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Visio-conférence internationale 25-26 avril 2020

L’amitié entre astronautes, un exemple de coopération internationale

Session 2

2 mai 2020

discours de Michel Tognini, astronaute, membre fondateur de l’Association des explorateurs de l’espace

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Michel Tognini est un ancien astronaute de l’Agence spatiale européenne (ESA) et du Centre national d’études spatiales (CNES) français. Ingénieur et pilote de chasse, sa carrière est impressionnante : il a passé 19 jours dans l’espace à bord du Soyouz, de la station MIR, de la navette spatiale Columbia et de la Station spatiale internationale (ISS). Il fut chef de la division des astronautes, puis du Centre des astronautes européens de l’ESA à Cologne, en Allemagne. À ce titre, il participa au recrutement de Thomas Pesquet. Aujourd’hui il est président du chapitre « Europe » de l’Association des explorateurs de l’espace (Association of Space Explorers - ASE). Il défend les vols habités auprès du grand public et assiste les universités dans leurs projets axés sur l’exploration spatiale habitée. 

Bonjour à tous et merci de m’avoir invité à parler de coopération entre astronautes et cosmonautes.
Retraçons brièvement l’histoire de l’aventure spatiale, de la coopération mutuelle et de ce que nous avons réalisé dans l’espace.
Au début, en 1957, nous avons eu le premier vol de Spoutnik. Ce fut une grande surprise partout dans le monde, parce que, à part les Soviétiques à l’époque, personne ne s’attendait à ce que ce satellite russe s’envole dans l’espace. Et comme vous le voyez très bien, Spoutnik, conçu comme une sphère métallique de 58 cm de diamètre, devait être vu et entendu partout dans le monde. C’était avant tout un outil de propagande spatial.
Puis, en 1961, eut lieu le vol en orbite terrestre de Youri Gagarine. C’était la première fois qu’un humain quittait la Terre pour aller dans l’espace. Il ne réalisa qu’une seule orbite autour de la Terre, d’une heure et quarante minutes, avant d’atterrir en toute sécurité. Mais ce fut le début de l’exploration spatiale humaine.
Ensuite, les humains se rendirent régulièrement dans l’espace. Sur la Lune et, aujourd’hui encore, dans la Station spatiale internationale (ISS). Si l’on comptabilise tous ces vols, depuis Gagarine jusqu’à aujourd’hui, on arrive à environ 150 ans de présence humaine dans l’espace.

Il y a d’autres dates importantes :
En 1962, John Glenn est le premier Américain à aller dans l’espace. Comme vous pouvez le voir, ce sont les Russes qui ont commencé, puis les Américains ont suivi.
En 1963, la Russe Valentina Terechkova est la première femme à aller dans l’espace.
En 1965, le cosmonaute russe Alexeï Leonov effectue la première sortie véhiculaire, une promenade spatiale avec combinaison d’une durée de quinze minutes hors du vaisseau.
En 1969, vous le savez tous, les premiers humains, Armstrong et Aldrin, posent le pied sur la Lune.
Le premier vol de la navette spatiale, qui volera ensuite pendant environ 30 ans, se déroule en 1981.
En 2001, l’américain Denis Tito devient le premier touriste de l’espace. C’était son rêve et il l’a réalisé en finançant son voyage, démontrant au passage que les missions spatiales humaines étaient devenues suffisamment sûres pour y faire participer de simples citoyens.
En 2003, Yang Liwei devient le premier taïkonaute, c’est-à-dire le premier astronaute Chinois volant dans l’espace.
En 2012 a lieu le premier lancement d’une fusée conçue par l’entreprise privée SpaceX d’Elon Musk, dont le rêve et l’objectif a toujours été d’envoyer des humains dans l’espace. Je peux vous dire que quand il commença en 2012, personne ne croyait qu’il réaliserait cet objectif, mais cette année, en mai 2020, si le calendrier n’est pas bousculé, il lancera sa première mission humaine vers la Station spatiale.
La Chine annonce en 2017 son plan pour aller sur la Lune, en vue de s’y installer et d’y exploiter les ressources.

