« la plus parfaite de toutes les oeuvres d’art est l’édification d’une vraie liberté politique » Friedrich Schiller

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Alep, ville éternelle : le Projet Phénix

Vidéo

2 juillet 2016

Voici la transcription et la vidéo du projet de reconstruction de la Syrie : « Alep, ville éternelle : le Projet Phénix », projetée lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller des 25 et 26 juin 2016 à Berlin.

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Alep, ville éternelle : le Projet Phénix

En 1184, le poète et explorateur andalou Jabair (Ibn Djubayr) décrit de la façon suivante la beauté de la ville d’Alep où il s’était rendu :

La cité est aussi vieille que l’éternité. Toujours jeune, elle n’a jamais cessé d’exister. Ces jours et ses nuits ont été longs ; elle a survécu à ceux qui l’ont gouvernée et habitée. Il y a ses maisons et ses résidences, mais où sont passés leurs résidents d’antan et les gens qui les fréquentaient ? Voici les palais et les salles de la Cour, mais où sont les princes [de la dynastie des] Hamdanides et leurs poètes ? Eux sont décédés mais la cité est encore là. Ville de merveilles ! Elle perdure. Ses rois tombèrent et disparaissent, mais sa destruction n’est pas d’actualité. Alep, que Dieu puisse la protéger, est une grande ville de renom (…) digne d’une vénération particulière.

Depuis 2011, la nation syrienne a été la cible d’une destruction systématique par l’Administration Obama et l’Empire britannique à travers ses serviteurs dans la région : l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar qui ont financé, promu et protégé des groupes terroristes fondamentalistes. Ces derniers ont plongé la Syrie dans le chaos et la barbarie dans une tentative délibérée visant à détruire sa cohésion sociale et culturelle au profit de conflits ethniques et religieux sans fin.

Pour l’instant, la Syrie, son armée et ses institutions, ont su résister et se défendre, tout en payant un lourd tribut. Entre 200 000 et 400 000 morts et autant de blessés. Pour beaucoup d’entre eux, c’est par manque de soins médicaux, d’eau propre et de nourriture, résultat du conflit ou des sanctions économiques imposées par l’Occident.

La reconstruction de la Syrie sera essentielle pour résoudre la crise des réfugiés et des migrants qui touche toute la région. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estimait le 2 juin qu’il y a 4,843 millions de réfugies syriens dans les pays voisins, c’est-à-dire la Turquie, la Jordanie, l’Irak et le Liban ainsi qu’en Égypte. Depuis décembre 2015, on estime le nombre de personnes déplacées au sein de la Syrie à 6,4 millions. Réfugiés dans leur propre pays, ils cherchent avant tout la sécurité en se réfugiant dans des zones sous contrôle gouvernemental. Cependant, pour l’instant, il leur est impossible de rentrer, car la plupart des maisons des villes et des villages sont complètement ou partiellement détruits. Les infrastructures de base (eau, énergie, transport, etc.) sont les cibles des attaques et dans la plupart des régions, les activités agricoles et industrielles sont à l’arrêt depuis 2012.

Alep, aussi bien avant qu’après l’époque du poète Jabair, a connu bien des moments de grandeur et de déclin. La cité a survécu à des attaques physiques et des troubles sociaux et a su renaître tel un phénix. Aujourd’hui, le peuple et le gouvernement ont su maintenir vivant cet esprit face à la pire crise de son histoire.

En novembre 2015, une délégation de l’Institut Schiller et le Comité syro-suédois pour la démocratie s’est rendu à Damas. Pour y apporter une aide humanitaire modeste mais surtout pour présenter aux instances dirigeantes du pays son « Projet Phénix », c’est-à-dire sa vision et ses propositions pour faire renaître le pays de ses cendres.

Ce qui s’est passé par la suite tend à démontrer que l’intervention de l’Institut Schiller arrivait au bon moment. L’apparition sur la scène mondiale en 2014 du groupe des pays des BRICS visant à changer un ordre mondial en décomposition et destructeur a incité la Syrie et son peuple à s’y accrocher. L’intervention directe de la Russie à partir de septembre 2015 pour appuyer l’armée syrienne a transformé la géométrie stratégique, pourrait aboutir, soit à une paix en Syrie et dans la région, soit, si les Occidentaux et l’OTAN persistent à s’y opposer, à une guerre globale et l’éventualité d’un affrontement thermonucléaire.

