« En effet, par-dessus les distances qui se rétrécissent, les idéologies qui s’atténuent, les politiques qui s’essoufflent, et à moins que l’humanité s’anéantisse elle-même un jour dans de monstrueuses destructions, le fait qui dominera le futur c’est l’unité de notre univers ; une cause, celle de l’homme ; une nécessité, celle du progrès mondial, et, par conséquent, de l’aide à tous les pays qui le souhaitent pour leur développement ; un devoir, celui de la paix, sont, pour notre espèce, les conditions mêmes de sa vie. »

Conférence de presse à l’Élysée le 9 septembre 1965 :

« .… C’est ainsi que, tenant pour bon qu’un système international aménage les rapports monétaires, nous ne reconnaissons à la monnaie d’aucun État en particulier aucune valeur automatique et privilégiée par rapport à l’or, qui est, qui demeure, qui doit demeurer, en l’occurrence, le seul étalon réel. C’est ainsi qu’ayant été, avec quatre autres puissances, fondateurs de l’ONU et désirant que celle-ci demeure le lieu de rencontres des délégations de tous les peuples et le forum ouvert à leurs débats, nous n’acceptons pas d’être liés, fût-ce dans l’ordre financier, par des interventions armées contradictoires avec la Charte et auxquelles nous n’avons pas donné notre approbation. D’ailleurs, c’est en étant ainsi ce que nous sommes que nous croyons le mieux servir, en définitive, l’alliance des peuples libres, la communauté européenne, les institutions monétaires et l’Organisation des Nations unies… En effet l’indépendance ainsi recouvrée permet à la France de devenir, en dépit des idéologies et des hégémonies des colosses, malgré les passions et les préventions des races, par-dessus les rivalités et les ambitions des nations, un champion de la coopération, faute de laquelle iraient s’étendant les troubles, les interventions, les conflits, qui mènent à la guerre mondiale.

« (…) La même entente des mêmes puissances qui ont les moyens de la guerre et de la paix est, pour la période historique que nous traversons, indispensable à la compréhension et à la coopération que le monde doit établir entre toutes ses races, tous ses régimes et tous ses peuples, à moins d’aller, tôt ou tard, à sa propre destruction. Il se trouve, en effet, que les cinq États, dont dépend en définitive le destin de l’Asie du Sud-est et qui, d’ailleurs, sont ceux qui détiennent les armes atomiques, ont fondé en commun, il y a vingt ans, l’Organisation des Nations unies pour être les membres permanents de son Conseil de sécurité. Ils pourraient demain, s’ils le voulaient, et dès lors naturellement qu’ils y seraient ensemble, faire en sorte que cette institution, au lieu d’être le théâtre de la vaine rivalité de deux hégémonies, devienne le cadre où serait considérée la mise en valeur de toute la terre et où s’affirmerait, par là, la conscience de la communauté humaine. Il va de soi qu’un tel projet n’a actuellement aucune chance de voir le jour. Mais s’il devait jamais apparaître que le rapprochement, puis l’accord, des principaux responsables du monde fussent possibles à cette fin, la France serait, pour sa part, toute disposée à y aider. »


Notes

[1La crise syrienne : un révélateur tragique de la naissance du nouvel ordre mondial, par Alain Corvez, Revue défense nationale, 2012.
Extrait :

La nouvelle équipe dirigeante que le président Obama s’est choisi, John Kerry aux Affaires étrangères et Chuck Hagel à la Défense, veut adapter l’Amérique à ce nouveau monde. Ils ont clairement indiqué que les EU ne doivent plus intervenir militairement pour régler les crises, ce qui coûte trop cher en dollars et en vies humaines, mais s’efforcer d’y parvenir par la négociation.

En mai 2012, avant même d’être envisagé par Obama comme futur responsable de la Défense, Chuck Hagel avait donné un entretien dont j’ai traduit ce passage révélateur :

«  L’Amérique doit faire davantage pour établir un nouvel ordre mondial qui tienne compte de l’émergence de nouvelles puissances mondiales, en s’engageant activement dans la réforme et la promotion d’organisations et de structures multilatérales.

« Cela ne signifie pas que nous soyons d’accord avec tout le monde, mais nous devons nous ajuster aux réalités de ces nouvelles puissances. Nous devrions accepter ce fait et diriger le changement parce que c’est notre intérêt, exactement comme Truman et Eisenhower l’ont fait…

« Le déclin américain n’est pas inévitable, mais la capacité de nous en protéger ou de l’éviter est dans nos mains. Ce discours stupide sur l’Amérique qui serait dépassée par l’histoire, ce n’est pas à cause de la Chine, du Brésil ou de l’Inde. Si cela se produit ce sera parce que nous l’aurons laissé arriver. C’est à nous de voir. »

Au sujet de la Syrie il disait :

« Le monde s’oriente vers une diversité des structures du pouvoir dans laquelle les États-Unis ne sont plus l’unique et inégalée superpuissance. Ceci, combiné aux problèmes internes du pays et au désir des Américains d’en finir avec une décade de guerre, indique clairement la nécessité d’une solution diplomatique en Syrie.

« Nous devons absolument comprendre les limites des grandes puissances. Il y a tellement de variables incontrôlables en jeu en Syrie et au Moyen-Orient. Il faut travailler avec les institutions multilatérales disponibles, l’ONU, la Ligue arabe. La dernière chose qu’on souhaite serait une invasion en Syrie dirigée par l’Amérique ou l’Occident. »

Dans le même entretien, Chuck Hagel insistait sur la nécessité d’une solution négociée de la crise iranienne.

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