Vous pouvez voir sur l’image suivante que les Russes et les Américains ont vécu l’aventure du vol spatial par des voies différentes. Les Russes ont opéré avec des éléments classiques : une fusée Soyouz et sa capsule. Ils firent progressivement évoluer la fusée et la capsule, gardant le même système d’ensemble tout en le modernisant, afin de permettre les vols habités, ce qui leur permit la mise en œuvre des sept stations spatiales Saliout 1 à 7 et la station spatiale Mir, sur laquelle fut effectué le premier amarrage de la navette spatiale américaine. Et ils tentèrent de poser des hommes sur la Lune, mais sans succès.
De leur côté, les Américains sont passés du vol habité avec une seule personne, avec le programme Mercury, à deux personnes avec Gemini, puis à trois avec Apollo, pour finir par se poser sur la Lune, tout en construisant en parallèle la station spatiale Skylab. Ils réussirent à se rendre sur la Lune six fois en toute sécurité puis, prenant quelque peu une nouvelle direction, développèrent la navette spatiale.
A l’époque, on peut dire que ces différentes façons matérialisaient une sorte de confrontation entre Américains et Russes. Mais il y eut ce vol appelé Apollo-Soyouz Test Project (ASTP) en 1975, où les deux vaisseaux Soyouz et Apollo s’envolèrent pour l’espace et s’y amarrèrent. Une fois accostés, la porte les reliant s’ouvrit. S’ensuivirent de chaleureuses poignées de mains, des échanges de cadeaux, une amitié plus forte.
Vous voyez sur cette diapositive l’équipage de cette mission Apollo-Soyouz en 1975. En combinaison verte, vous avez les Russes, en brun clair, ce sont les Américains. Parmi ces cinq personnes, vous en avez deux, un Américain et un Russe, qui devinrent très bons amis. Cette première mission se fit d’ailleurs en raison de la grande amitié entre ces deux personnes.
D’habitude, quand je fais un discours, je demande aux gens dans la salle de me dire qui sont ces deux personnes. Je vais vous le dire aujourd’hui, parce que vous ne pouvez pas me parler directement : ce sont Tom Stafford, un pilote de chasse américain, pilote d’essai et astronaute, et Alexeï Leonov, qui, comme je l’ai dit auparavant, fut aussi le premier homme à faire une promenade dans l’espace. C’était aussi un pilote de chasse très courageux. Ils devinrent amis lorsqu’ils se rencontrèrent en 1972, avant la mission, puis au cours de la mission qui fut une véritable réussite, et aussi après la mission. Les photos suivantes vous montrent ce qu’ils sont devenus aujourd’hui.
Sur cette autre image, vous pouvez voir, sur la gauche, Tom Stafford, et à droite, Alexeï Leonov, après 45 ans de véritable amitié. Chaque année, Tom rendait visite à Alexeï en Russie pour passer quelques jours en vacances avec lui. Et chaque année, Alexeï se rendait en Amérique pour passer quelques jours avec son ami Tom. Et même parfois, lorsque les relations entre les deux pays devenaient un peu tendues, leur gouvernement respectif leur demandait d’intervenir pour tenter de calmer la situation. Cette amitié a malheureusement cessé avec le décès d’Alexeï Leonov il y a quelques mois.
Mais comme vous pouvez le voir sur la diapositive suivante, nous poursuivons cette amitié dans l’espace. Nous avons aujourd’hui la station spatiale internationale. Ici, vous voyez deux astronautes dans la station spatiale : à gauche, un cosmonaute russe, et à droite, un astronaute américain. Ils volent dans l’espace. Ils ont même effectué des vols de longue durée, et ce depuis 20 ans maintenant.
Comme vous le voyez, leur entente et leur confiance mutuelle sont si fortes qu’ils peuvent se couper les cheveux l’un à l’autre. Cela nous amena à créer il y a 35 ans, l’ASE (Association of Space Explorers) ou Association des explorateurs de l’espace, qui comprend 38 pays différents. Elle fut fondée en France en 1985 et depuis, les astronautes qui en font partie se rencontrent chaque année dans un pays différent.
Nous sommes donc passés graduellement de l’affrontement à la coopération. L’affrontement a souvent permis d’accélérer les programmes spatiaux. Rappelez-vous quand John Kennedy a annoncé que son pays irait sur la Lune. En huit ans, la NASA a réalisé l’exploit, ce qui a été très, très rapide. Mais du coup, le contenu scientifique des missions fut relégué au second plan. Aujourd’hui, nous coopérons en axant beaucoup les missions sur des objectifs scientifiques, au détriment de leur rapidité d’exécution. On compte en général cinq partenaires qui sont la NASA, la Russie, l’Europe, le Japon et le Canada, et nous essayons peu à peu d’inclure la Chine et l’Inde dans cette coopération spatiale internationale.
Dans ce cas, une coopération entre sept agences spatiales différentes nous donnerait la possibilité d’engager une mission de vol vers la Lune ou vers Mars en sept étapes, dont chacune des agences aurait la responsabilité.
Vous voyez ici, sur cette diapositive, qu’on pourrait avoir
une agence spatiale chargée du site de lancement ;
une deuxième, responsable de l’accès à l’orbite terrestre basse, autrement nommée LEO (Low Earth Orbite) ;
une troisième, chargée du module MTFF1 (Man Tended Free Fly), la mini-station spatiale en orbite terrestre basse ;
la quatrième chargée du transfert de l’orbite terrestre basse terrestre vers l’orbite lunaire à l’aide d’un remorqueur spatial ;
une cinquième chargée du deuxième module MTFF2 en orbite lunaire ;
une sixième chargée de la descente vers la Lune ;
et une septième chargée de bâtir la base lunaire d’accueil des astronautes.

Vous voyez, sur ce diagramme, en quoi nous pouvons participer à un objectif spatial commun en distribuant chacune des responsabilités et activités entre les différents partenaires du monde entier.

Sur cette nouvelle diapositive, je vous montre ce que nous avons déjà réalisé avec la Station spatiale internationale. La première mission a eu lieu en 1998. C’était une véritable mission Apollo-Soyouz avec, à gauche, le module russe lancé depuis Baïkonour sur une fusée Proton, et, à droite, le vaisseau lancé grâce à la navette spatiale américaine depuis le Centre spatial Kennedy. Les deux ont été amarrés avec le bras robotique canadien disposé sur la navette américaine. C’était le début de la construction de la station spatiale.