A part l’intervention russe sur le plan militaire, c’est également sur le plan économique que la donne fut changée en faveur de la paix et le développement, grâce à la visite, en janvier 2016, en Égypte, en Arabie saoudite et en Iran du président Xi Jinping pour y promouvoir la Nouvelle route de la soie.

Russes et Chinois, lors de leurs visites en Syrie, ont offerts leur aide à la reconstruction. L’Agence syrienne des investissements (SIA) a annoncé en avril 2016 qu’elle organisera plus tard cette année une conférence sur cette question avec les pays des BRICS.

L’Institut Schiller et l’Executive Intelligence Review (EIR) avaient préparé le terrain pour ce débat en publiant en novembre 2014, un rapport spécial intitulé « La Nouvelle route de la soie devient le Pont terrestre mondial », publié en chinois en septembre 2015 et plus récemment en arabe. Ce rapport présente une vision très complète des grands projets de développement mutuel capables de servir de socle à la paix mondiale. L’extension de la Nouvelle route de la soie est la clé du développement de la région. La reconstruction de la Syrie s’inscrit naturellement dans cette perspective à laquelle elle apportera sa propre contribution.

Le projet Phénix

Le projet Phénix consiste en deux volets : comment financer la reconstruction et quel profit tirer de son intégration dans le projet de la Nouvelle route de la soie.

Financer la reconstruction de la Syrie

Deux sources permettront de générer du crédit productif au service de la reconstruction de la Syrie : une banque nationale pour la reconstruction fonctionnant sur les principes définis par le premier secrétaire américain au Trésor Alexandre Hamilton et des crédits et des investissements directs de la part d’institutions comme la Nouvelle banque pour le développement des BRICS ou encore la Banque asiatique pour l’investissement dans les infrastructures (BAII).

Il s’agit d’un programme d’urgence pour le logement et pour faciliter le retour chez eux de millions de réfugiés dont les maisons, les écoles et les hôpitaux ont été ravagés par la guerre, en employant toute la force de travail, les outils et les matériaux possibles. Les centres de production industrielle et agricole doivent être reconstruits, en particulier les secteurs pharmaceutiques et pétrochimiques dont l’urgence est d’une importance stratégique. Des brigades de travail temporaires, encadrées par le génie militaire, seront déployées pour mobiliser la jeunesse. Elles seront financées par la banque nationale pour la reconstruction. En plus de faire face aux nécessités les plus urgentes, les brigades s’occuperont de former la main d’œuvre pour des emplois plus qualifiés. La Syrie dispose des technologies avancées aussi bien dans les secteurs de l’aéronautique, de l’électronique et de la construction de machines que dans la chimie, des domaines d’un grand potentiel de croissance.

Le système de transport syrien nécessite sa modernisation. Construire des lignes ferroviaires à grande vitesse et des autoroutes dans le cadre des grands axes transcontinentaux reliant la Méditerranée, l’océan Indien, la mer Rouge, la mer Caspienne et la mer Noire, sera une priorité. C’est ce que projetait de réaliser la « stratégie des cinq océans » défendue par Bachar el Assad en 2009 avec l’éclatement du conflit.

L’approche « Nouvelle route de la soie » dépasse de loin la simple construction de moyens de transport. Elle prévoit la création de deux « corridors de développement » internationaux, l’un est-ouest, l’autre nord-sud, permettant de revigorer, à long terme, les vieux carrefours d’échanges syriens avec de la croissance et de la vitalité. A part des chemins de fers, ces corridors de développement incluront des oléoducs, des aqueducs, des zones industriels, une agriculture avancée et des nouvelles villes. Le dessalement de l’eau de mer, la mise en valeur des eaux souterraines et l’ionisation atmosphérique permettront, en coopération avec les pays voisins, de verdir le désert, de réduire les tempêtes de sable et d’accroître la surface agricole en vue d’une mise en valeur optimale des ressources.

La Nouvelle route de la soie

La Syrie est au carrefour de trois continents : l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Par sa position géographique elle est au cœur des routes commerciales reliant plusieurs océans et mers intérieures. Ainsi la Syrie est au centre du pont terrestre africano-eurasiatique, de la ceinture économique de la Nouvelle route de la soie et de la Route de la soie maritime.

  • Une des artères principales de la Nouvelle route de la soie part de la Chine, traverse l’Asie centrale et l’Iran avant d’arriver en Europe continentale. Un bras iranien s’étendra vers l’Irak et atteindra la Syrie en suivant le Tigre et l’Euphrate. En s’étendant le long des fleuves vers le golfe Persique, cet axe peut également être relié à la route de la soie maritime par le port de Basra au Sud et Deir ez-Zor, Raqqa et Alep dans le Nord-Ouest. A l’heure actuelle il existe un chemin de fer qui longe l’Euphrate en Irak et en Syrie, une ligne de chemin de fer relie Alep avec Deir ez-Zor sur l’Euphrate à 150 km d’Abou Kamal sur la frontière irakienne. Il s’agit d’une des connexions majeures reliant la Syrie à l’Asie centrale et la Chine en passant par Bagdad et Téhéran. La vieille route de la soie le long de l’Euphrate, de Basra jusqu’au golfe Persique, s’étendra en Syrie et au-delà en passant par la Turquie jusqu’en Europe. Cette artère permettra de revitaliser les zones industrielles de Raqqa et d’Alep. Un chemin de fer le long de l’Euphrate, réalisé en coopération avec l’Irak, représentera un grand pas en avant sur le plan de l’intégration régionale ainsi qu’un corridor de développement vers le golfe Persique, la mer d’Arabie et l’océan Indien jusqu’à la Méditerranée orientale et l’Europe du Sud. Une connexion ferroviaire avec Téhéran donnera à la Syrie un accès à la région de la mer Caspienne comme nouveau pas de la Stratégie des cinq océans. Un transport par le corridor Nord-Sud en partant de Saint-Pétersbourg en Russie jusqu’au port iranien de Bandar Abbas à l’embouchure du golfe Persique mais aussi jusqu’au port de Chabahar sur le golfe d’Oman, implique de traverser la mer Caspienne par bateau ainsi que des chemins de fers pour la contourner. Autant de voies de communication dont la Syrie tirera profit. Toutes ces artères de commerce, telle que la vieille route de la soie, conduiront à Alep en Syrie. A partir de là, le corridor ira irriguer la région d’Idlib jusqu’au port de Latakieh sur la Méditerranée, un port qu’il va falloir agrandir. Une autre branche pour revitaliser la vieille route de la soie sera la construction d’une ligne de chemin de fer de 200 km reliant Deir ez-Zor avec Palmyre, cité légendaire sur la route de la soie où chaque année des festivals de la route de la soie étaient organisés avant la guerre. Ces interconnections permettront à terme de voyages de Téhéran et Bagdad jusqu’à Beyrouth en passant par ces villes syriennes et Damas.
  • Un corridor terrestre plus direct permettra de relier la Syrie à l’Égypte en pleine expansion économique, par la reconstruction du chemin de fer du Hedjaz qui reliait Damas en Syrie à Médine, en traversant la Jordanie. Une liaison ferroviaire reliant le Caire au golfe d’Aqaba pourra faire la jonction avec Amman en Jordanie. En avril 2016, l’Égypte et l’Arabie saoudite ont signé un accord pour la construction, au sud, d’un pont permettant de franchir le détroit de Tiran et plus au nord d’un pont au-dessus du canal de Suez. La liaison Istanbul-Damas-Médine pourra être prolongée jusqu’au Yémen. Grâce à ce pont terrestre transcontinental, la Syrie, la Méditerranée orientale et l’Asie seront ainsi reliées à l’Afrique

Le plan Oasis

Le « plan Oasis pour le proche Orient », promu par Lyndon Larouche et publié par l’EIR dans les années 1970 envisageait un corridor de développement nord-sud allant de la Turquie jusqu’en Égypte en Afrique, en passant par Damas, les hauteurs du Golan, Israël et la Palestine. Ce projet, qui projette de résoudre d’un commun accord le problème des ressources en eau de toute la région, reste le seul socle valable pour les négociations d’une paix durable.