La diapositive suivante montre la station augmentée d’un troisième module apportant l’oxygène. Permettant ainsi d’accueillir la vie et le premier équipage humain à bord d’un Soyouz. C’était le début de la Station spatiale habitée.

La diapositive suivante vous montre la Station complète. La section américaine avec la navette spatiale est visible sur la partie supérieure de l’image. On voit aussi le plateau avec le panneau solaire sur le côté et à l’arrière, la section russe. Enfin le module européen que vous pouvez voir sur le côté avant gauche de la station, qui a fait cinq allers-retours dans l’espace afin d’installer le laboratoire spatial européen Colombus.

Sur la diapositive, vous pouvez voir la station spatiale sous un autre angle. On y distingue les deux modules Soyouz, de même que deux autres modules nommés Progress, pour lesquels nous pouvons féliciter les Russes car, à la différence du Soyouz, le Progress est automatique et a permis une réduction importante du temps d’amarrage, en réduisant à moins de trois heures et demi le trajet du sol à la station spatiale. C’est le temps le plus court à ce jour pour aller dans l’espace. Vous pouvez voir sur le côté gauche les modules estampillés Dragon, qui sont fabriqués par des entreprises privées. La partie désignée par Beam est un module à structure gonflable permettant, depuis la Terre, le transport d’un moindre volume et poids vers la station.
Pour résumer. La première mission de Gagarine a duré une heure et quarante minutes. Nous avons lentement évolué vers des vols spatiaux d’abord d’une heure, puis un jour, une semaine, deux semaines, puis six mois. Tous les vols d’aujourd’hui sont d’une durée de six mois et pour certains, d’un an. Le record est le séjour de Valeri Poliakov, qui a duré quatorze mois. Nous savions que nous pouvions faire face à la perte de masse musculaire encourue dans l’espace. Nous pouvions faire deux heures d’exercice tous les jours pour compenser cette perte.
Nous avions aussi compris que la difficulté du voyage spatial pouvait être d’ordre psychologique, Nous avons donc fait quelques études de mise en condition avec le programme Mars 500, durant lequel nous avons confiné ensemble, dans un espace restreint et durant dix-huit mois, six personnes de nationalités différentes, afin de simuler les conditions d’un vol vers Mars. Une mission similaire nommée Hawaï, incluant un jeune Français, s’est aussi terminée après un an d’études et de tests du comportement psychologique d’individus soumis à une longue période de confinement. Cela nous a permis d’avoir une meilleure connaissance du comportement humain dans l’espace, et ce afin d’envisager de longs voyages sur la Lune, Mars ou un astéroïde.

Assurer des vols de longue durée et des missions de plus en plus longues dans l’espace permettra d’y effectuer d’importantes opérations, comme la réparation d’un satellite, des promenades spatiales, des sorties extravéhiculaires et la construction de structures telles que la Station spatiale internationale. Le fait d’être dans l’espace nous permet déjà de faire de la science, de profiter du fait que nous sommes dans un environnement à zéro gravité pour mieux comprendre le comportement de nos muscles et étudier les risques d’apparition de calculs rénaux lorsque les astronautes restent trop longtemps dans ces conditions particulières d’apesanteur.

Une des retombées du vol spatial est par exemple notre compréhension de la croissance des cristaux de protéines. Vous voyez, en haut à gauche de cette nouvelle diapositive, ce que cette croissance du cristal de protéines donne sur Terre, et ce qu’elle donne dans l’espace. En condition d’apesanteur, la protéine est plus structurée et permet des applications médicales bien plus précises que si elle était fabriquée sur Terre.

Les missions spatiales peuvent aussi avoir un énorme impact sur l’éducation. Comme vous le voyez sur cette diapositive, lorsque Kennedy lança le programme Apollo, les Etats-Unis connurent une augmentation record du nombre de doctorants en sciences physiques, mathématiques et ingénierie.

C’est la même chose en France. A chaque fois que les astronautes français vont dans l’espace, cela suscite chez les jeunes l’envie d’étudier les sciences pour mieux comprendre notre univers.

Aujourd’hui, nous avons cette station spatiale. L’ensemble est un véritable succès. Tous les vols pour la construire ont été couronnés de succès. Elle est maintenant habitée en permanence par au moins un Américain et un Russe, et cela fonctionne à merveille. C’est une coopération qui inclut la Russie, les États-Unis, le Canada, le Japon, l’Europe. Pour ce qui est de l’Europe, dix pays participent à ce programme, ce qui fait un total de quinze pays et partenaires qui, au final, travaillent ensemble. Une coopération scientifique avec la Russie et d’autres qui se déroule à merveille.
Enfin, je voulais conclure avec cette citation de Konstantin Tsiolkovski : « La Terre est le berceau de l’humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau. »
C’est pour cette raison que nous allons dans l’espace. Pour accroître nos connaissances et ainsi grandir.
Merci beaucoup.

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