  1. La région de la mer Noire sera reliée à la Syrie via Istanbul et le port turc Samsun sur la mer Noire. Istanbul est également la destination de la nouvelle route ferroviaire « Viking » qui part du port lituanien Klaipeda sur la mer Baltique, une route commerciale des pays du Nord vers la Syrie qui rapprochera la Russie et le Caucase de l’Asie du sud-ouest.
  2. Depuis l’inauguration du nouveau canal de Suez en août 2015, des navires géants peuvent apporter des marchandises de Chine et d’Inde par la route maritime de la soie en Méditerranée. La Chine s’intéresse à la construction d’un canal, par l’aménagement des fleuves Vardar(Axios) et Morava, reliant Thessalonique au Danube à Belgrade. L’axe Rhin-Danube est déjà le plus grand corridor de transport d’Europe. Si la Chine aide à réaliser le nouveau canal traversant les Balkans, le trafic fluviomaritime européen pourrait atteindre les ports syriens de Tartous et Latakieh.

Avant la guerre, la Syrie n’était pas un pays riche. Cependant, le niveau de vie n’y était pas trop mal. L’éducation et la santé y étaient gratuites. La ville d’Alep, un centre majeur de culture et de science lors de la Renaissance islamique du IXe au XIIIe siècle, était un foyer majeur d’échanges commerciaux et de productions industrielles. Avant la guerre, Alep « pesait » pour 30 à 40 % de l’industrie syrienne et des exportations hors produits pétroliers. 10 km au nord d’Alep, se trouve la ville industrielle Cheikh Najjar avec des équipements modernes et dont la construction a été lancée en 2000. Cette ville, aussi bien qu’Alep, a subi des destructions majeures depuis les affrontements entre les rebelles et les forces gouvernementales. Alors qu’il s’agissait de l’expression de la volonté gouvernementale de poursuivre l’industrialisation, aujourd’hui, il s’agit presque d’une ville fantôme.

Conclusion

Ce qui rend Alep, aussi bien la ville que la région, un endroit si particulier et fascinant, ce sont la diversité et les facettes multiples de la mosaïque de son histoire économique, sociale et culturelle. C’est ce tissu sociétal que les auteurs du crime commis contre la Syrie cherchent à détruire. Ils prétendent que les différentes religions, ethnies et tribus qui composent les nations ne peuvent pas coexister et se développer ; qu’un dialogue de cultures, comme celui entre l’islam et la chrétienté, ou entre la Chine et l’Occident, est impossible. Or, l’existence même de pays hauts en couleur comme l’Irak ou la Syrie sont la preuve vivante de la fausseté de leurs affirmations. Ainsi, ils ont été obligés de forcer ces nations dans un processus de déconstruction chaotique par l’usage des armes, par la création du Front al-Nosra et le soi-disant État islamique.

Un autre aspect fascinant d’Alep est sa capacité incroyable de résilience face aux guerres et aux désastres naturels ou causés par l’homme. Ainsi, Alep doit être restauré à sa vraie dimension et caractère en tant que centre de la culture et de civilisation universelle. L’Unesco a placé la vieille ville d’Alep sur la liste du Patrimoine de l’Humanité : « La vieille ville d’Alep témoigne de la richesse et de la diversité de ses occupants successifs. De nombreuses périodes de l’Histoire ont imprimé leur marque sur le tissu architectural de la ville. Des vestiges de constructions et d’éléments hittites, hellénistiques, romains, byzantins et ayyoubides sont intégrés dans la Citadelle massive qui subsiste. Le mélange de différents bâtiments -, dont la Grande Mosquée fondée sous les Omeyyades et reconstruite au XIIe siècle, la madrasa Halawiyé du XIIe siècle, intégrant des vestiges de la cathédrale chrétienne d’Alep, ainsi que d’autres mosquées et madrasas, des souks et des khans - témoigne de manière exceptionnelle des aspects sociaux, culturels et économiques de ce qui fut l’une des villes les plus riches de l’humanité ».

Ce n’est pas seulement Alep, mais toute la Syrie, avec son peuple, sa culture et ses artefacts, qui représente un témoignage unique et vivant de la coexistence et la continuité de différentes civilisations humaines. Il est donc impératif pour le monde de la défendre et de la préserver, et d’en faire, une fois la paix rétablie, la capitale mondiale du dialogue des civilisations !


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